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Grant Nicholas

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 11 juillet 2015

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Il y a des artistes qu'on adore retrouver. Ça ne s'explique pas. Grant Nicholas en fait partie. Ayant mis son groupe, Feeder, en veilleuse, le gallois était de passage à Paris pour un (trop) rare concert solo en France. Nous l'avons rencontré et avons pu discuter avec lui de son projet solo, de barbus et, bien évidemment, de Feeder.

Quand as-tu décidé d'enregistrer un album solo ?

Tout cela est arrivé un peu par accident. J'ai voulu faire une pause après le dernier album de Feeder. C'était la première fois en vingt ans. Jusque-là ça avait toujours été enregistrement d'album, puis tournée, puis de nouveau enregistrement d'album, etc... Après notre concert à la Brixton Academy de Londres en novembre 2012, j'ai décidé que c'était le bon moment pour m'arrêter. Je ne savais pas pour combien de temps. Je savais juste que j'avais besoin de temps pour moi. J'ai alors commencé à écrire, et bien plus que je ne l'aurais imaginé. Un de mes amis m'a suggéré de sortir un disque solo, mais je n'étais pas vraiment convaincu que ce soit une bonne idée. Pendant vingt ans, j'étais dans un groupe et l'idée de sortir un disque seul ne m'enthousiasmait pas. Je me sentais un peu vieux pour ça, notamment avec l'apparition de quelques poils blancs dans ma barbe (rires). Mais j'ai fini par changer d'avis et tout a démarré de là. Il n'y avait pas de désir particulier de devenir un artiste solo, d'autant que j'étais très heureux de la carrière que j'avais avec Feeder. Mais c'était un moment propice dans ma vie pour agir de la sorte. J'ai adoré ce moment, et en même temps j'ai eu peur de m'ennuyer à bosser tout seul dans mon petit studio. En définitive tout s'est finalement très bien passé.

Je ne voulais pas que les gens pensent que j'ai quitté Feeder pour me retrouver dans un nouveau groupe.

Quel effet cela te fait de voir Grant Nicholas imprimé sur la pochette d'un disque ?

(rires) Cela me parait toujours étrange. Mais d'un autre côté, cela me rend fier. C'est un peu comme si c'était mon bébé, d'une certaine manière. Mais envisager la possibilité d'avoir de mauvaises chroniques, alors que c'est ton nom qui est mentionné et non celui d'un groupe, c'est assez flippant. Je n'étais pas certain d'utiliser mon nom pour ce disque, j'ai pensé un moment à un surnom. Mais j'ai préféré faire ce choix car j'ai vraiment écrit ce disque tout seul. Et puis je ne voulais pas que les gens pensent que j'ai quitté Feeder pour me retrouver dans un nouveau groupe. Alors la solution fut tout simplement de sortir ce disque sous mon nom. Ce projet solo consistait vraiment à sortir un disque personnel et non de jouer dans un autre groupe avec d'autres musiciens. Alors il a fallu que je me montre courageux et que mon nom apparaisse sur la pochette.


Renegades fut probablement l'album le plus heavy que Feeder ait sorti et Yorktown Heights est sûrement le plus intimiste. Est-ce que tu voulais revenir à quelque chose de plus simple ?

Renegades est un disque plutôt simple. Il sonne un peu, d'une certaine manière, comme les premiers albums de Feeder. Avec notamment ces riffs de guitares, le fait de s'amuser et de sonner comme un groupe de rock, ce qui constituait l'alchimie de Feeder, et la constitue toujours d'ailleurs. Yorktown Heights est finalement assez similaire à Renegades. Bien sûr, il n'est pas aussi lourd musicalement mais c'est un disque avec lequel je me suis beaucoup amusé. Tout comme ce fut déjà le cas avec Renegades. Même si ce fut un album de Feeder, en définitive, ce fut comme un projet parallèle du groupe. C'est un peu difficile à expliquer. Comme si nous étions Feeder, mais sans l'être. Sur ce disque et pendant la tournée qui s'ensuivit, nous avons vraiment fait ce que nous voulions faire depuis longtemps. Ce fut une des tournées les plus amusantes que j'ai connu avec le groupe. Pour Yorktown Heights, c'est un peu l'écriture de l'autre partie de moi, même si j'ai écrit 90% des chansons de Feeder avec une guitare acoustique. Aussi, je suis d'accord, ce sont deux disques différents, mais d'un certain côté, ils sont assez similaires.

Est-ce que ce disque solo a eu un effet thérapeutique sur toi, notamment avec les deux chansons qu'on trouve sur l'édition deluxe de l'album : Silent In Space et Safe In Place ?

Safe In Place est une chanson sur l'échappatoire. Il y a d'autres chansons dans l'album qui parlent de ce sujet. Au moment où je les ai composées, on parlait beaucoup de voyages dans l'espace dans les journaux, et cela m'a inspiré. Ce que j'aime dans l'écriture, c'est le pouvoir de développer une idée qui te vient à l'esprit. L'album parle essentiellement de la vie, des relations qu'elles soient anciennes ou actuelles, de la famille, des enfants. Toutes font partie intégrante du disque. Beaucoup de choses ont changé pour moi en dix ans. Je trouve d'ailleurs que j'ai beaucoup de chance. Parfois, je me demande comment je fais pour trouver le temps nécessaire pour composer des chansons, mais je le trouve. Mes enfants nécessitent beaucoup de temps. Ils ont besoin de moi, ce qui est tout à fait naturel. Du temps de Feeder, c'était différent. Safe In Place est une chanson qui peut faire référence à pas mal de choses : une relation, un membre de la famille. C'est le fait de te sentir heureux à l'endroit où tu te trouves, possiblement avec quelqu'un d'autre, ou seul. Parfois lorsque j'écris une chanson, je la laisse venir, je ne cherche pas à lui donner vraiment une direction, et parfois elle peut manquer de sens, mais c'est ainsi que je fonctionne. Pour certaines chansons, je sais précisément de quoi j'ai envie de parler. Pour ce disque, très différent de ce que j'ai pu composer avec Feeder, l'acoustique et les textes me sont venus très simplement. Je n'ai pas cherché à surproduire l'album, bien au contraire. Pour les textes, c'est un peu pareil, les idées me venaient sans que je cherche à leur associer quelque chose de bien particulier. J'adore être en studio et laisser faire les choses. Pour ce disque, je n'ai pas voulu revenir sans arrêt sur les chansons, en cherchant à les perfectionner. C'est un disque inspiré par les sixties, où souvent on ne faisait qu'une seule prise, même si certaines chansons sonnent réellement comme composées en groupe. Je ne voulais pas faire juste un disque acoustique. Je tenais à ce qu'on trouve deux versants sur le disque.

Soul Mate, c'est un clin d'œil à Taka (ndlr :Hirose, bassiste de Feeder) ?

(rires) Non. Cette chanson, je l'ai écrite à Yorktown Heights (qui donne son nom à l'album) dans l'état de New York. C'est une chanson très simple. J'avais envie d'écrire une chanson un peu similaire à ce qu'un appelle un classique d'un artiste. Par exemple, Nick Drake ou Simon And Garfunkel. Mais en fait, c'est très difficile de composer une telle chanson. Les paroles sont très simples. Il a fallu du temps pour la terminer. Pour moi, c'est une chanson clé de l'album. C'est probablement une des plus acoustiques du disque, mais ce fut d'une certaine manière très brave de réussir à l'écrire, et de faire comprendre à ceux qui écoutent ma musique que ce disque n'aurait rien à voir avec un album de Feeder. Quand j'ai composé cette chanson, j'avais l'idée de l'écrire pour quelqu'un. Je voulais la donner à un(e) jeune artiste qui joue des morceaux en acoustique. Mais en définitive, je l'ai gardée. Je l'ai sortie en téléchargement gratuit. J'ai pensé à la pousser davantage, en l'envoyant aux radios, car je trouve que c'est une bonne chanson. Mais au final, la sortir de la sorte a probablement eu le même impact sur l'audience. Peut-être même que davantage de personnes l'ont entendu, je ne sais pas. Mais une chose est certaine, ce n'est pas une chanson sur Taka.

Je suis juste un compositeur. Tout le monde finit un jour par écrire à propos de ses enfants.

Peux-tu nous en dire davantage sur Father Ro Son? Est-ce à propos de ton fils ou de ton père ?

Ça les concerne tous les deux, en définitive. Cette chanson raconte comment je me sens à propos de mon fils, mais elle présente également des flash-back lorsque j'étais enfant. Je n'aurai pas pu sortir cette chanson sur un disque de Feeder. C'est trop personnel. Et j'aurai pu passer pour quelqu'un de trop sentimental (Rires). Je suis juste un compositeur. Tout le monde finit un jour par écrire à propos de ses enfants.

Tu n'as jamais songé à sortir un disque plus électronique? Un peu dans l'esprit de ta collaboration avec Junkie XL ?

On trouve beaucoup de claviers sur cet album. Il y a énormément de sons analogues dessus. Toutes les basses sont faites à partir de claviers. Sur scène, la basse est réelle, mais nous utilisons aussi pas mal de sons venant de machines. Je ne voulais pas que ce soit trop électronique. Je voulais que ce soit organique/électronique. Je ne tenais pas à sonner trop retro non plus même si je suis un compositeur à l'ancienne (rires).

Tu ne joues aucune(s) chanson(s) de Feeder sur scène ?

Non.

Il y a une raison spécifique à cela?

Je respecte beaucoup le groupe et je n'ai pas envie qu'ils trouvent que j'abuse en utilisant des chansons de notre formation sans eux. Il n'y a aucune garantie qu'ils réagissent de la sorte mais ce n'est pas exclu. Je trouve aussi que je ne peux pas jouer ces chansons sans eux. Je serai de retour avec ces morceaux de Feeder à un moment, mais je suis ici pour interpréter mes chansons. Je ne tiens pas à tout mélanger. Feeder et ce disque solo constituent deux parties bien distinctes dans mon esprit.


Tu sors cette année un mini-album, Black Clouds. Est-ce que les chansons ont été enregistrées à la même époque que ton album?

Black Clouds, la chanson qui donne son nom au disque, a été écrite juste après les sessions de Yorktown Heights. Elle est assez acoustique. Elle contient une boucle musicale mais n'inclut pas de batterie à l'origine. On l'a un peu retravaillée pour la version qui se trouve sur le disque. Il inclut également quatre nouvelles chansons que j'ai composées ensuite. Au final, le disque a six chansons. Cinq inédits et une version alternative de Joan Of Arc, qui est à mon sens également une chanson clé de Yorktown heights. Je voulais que les gens la redécouvrent et reviennent vers l'album. C'est une bonne chose de sortir ce disque et d'avoir davantage de chansons à jouer pour cette tournée. Et je tenais également à ce qu'on comprenne que ce projet est important pour moi et qu'il ne constitue pas juste la sortie d'un album solo. C'est important pour moi. Black Clouds est un disque probablement plus sombre que le précédent opus. Il nécessite plusieurs écoutes pour s'en imprégner, pour rentrer dedans. Les chansons ont été bien accueillies pendant cette tournée. Je ne sais pas comment ce sera ici à Paris. C'est un disque qui sonne un peu plus live, un peu plus comme si un groupe jouait dessus. Je l'ai enregistré très rapidement.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur les musiciens qui t'accompagnent ?

J'avais besoin de musiciens qui ne jouent pas uniquement d'un seul instrument. Par exemple, le bassiste joue également du clavier. Ce sont des passionnés de musique. Ils aiment expérimenter des choses et je trouve ça super ! Ce sont surtout des amis. Deux d'entre eux sont danois et je les adore. Je tenais à ce que ces musiciens n'aient pas fait partie de Feeder, car je voulais que le show ne soit pas du tout similaire avec ce que le public a déjà pu voir dans le passé. Il y a un point non négligeable à signaler. Nous portons tous la barbe (rires).

Peux-tu nous parler de la pochette du disque ?

C'est ma fille qui l'a dessinée. Elle a presque neuf ans. Elle n'avait que huit ans lorsqu'elle a réalisé le dessin qui figure sur la pochette. Au départ, je voulais une photo, d'un endroit sauvage, un peu comme le Canada ou l'Utah. L'album était quasiment prêt et ma fille est venue me parler : « Papa, j'aimerai faire la pochette de ton disque ». J'ai laissé faire sans être certain du résultat. Et un matin, je vis son dessin alors que nous prenions le petit déjeuner, et je l'ai trouvé très, très cool. Le dessin est un peu enfantin, mais en même temps il est vraiment mature. Ça m'a tellement plu que je lui ai demandé si elle pouvait en faire d'autres. Elle en fait un pour chaque chanson. Et la pochette de Black Clouds également. Ce sont des dessins au crayon. Je les ai photographiés avec mon iPhone et j'ai demandé à un ami s'il pouvait les noircir un peu à l'aide de son Mac. Sinon, ils auraient paru un peu trop doux. Je suis vraiment très fier que ce soit ma fille qui se soit occupée de l'illustration de mes disques.

Pour finir, puis je te demander si Feeder c'est terminé ?

Non, pas du tout. Taka est parti pour un autre projet qui lui prend beaucoup de temps. Aussi je me suis dit que ce n'était pas possible de lui demander de revenir afin de travailler sur un nouveau disque de Feeder. C'est pourquoi au-delà du break, je me suis autant concentré sur ce projet solo. Je sais que ça lui manque de jouer sur scène et qu'il souhaite revenir pour un disque de Feeder. Mais chaque chose en son temps. J'aime beaucoup ce que je fais avec Feeder mais ce projet solo me plait aussi énormément. Alors je veux continuer à en profiter tant que c'est possible. Nous avons pensé à donner quelques concerts, et faire un album. Mais peut-être que ce ne sera qu'un EP ou un mini-album pour commencer. On ne sait pas encore exactement. Cela se produira probablement l'année prochaine, mais je ne veux pas trop penser à cela pour le moment. J'ai besoin de rester concentré sur ce que je fais en solo. Mais, comme tu l'as bien compris, Feeder ce n'est pas terminé.