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Hot Chip

Interview publiée par Marc Arlin le 13 juillet 2015

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Deux ans : c'est en général le temps qu'il faut attendre pour découvrir un nouvel album de Hot Chip. Réglés comme du papier à musique, les Londoniens ont cette fois dérogé aux bonnes vieilles habitudes puisque trois années se sont écoulés entre In Our Heads et ce Why Make Sense?. La faute à une baisse d'inspiration ? Plutôt un manque de temps du aux nombreux projets parallèles que les cinq membres mènent à côté et un repos nécessaire après une longue tournée en 2012-2013.

Comme toujours vêtu de façon colorée et gentiment excentrique, Alexis Taylor est acoquiné de l'autre compositeur principal du groupe, le débonnaire Joe Goddard, pour répondre à nos questions dans les locaux parisiens de leur label Domino Records.

J'ai lu dans un entretien que vous aviez composé les chansons de cet album en cinq ou six jours...

Joe Goddard : Pas vraiment dans le sens dans lequel on entend écrire un album de façon classique mais nous avons modifié notre façon de travailler. Nous avons essayé de boucler chaque chanson en quelques jours avant de passer à la suivante alors que nous travaillions avant de façon plus anarchique. Il en résulte une intensité, une tension qui est très intéressante sur le plan créatif. Les démos étaient parfois enregistrés plusieurs semaines auparavant mais nous travaillons sur chacune dans l'urgence, afin de garder un certain influx.
Alexis Taylor : On s'est aperçu que si on passait trop de temps sur une chanson, on finissait par rajouter des idées parce qu'on était fatigué de l'entendre. Ce n'était pas une bonne chose car cela troublait notre jugement sur les morceaux.

Nous avons retrouvé le plaisir de jouer ensemble en studio.

Qu'avez-vous changé d'autre dans votre manière de travailler ?

Alexis Taylor : Joe a un nouveau studio dans lequel nous n'avions pas encore eu l'occasion d'enregistrer. Il a aussi acquis de nouveaux synthétiseurs et un Wurlitzer sur lequel je n'avais pas encore joué. Nous avons retrouvé le plaisir de jouer ensemble en studio alors que pour les deux derniers albums notamment, nous travaillions chacun de notre côté puis on se retrouvait pour finir les chansons tous ensemble. Sur cet album, plusieurs morceaux sont nés de riffs ou de boucles que nous avons trouvé sur ces machines, Joe et moi. Une chanson comme Started Right est née de cette excitation de jouer tous les deux. Ensuite, tout le groupe est allé aux studios Angelic, à la campagne : nous cinq ainsi que Sarah Jones et Rob Smoughton qui jouent live avec nous. C'était sans doute le lieu d'enregistrement le plus luxueux que nous avons connu jusqu'à présent. Les conditions étaient idéales : le matériel était de première qualité, le studio était très agréable. En dix jours, tout était enregistré. Ces changements ont donné une fraîcheur à l'album, j'espère.

Il paraît aussi que vous aviez tellement de chansons que vous avez pensé à sortir un double album...

Alexis Taylor : Je ne sais pas si on y a vraiment pensé sérieusement mais nous avions en effet une vingtaine de chansons enregistrées et mixées.
Joe Goddard : C'était une idée lancée comme ça mais il aurait été étrange de publier un double album alors que nous avions cherché plutôt l'épuration et un côté plus direct dans le processus d'écriture. Au final, je crois que l'album est l'un des plus courts que l'on ait sortis, en terme de durée.


Est-ce pour rendre justice à ces chansons laissées sur la route que vous avez publié un EP en parallèle à la sortie de l'album ?

Joe Goddard : Oui, en partie. Ces quatre morceaux nous plaisaient mais nous n'arrivions pas à leur trouver une place sur l'album ou bien ils faisaient doublon avec d'autres titres déjà présents sur Why Make Sense?. Nous avons aussi gardé un morceau en bonus pour la sortie japonaise. Quant aux autres, il n'est pas impossible qu'elles paraissent plus tard, comme nous l'avions fait avec Dark & Stormy après le précédent album. Nous avons l'âge et nous venons d'une culture où nous aimons quand la sortie d'un album est accompagné par un EP ou un vinyle spécial. C'est notre côté collectionneur. Nous voulions aussi récompenser les gens qui achètent encore les copies physiques (sourire).

Why Make Sense? est peut-être votre disque le plus cohérent mais pas le plus immédiat...

Alexis Taylor : Oui, on nous a beaucoup dit qu'il faut plusieurs écoutes pour véritablement rentrer dedans. Je ne pense pas que ce soit conscient. A chaque album, je me dis que c'est le plus complet que nous avons fait jusqu'à présent. Il faut du temps pour avoir le recul nécessaire pour juger un album. Je crois que nous recherchons toujours la même chose : produire une musique qui nous crée une émotion, qui nous donne envie de la jouer sur scène. A titre personnel, des morceaux comme Huarache Lights ou Need You Now me semblent très immédiats car ils vont droit au but, ils ont pour objectif de faire danser les gens. Nous ne les enrobons pas forcément avec des sonorités plus lisses ou plus accrocheuses, c'est sans doute pour cela qu'elles paraissent moins accessibles qu'un Over And Over.

Dans le passé, nous avons beaucoup travaillé sur des morceaux qui pourraient être joués en club.

Vous continuez à revendiquer l'influence du R&B sur une chanson comme Started Right...

Alexis Taylor : J'ai toujours écouté ce genre de musique et bien sûr le funk, Prince. Je cherchais avec ce morceau à trouver une rythmique très directe et en même temps assez moelleuse, relaxante.
Joe Goddard : Dans le passé, nous avons beaucoup travaillé sur des morceaux qui pourraient être joués en club. Il y avait donc cette rythmique assez forte, presque martiale comme sur One Life Stand. Cette fois, nous avons un peu laissé tomber cet aspect pour aller vers quelque chose de plus trouble, moins évident. Need You Now est très influencé par la deep house, par exemple.

Vos travaux en solo ont-ils influencé Why Make Sense ?

Alexis Taylor : En général, nous séparons clairement nos projets. Cependant, il est vrai que la tonalité plus organique de certains morceaux vient sans doute de mon travail avec Charles Haywards, John Coxon et Pat Thomas sur About Group. J'ai toujours aimé ces sons mais leur simplicité, toute relative quand tu commences à vouloir les jouer, était presque intimidante. Je me disais « Comment vais-je jouer un riff de Wurlitzer qui va sonner mieux que tous les artistes pop et jazz ayant utilisé cet instrument avant moi ? ». Cela me paraissait impossible tandis qu'avec les synthétiseurs, je pouvais mieux camoufler mes angoisses. Ce genre d'instrument requiert une certaine mise à nu, la recherche d'une émotion brute.


De quoi parle Huarache Lights et quelle était l'inspiration pour le clip ?

Alexis Taylor : Les paroles parlent de fuir les réalités, de se concentrer sur des choses aussi banales que les lumières de baskets pour oublier le reste. C'est aussi en référence aux lumières des clubs qui t'aveuglent et te permettent d'oublier ton quotidien. Je voulais aussi parler de ce moment où tu as une soirée qui s'annonce et que tu te fixes sur cette soirée pour échapper à tes problèmes.
Joe Goddard : Le vidéo clip a été réalisé par Andy Knowles et nous avons utilisé l'installation lumineuse d'un ami artiste qui s'appelle Robert Bell. Nous lui avons envoyé les différentes pistes du morceau pour qu'il règle son installation par rapport à la chanson. Nous l'avons ensuite filmé en une seule prise, ce qui fait écho à notre recherche de spontanéité sur l'album.

Chaque copie de Why Make Sense? a aussi un artwork bien particulier...

Joe Goddard : Oui, nous avons travaillé avec deux personnes, dont Nick Relph qui avait déjà réalisé la pochette de notre album précédent sur un nouveau processus d'impression. Chaque pochette possède une couleur différente et les lignes qui sont représentées dessus sont placées de façon unique. En combinant ces paramètres, on arrive à 130 000 variations possibles pour la pochette. Comme nous ne pensons pas vendre autant de disques, on peut dire que chaque personne qui achète Why Make Sense? a un exemplaire unique de l'album (rires).