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Editors

Interview publiée par Xavier Ridel le 4 octobre 2015

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Dix ans après leur première parution, voilà Editors de retour avec In Dream, modestement qualifié de « à la fois pop et expérimental » par leur leader, Tom Smith. Nous rencontrons ce dernier dans un hôtel de Pigalle, en compagnie de sa voix grave, de ses cernes et d'une tasse de café froid. L'occasion de revenir sur leur collaboration avec Rachel Goswell, et sur le processus de création de leur dernier-né.

Pour commencer, vois-tu cet album comme un album concept sur les rêves ?

Non. Pour réaliser un concept album il faut en premier lieu décider de la teneur de ce dernier, du concept, justement. Il faut que les membres du groupe se mettent autour d'une table, se disent « Voilà, c'est de cela que nous allons parler ». Nous n'avions aucune idée de ce à quoi allait ressembler In Dream. Enfin si, nous savions que nous allions utiliser plus de synthés, comment allaient à peu près sonner les chansons, mais du point de vue des paroles, il n'y avait rien de défini. C'est vrai qu'elles évoquent toutes les rêves, mais il ne s'agit là que du fruit du hasard.

Vous avez donc choisi le titre de l'album après avoir tout écrit ?

Oui, on a toujours fonctionné comme ça, excepté pour le troisième album en fait, maintenant que j'y pense.

90% des chansons viennent de démos que j'ai moi-même enregistrées.

Quel a été le processus d'écriture de cet album ? Les idées venaient-elles, comme avant, de toi ?

Comme sur les autres, 90% des chansons viennent de démos que j'ai moi-même enregistrées, effectivement. Mais sur ces dernières, il n'y a rien d'autre que du piano ou de la guitare, en plus de la voix. Vient ensuite le moment d'envoyer ça aux autres membres du groupe, qui travaillent dessus. Ensuite, nous avions toujours eu l'habitude d'aller à Birmingham, près de notre producteur, pour peaufiner le tout, tandis que pour In Dream, nous avons décidé de faire ça différemment et sommes partis en Écosse tous ensemble. Là-bas, avec des ordinateurs et nos instruments sous les bras, on s'est mis au boulot. Il n'y avait rien, rien d'autre que la musique, presque pas de divertissement, et c'était vraiment une belle expérience.

Combien de temps êtes-vous restés là-bas ?

Environ trois semaines et demie pour la première session, puis nous y sommes retourné dans la période de Noël. Au début nous étions partis pour jouer, simplement, et enregistrer quelques démos. Puis,à la fin des premières semaines, on s'est rendu compte que le résultat nous plaisait, sur quoi nous avons décidé de produire l'album nous-mêmes. On a donc terminé l'enregistrement lors de la seconde session. Nous étions un peu inquiets au début, puisque ayant toujours eu un producteur derrière nous pour nous guider, nous dire que faire et caetera. Là, nous étions totalement livrés à nous-mêmes, ce qui s'est avéré à la fois terrifiant et très excitant !

Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Pas tellement, si ce n'est les choix. Prendre nous-mêmes des décisions sur quelles parties de guitares garder, quelles parties de synthétiseur couper, sans aide, c'était un peu compliqué. Mais je trouve qu'on ne s'en est pas trop mal tiré, au final (sourire).


Et pourquoi avoir choisi de retourner aux sons électroniques après The Weight Of Your Love ?

Eh bien, pour cet album, il y avait de nouveaux arrivants. On a dû composer avec ça, repartir à zéro, en quelque sorte. Nous n'avions plus, comme la plupart des groupes, une histoire derrière nous, et il nous a donc fallu retourner à l'instinct, à l'énergie. Le rock était la solution à ça. Nous devions nous rassurer, nous dire que les « nouveaux » étaient capables de s'intégrer et que nous pouvions faire quelque chose ensemble. Et là, pour In Dream, nous étions prêts à réintégrer les synthés, les boites à rythmes et le reste, à faire quelque chose de presque expérimental.

A ce propos, tu décris justement cet album comme étant « à la fois pop et expérimental ». Tu pourrais m'en dire plus ?

C'est parce qu'à mon sens, il y a environ la moitié de l'album qui n'est pas apte à passer à la radio. Dans Marching Orders, par exemple, il y a trois chansons en une seule, tandis que No Harm est très minimale, avec cette boite à rythmes très simple, très répétitive. Et à côté de ça, certains titres sont très pop, comme Life Is A Fear. Celle-ci présente les mêmes caractéristiques que les susnommées, tout en étant très mélodique, avec un refrain facile à retenir. J'aime l'alliance des deux aspects, le populaire, au sens noble du terme, et l'expérimental, le réfléchi.

L'idée d'offrir une sorte de trésor caché nous plaisait.

Il me semble avoir vu que vous aviez offert No Harm en digital avant la sortie de l'album. Est-ce vrai ?

Oui. En fait, nous l'avons mise sur la compilation de notre label, Play It Again Sam. Certains fans ont ainsi pu l'écouter mais elle est restée assez confidentielle. L'idée d'offrir une sorte de trésor caché nous plaisait. Et puis le clip de la chanson est sorti, démocratisant, en quelque sorte, ce titre.

Et que penses-tu de la gratuité de la musique, le streaming et caetera ?

Je n'ai rien à apporter à ce débat. De toute manière, le monde change, personne ne peut rien y faire...

Si tu étais dans la peau d'un mec de la classe moyenne, tu téléchargerais illégalement ?

Tout ça dépendrait de l'argent que j'ai, je suppose (rires). Mais il y a une chose qui me manque beaucoup, c'est quand j'économisais de l'argent pour m'acheter un disque, parfois pendant un mois entier. Une fois la galette entre les mains, je passais des semaines à l'écouter, finissant par le connaitre par cœur. C'était une époque, sans vouloir jouer au vieux con, où on s'investissait réellement dans la musique que nous écoutions. Peu importe que tu télécharges légalement ou non, ça c'est une question monétaire, donc sans grande importance d'un point de vue artistique. Ce qui compte, c'est ta manière de ressentir la musique. Et je crois que ça, ça a changé. On consomme, on ingurgite, et c'est tout. Mais d'un autre coté, on écoute des tas de choses sur lesquelles on ne serait jamais tombé. C'est à double tranchant.

Pourquoi avoir décidé de travailler avec Rachel Goswell ?

Nous voulions une voix féminine dans cet album, et avons vu Slowdive jouer, il y a quelques temps. ça a été une claque. Tu aimes bien Slowdive ?

C'est un de mes groupes préférés.

Bien. On les écoutait souvent, au temps de la radio, particulièrement leur album Soulvaki. Alors les rencontrer, sortir avec eux, c'était plutôt cool, tu t'en doutes. Il sont un peu plus âgés que nous, mais assez semblables, dans un certain sens. Il y a beaucoup de groupes auxquels nous sommes comparés, et quand nous les rencontrons, nous ne nous trouvons aucun point commun avec eux. Avec Slowdive, c'était différent. Enfin bref, Rachel est venue en Écosse deux ou trois jours. Nous n'avions aucune idée préconçue sur sa participation, seulement l'envie d'essayer des choses, ce que nous avons fait. Elle a donné une véritable couleur aux chœurs, et sur The Law, par exemple, elle est presque la chanteuse principale, le titre s'articulant autour de deux personnages, l'un masculin et l‘autre féminin. C'était vraiment bien d'essayer ça, et je suis sincèrement heureux que ça ait marché.


Ma chanson préférée sur cet album est At All Costs. Tu peux me raconter l'histoire de ce titre ?

Je trouve qu'elle aurait pu se trouver sur l'album précédent. Elle a été composée, comme beaucoup, d'abord sur l'ordinateur, avant que nous l'enregistrions en analogique pour lui donner de la chaleur. Il n'y a pas grand-chose comme instruments dessus, et ceux-ci ont été rapidement mis en boite. Concernant les paroles, je les ai écrites en rentrant chez moi un jour, en allant voir mes anciens amis d'école. Tu sais, ce genre de personnes avec lesquelles tu as grandi, et avec qui tu n'as plus grand-chose en commun. C'est avec ces amis que tu peux t'asseoir sans dire grand-chose, et il y a une sorte d'entendement mutuel, quelque chose d'impalpable, qui fait que malgré tout, vous vous comprenez. C'est ce sentiment que nous avons essayé de mettre en musique. En résulte cette chanson assez lente, léthargique. Il faut parfois se taire, et laisser se faire les choses, juste apprécier d'être avec l'autre.

Pourquoi avoir décidé de clore l'album avec Marching Orders ?

Parce que je ne voyais rien d'autre à mettre après ça. Je te disais qu'il y avait trois chansons contenues dans une seule, et c'est vrai. C'est, à mon sens, un véritable voyage, avec ce début synthétique, puis les batteries, le break qui arrive et cet enchainement un peu disco, à la Madchester. Je ne voyais vraiment pas que mettre à la suite de ce titre.

L'esthétique de In Dream est faite de noir et de blanc. Tu pourrais m'expliquer pourquoi ?

On a toujours un peu fonctionné comme ça, en fait. Toute la partie visuelle de l'album, de la pochette aux vidéo clips, en passant par les photos promo, a été conçue par Rahi Rezvani. Il vient du milieu de la mode, et voulait me prendre en photo. J'aime le concept de travailler avec des artistes qui deviennent ensuite des amis. En temps normal, il y a un mec qui s'occupe des clips, un autre pour le graphisme et ainsi de suite. Aucun lien, aucune intimité ne s'installent. Là, Rahi s'est occupé de tout, nous lui faisions confiance, nous sentions biens avec lui. Il est à la fois comme nous, dans sa démarche artistique, et totalement différent. En fait, c'est à la fois drôle et enrichissant de travailler avec lui : il y avait par exemple ces deux machines infernales, pour le clip de No Harm, un diffuseur de fumée qui me brulait les yeux, et une machine à vent qui me soufflait sur le visage, me déformant les joues. C'était assez spécial, mais nous sommes très content du résultat, Rahi est un véritable artiste.

Pour finir, les critiques vous qualifient souvent de groupe « sombre ». Vous accordez-vous à cette idée ?

Non, enfin je ne pense pas que nous soyons aussi sombres que certains le disent. Par rapport aux choses qu'on entend à la radio, alors oui, évidemment. Il est vrai que nous aimons la tension, mes paroles ne traitent pas de dancefloors, de choses comme on en entend dans les pop songs. Mais, soit dit en passant, il y a certains morceaux qui passent à la radio que j'adore. C'est juste que ça ne vient pas comme ça : j'ai besoin de m'exprimer, et ce qui sort est parfois un peu triste, obscur.