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Blur

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 27 avril 2015

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Il aura fallu douze ans pour qu'une petite révolution arrive. Ce ne fut certes pas aussi long que pour le successeur de Loveless de My Bloody Valentine. Cependant, on peinait à croire, pour de multiples raisons, que Blur sorte un jour un tout nouvel album. C'est pourtant chose faite avec The Magic Whip, huitième pierre à l'édifice musical du groupe londonien.

A l'occasion d'un passage dans la capitale pour un concert privé donné dans les studios de Canal+, Sound Of Violence a eu l'immense privilège de rencontrer Dave Rowntree, batteur du groupe. Celui-ci nous a raconté ce qui s'est passé depuis la reformation du groupe en 2009, en évoquant, notamment, l'enregistrement de ce nouvel opus. Il nous a également livré quelques confidences sur l'évolution musicale du groupe, ainsi que ce qui nous attend dans les prochains mois avec son groupe. Retour sur cette jolie discussion lors d'une fin d'après-midi ensoleillée dans un palace parisien.

En 2009, vous avez décidé de vous reformer après cinq à six années de break, quelles étaient les raisons derrière ce comeback ?

En fait, les problèmes au sein du groupe étaient résolus. Nous nous sentions de nouveau ensemble comme dans une famille heureuse. Et plutôt que de rester simplement ensemble à boire du thé comme on le fait dans ces familles heureuses, nous avons senti que nous devions réaliser des choses intéressantes tous ensemble. Ce sont les simples raisons qui ont donc motivé ce retour. Nous avions, au-delà de l'envie, le besoin de redémarrer Blur. Nous avons eu la chance de nous voir proposer de jouer à Glastonbury. Hyde Park a suivi. Il y avait aussi eu cette possibilité de composer une chanson inédite pour le Record Store Day de 2009. Toutes ces offres qui nous ont été faites dans un moment où les tensions étaient apaisées ont fait que Blur a pu redémarrer.

Il y a toujours une possibilité que le concert que nous donnons aujourd'hui soit le dernier de notre carrière.

En 2012, vous avez sorti ce coffret contenant ce qui était supposé être l'intégrale de Blur, dans le sens qu'aucune nouvelle composition n'aurait dû voir le jour par la suite, tout au moins dans un délai aussi court. Lorsque vous avez recommencé à jouer ensemble, saviez-vous que vous feriez bien plus qu'une simple série de concerts ?

Il y a toujours une possibilité que le concert que nous donnons aujourd'hui soit le dernier de notre carrière, pour des milliers de raisons. Il est également possible que nous puissions faire quelque chose d'autre ensemble demain. La vie a fait que nous avons nos propres situations personnelles, extérieures à Blur, et qu'elles pouvaient influencer la suite de notre histoire. Rien n'est figé. Et d'une manière générale, nous n'avons jamais eu cette réunion où la décision de mettre fin à Blur a été prise. De même, nous n'avons jamais eu non plus cette réunion qui annonçait le redémarrage du groupe, de surcroit comme dans le passé, à temps plein, avec des immenses tournées, des nouveaux disques à venir... En fait, ce sont de simples opportunités, conjuguées à de nombreuses possibilités qui nous ont permis de nous retrouver où nous sommes actuellement. Je pense qu'aussi longtemps que nous aurons des idées intéressantes à développer, nous continuerons de la sorte. Mais on ne sait jamais combien de temps tout cela continuera. J'ai toujours été relativement confiant sur le fait que sortirions un nouvel album, ou tout au moins de nouveaux morceaux. Ce qui me paraissait totalement incertain, c'est le moment où cela allait se produire, ou sous quelle formule cela allait apparaître. Il y a des idées qui ont surgi tout au long de ces moments passés ensemble et qui sont simplement restées à ce stade. Mais d'autres ont fait leur chemin et ont permis de donner vie à ce nouvel album.

Comment était l'ambiance dans le studio lorsque vous avez enregistré The Magic Whip? Était-elle différente de celle pour Think Tank ?

L'enregistrement de Think Tank était une période difficile pour nous, car Graham venait de quitter le groupe. Ce fut un immense changement par rapport à cette habitude que nous avions de travailler ensemble. Mais pour ce nouvel album, ce fut de nouveau un gros changement. Nous n'avons pas eu l'opportunité de passer trois mois en studio. D'ailleurs je ne suis pas sûr que ça aurait bien fonctionné si nous avions procédé de la sorte. Peut-être que cela n'aurait pas donné un bon disque, pour pas mal de raisons. Ce fut finalement une simple opportunité qui nous permis d'entrer en studio. Nous étions à Hong-Kong et nous avions une semaine de repos car un des concerts que nous devions donner avait été annulé. Hong-Kong est située à une longue distance de Londres. Si nous avions eu cette semaine de repos à Paris, nous serions retournés chez nous. Mais de Hong-Kong ça n'avait pas de sens. Le temps de rentrer, il était déjà quasiment temps de repartir. Du coup, nous sommes restés là-bas. Il y avait ce studio situé au coin de la rue de l'hôtel dans lequel nous résidions. Et par chance, il était disponible à ce moment-là. Nous l'avons réservé et tout a démarré ainsi. Ça aurait très bien pu ne pas fonctionner, surtout que ce n'était que pour une semaine. Je ne saurais pas t'expliquer pourquoi mais parfois lorsqu'on entre en studio, on s'amuse mais il n'y a pas grand-chose à retenir de ce moment en définitive. Mais ce coup-ci, lorsque nous avons terminé la session d'enregistrement, ce fut vraiment super. Nous avions eu beaucoup d'idées. Une quarantaine de celles-ci sont sorties au cours de cette courte période. Cependant nous en sommes restés là. Environ six mois plus tard, alors que nous finissions la tournée, nous nous sommes replongés sur ces sessions d'enregistrement, et nous les avons trouvées vraiment très bonnes, même si elles n'ont duré qu'une semaine. C'est un peu la loterie, car parfois on abandonne tout ce qui a été enregistré, mais là on ne pouvait pas laisser cela en plan. Pourtant, ça a tout de même trainé avant que la situation ne se débloque enfin. Il a fallu attendre l'automne 2014 et que Graham s'intéresse très sérieusement à ces plages musicales pour que nous prenions la décision d'essayer de sortir un nouveau disque. Il a contacté notre vieil ami Stephen Street qui s'est immergé dans toutes ces idées afin de dénicher les bons morceaux. Ce fut beaucoup de travail pour lui. Il a dû notamment écouter de nombreux passages d'interminables jams de guitares et chercher à pouvoir les structurer afin d'aboutir à des chansons. Nous avons ensuite été reçus individuellement par lui pendant une à deux semaines afin de rattraper certains passages qui n'étaient pas suffisamment bons pour pouvoir être utilisés sur l'album. Damon de son côté trouvait que les parties vocales pourraient poser problème. En effet, il avait pas mal d'idées alors que nous étions à Hong-Kong. Mais c'était il y a dix-huit mois de cela ! Il se demandait vraiment comment il allait faire pour s'en rappeler. Il a eu cette opportunité de retourner à Hong-Kong dès la fin de sa tournée solo en Australie l'année dernière. Il est revenu dans le même hôtel, est repassé par le studio d'enregistrement pour essayer de s'imprégner à nouveau au maximum de l'atmosphère de l'époque. Il s'est également promené dans le métro. Finalement il a un peu refait tout ce périple qui fut le nôtre en 2013. Et au final il a réussi à réécrire les paroles à partir de tout cela, en les terminant dans l'avion qui le ramenait à la maison. Il a alors passé quelques semaines en studio pendant les fêtes de Noël pour enregistrer les parties vocales de l'album. L'album a ensuite été mixé mi-janvier. Un mois après, il était prêt.


Hier soir, à l'occasion de votre concert privé pour Canal+, j'ai pu réaliser que The Magic Whip n'était pas aussi compliqué que je ne l'aurai imaginé à rejouer sur scène. Au vu du peu de temps passé en studio pour l'enregistrer, trouves-tu que c'est un album qu'on pourrait qualifier de « live in the studio » ?

Il y a un processus d'adaptation qui est nécessaire. Tout d'abord il est impératif de traduire une chanson en un disque, puis il faut retranscrire ce disque en une performance live. Nous avons passé trois semaines à agir de la sorte. S'il n'est pas nécessaire de faire des efforts pour cette dernière transition, c'est simplement parfait ! Normalement, il ne faudrait pas que cette adaptation se sente et qu'elle se passe tout à fait naturellement. Mais il y a eu quelques effets à travailler pour réussir à retranscrire le disque sur scène. Je pense que tu as vu que nous avons davantage de musiciens avec nous sur scène. Il y a notamment Karl (ndlr : Van Den Bossche), le percussionniste, qui est un élément central de nos prestations live. Il gère les percussions électroniques, les samples. Mike (ndlr : Smith) est le directeur musical et il a un rôle primordial dans nos performances. Tout ce système fonctionne parfaitement bien, et je n'ai jamais douté de cela, mais le live est une chose très différente du disque. C'est quand même très embarrassant de se retrouver sur scène et que tout sonne de façon merdique. Surtout nos nouvelles compositions. Si ça ne se passait pas bien, il ne nous resterait plus qu'à jouer Parklife !(rires)

Lonesome Street, qui ouvre l'album, et qui fut un premier extrait du disque, est musicalement du pur Blur. Pourtant, ce n'est pas vraiment représentatif de The Magic Whip. Pourquoi l'avoir choisi et positionné au démarrage de l'album ?

C'est une des chansons qui se rapproche en effet le plus musicalement de ce qu'on a sorti dans le passé. Ce sont Stephen et Graham qui se sont chargés de l'ordre du tracklisting. Le côté rationnel de Stephen a fait que les morceaux ont été classés dans un ordre progressif : du passé musical de Blur jusqu'au futur. Je suis content que certaines personnes l'aient remarqué car je trouve que c'est une bonne chose de pouvoir confronter des idées sur la musique et que celles-ci soient en accord avec ce que nous avons essayé de faire paraître. Et tu as entièrement raison, cette chanson sonne vraiment comme un écho de nombreux disques que nous avons pu sortir dans le passé, car nous sommes toujours le même groupe. Ce qui signifie que nous sonnons toujours comme Blur, mais cela signifie également qu'étant Blur, la musique qu'on trouve sur cet album sera forcément différente de celle de notre précédent disque.

Il y a inévitablement une énorme attente de la part de votre public. Est-ce que vous ne ressentez pas une certaine pression?

Pas vraiment, non. Nous avons réalisé ce nouvel album. Il n'y a donc plus vraiment de pression à subir.

Y' All Doomed est un morceau bonus qui est disponible sur l'édition japonaise de The Magic Whip ainsi que sur iTunes. Avez-vous enregistré d'autres morceaux qui ne sont pas sortis à ce jour ?

Nous avons enregistré une quarantaine de pistes musicales. Certaines sont bien entendu restées au simple stade de l'idée. Il y a donc de quoi faire pour l'avenir.

Tant que le disque n'était pas en voie de finalisation, nous ne désirions rien laisser filtrer.

En raison de l'actualité musicale, je pensais qu'en toute dernière minute, nous aurions droit à un quarante-cinq tours de Blur pour le Record Store Day...

Nous n'avons pas eu le temps de nous en occuper. Nous avons tous des projets parallèles à gérer, et l'actualité sur Blur ces temps-ci est forcément très chargée. Alors nous sommes restés concentrés sur cette dernière. De plus, on ne voulait pas faire n'importe quoi dans l'urgence. Sortir un disque juste pour un événement, sans qu'il soit de qualité, ça n'a pas d'intérêt. Et puis nous avons déjà participé au Record Store Day, même si nous restons absolument solidaires de cette initiative. Tu sais, Rough Trade East m'a sauvé la vie un nombre incalculable de fois. Et puis j'adore leur concept qui n'est pas uniquement basé sur la musique. Tu peux t'y rendre, boire un thé, écouter tranquillement de la musique et en acheter ou non. Dans tous les cas, on y passe un excellent moment. Il est vraiment important de soutenir les disquaires indépendants.

Il n'y a pas vraiment de de concerts programmés en tant que tels. La plupart de vos prestations à venir seront données dans le cadre de festivals, à l'exception de cette date en juin au Zénith de Paris. Est-ce que c'est une petite tournée d'échauffement avant d'autres dates à venir et pourquoi cette « vraie » date à Paris?

Tout ce que je peux faire, c'est te donner une réponse honnête. Nous avons décidé de garder le secret à propos de l'enregistrement du disque jusqu'à ce que celui-ci soit terminé. Nous ne savions pas exactement ce qu'il en adviendrait : un album, un maxi, un single, une bande originale de film... Aussi, tant que le disque n'était pas en voie de finalisation, nous ne désirions rien laisser filtrer. Le fait que nous n'ayons pas fait d'annonce en ce sens avant février a sérieusement compliqué la donne pour pouvoir booker une tournée. En vue d'une tournée mondiale, il aurait fallu que nous nous occupions de réserver les salles avant Noël. Cependant à cette époque, rien n'était encore finalisé pour The Magic Whip. De ce fait, nous nous produisons sur des dates encore disponibles, ni plus, ni moins. Mais, tu sais, nous avons beaucoup tourné depuis quatre ans. Ce n'est pas comme si nous n'avions rien fait toutes ces dernières années. Nous avons dû jouer devant un à deux millions de personnes. Ce n'est pas comme si nous n'avions pas donné le moindre concert depuis vingt ans. Ce que nous essayons de faire actuellement, c'est de jouer dans des endroits dans lesquels nous ne nous sommes plus produits depuis des lustres. Nous n'avons pas joué en Indonésie depuis 2003 par exemple. La raison du concert au Zénith de Paris est très simple. Nous n'avons pas joué à Paris depuis longtemps ! Il est vrai qu'il y a de gros festivals en France mais nous y avons déjà participé. Nous avons dû chercher une salle qui, au-delà d'être disponible, pouvait accueillir suffisamment de public tout en conservant une capacité humaine. Et en définitive, il y a très peu de salles de ce genre en France. C'est pourquoi nous nous produirons au Zénith.


En 2012, vous avez rejoué sur scène Yound And Lovely et cette année vous avez interprété Trouble In The Message Centre. D'autres raretés seront-elles proposées au cours des prochains concerts ?

Oui, nous rejouerons d'autres morceaux de notre répertoire qui furent longtemps oubliés. On ne sait pas encore exactement lesquels, mais il y en aura. Tu sais c'est difficile pour nous de donner un concert sans jouer Song 2. D'autant que certaines personnes viennent nous voir sur scène juste pour entendre cette chanson. Bien entendu, nous jouerons un maximum des nouvelles chansons, mais il y a à peu près un tiers du concert où il sera possible de nous replonger dans notre discographie en reprenant des titres un peu délaissées. Certains fonctionnent sur scène, d'autres non, nous sommes donc un peu limités en ce sens, mais on prendra assurément du plaisir à rejouer des vieux morceaux. Nous répétons pas mal en vue des concerts à venir. C'est le moment où on essaye de jouer certaines vieilleries. Pour cette tournée, on travaillera une douzaine de morceaux.

Est-ce qu'il y a également des chansons que vous ne rejouerez plus ? Charmless Man, par exemple ?

(Rires) Rien n'est impossible. Ce sera la surprise !