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Daughter

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 14 janvier 2016

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Le trio britannico-suisso-français Daughter nous revient avec un excellent second album, Not To Disappear. Sans constituer une révolution musicale, le disque montre combien le groupe est monté en puissance avec ces dix nouvelles compositions. A l'occasion d'un passage à Paris en fin d'année dernière, nous avons eu la chance de rencontrer les toujours attachants Elena Tonra, Igor Haefeli et Remi Aguillela. Ceux-ci sont revenus sur leur évolution musicale et l'enregistrement de ce nouveau disque.

Vous avez beaucoup tourné avec votre album précédent. Lorsque cette longue tournée fut terminée, avez-vous fait un break ou vous êtes-vous immédiatement lancés dans l'écriture du second album ?

Igor Haefeli : Nous avons énormément tourné tout au long de l'année 2013. Nous avons fait un petit break de deux semaines à Noël, loin de toute musique. Et puis dès janvier, nous nous sommes retrouvés tous les trois et nous avons confronté pas mal d'idées musicales ensemble, mais nous avons aussi continué à tourner pendant ce temps. Nous sommes allés en Australie, au Japon avant de revenir aux États-Unis. Au milieu de tout cela, nous avons donc commencé à travailler sur cet album. En avril 2014, nous avons pu commencer à nous concentrer sur la préparation du disque. Au cours de l'été nous avons encore donné quelques concerts pendant les festivals. Puis nous avons cette fois vraiment préparé l'album sans rien faire d'autre. Nous l'avons enregistré en avril/mai l'année dernière. Il a donc fallu quasiment un an et demi pour pouvoir terminer ce disque. Mais en tout état de cause, nous n'avons donc jamais véritablement arrêté depuis la sortie de If You Leave.
Rémi Aguillela : Lorsque nous sommes entrés en studio à New York, nous étions vraiment prêts à enregistrer ce disque. Nous avions déjà tellement travaillé dessus. Nous savions ce que nous voulions vraiment et cela nous a permis de travailler dans des conditions optimales. A la différence du premier album, nous avons eu la possibilité d'enregistrer le disque dans le même espace. Ce qui fut une très bonne chose pour nous, je crois.

Nous sommes par-dessus tout contents d'avoir réalisé notre album comme nous le voulions.

Quelle fut l'ambiance lorsque vous vous êtes retrouvés en studio ? Y avait-il une quelconque pression, notamment de par l'attente de votre audience ?

Igor Haefeli : Nous savions vraiment vers où nous voulions aller. On avait eu pas mal de doutes auparavant, notamment lorsque nous avions expérimenté de nouvelles choses. On peut parler de flottement lors des premiers moments où nous avons travaillé sur ce disque. A contrario, lors de l'entrée en studio, tout était vraiment devenu très clair. Nous avons beaucoup parlé entre nous de l'attente de nos fans, et ce fut évidemment présent dans notre esprit, mais nous avons fait ce disque en grande partie pour nous. Nous nous sommes mis la pression tous seuls, avec ce désir de réaliser un grand disque. Bien sûr nous espérons que notre audience aimera notre nouvel album, mais nous sommes par-dessus tout contents de l'avoir réalisé comme nous le voulions. Ça compte beaucoup pour nous. Certains artistes, j'en suis convaincu, sortent des disques pour leur public, ce qui est génial. Mais à notre niveau, nous l'avons fait pour nous, en espérant que cela plaise à tous ceux qui nous écoutent.

Ce disque sonne beaucoup plus live que votre premier album. Est-ce que le disque Live @ Air sorti vous a influencés ?

Elena Tonra : Oui, je pense. Cette session nous a permis de nous positionner musicalement quant à la manière dont nous voulions enregistrer le prochain disque. Nous avons grandi musicalement avec tous les concerts que nous avons donnés. C'est vraiment quelque chose d'hyper positif pour nous, car nous avons su monter en puissance au fil des concerts. Je crois vraiment que ce disque fut un point de départ sur l'évolution sonore que nous avons atteinte avec tous ces concerts et qui figure donc sur Not To Disappear. Mais au-delà de cela, ce fut une magnifique expérience de pouvoir jouer avec un orchestre.
Igor Haefeli : Oui, je pense également que ce disque nous a influencés pour la suite. Ce fut définitivement une étape franchie pour nous. Mais je pense aussi que le son que l'on retrouve sur Not To Disappear provient du fait que nous avons passé du temps en studio au même endroit. Nous avons pu expérimenter pas mal de choses pendant tout ce temps, comme enregistrer plusieurs instruments qui se retrouvent dans un seul ; les parties de guitares notamment. C'est marrant que les gens disent que le disque sonne beaucoup plus live. C'est le cas d'un côté mais d'un autre pas du tout, avec tout ce travail sonore effectué en studio. Cependant ça nous a permis de renforcer cette idée du son que l'on souhaitait atteindre pour l'album et qui s'apparente véritablement à quelque chose de live. Certains instruments ont été enregistrés très rapidement, comme la batterie. Rémi savait exactement comment elle devait sonner. Par contre nous avons seulement trouvé au moment où nous étions en studio la manière dont certains instruments devaient sonner. Ce fut vraiment une manière de travailler différente de celle que nous avions adoptée pour If You Leave. On peut représenter cela par un puzzle dont on a réussi à assembler les pièces progressivement.

Votre premier album m'avait paru plus concentré autour de la voix d'Elena. Ce ne semble plus être le cas ici. On dirait même que c'est l'inverse. Vous avez laissé beaucoup plus d'espace aux instruments. Avez-vous changé votre manière de travailler ?

Igor Haefeli : J'aimerai penser qu'il y a toujours beaucoup de place dans nos compositions pour les parties vocales. Mais il y a en effet moins de chant sur ce nouvel album en général. Il y a eu moins de refrains enregistrés, moins de longs passages chantés, pas comme-ci c'était du rap, je tiens à le préciser (rires). Cela s'apparente à des chansons moins traditionnelles. J'ai beaucoup travaillé les parties de guitares des mélodies car j'avais davantage d'espace et ce n'était pas le cas auparavant.
Elena Tonra : Oui, il y a moins de slam monotone sur ce disque ! (rires)


Le disque a une sonorité plus électronique, notamment les parties de batterie de Rémi. Est-ce que la collaboration et le remix de Warpaint vous ont donné l'envie d'ajouter plus d'électronique dans votre musique ?

Igor Haefeli : Je ne crois pas que cela nous vraiment influencés, car ça a toujours été présent à notre esprit. Mais peut-être avons-nous considéré que c'était le bon moment pour le faire et que le disque avec Warpaint nous a poussés à oser le faire. Nous avons vraiment eu beaucoup de plaisir à participer à cette collaboration. Il y a déjà pas mal d'électronique déjà sur If You Leave, mais pour Not To Disappear, c'est probablement plus métallique, plus agressif, et certainement plus direct.

Comment l'idée de ce disque avec Warpaint était-elle venue ?

Igor Haefeli : Nous avons donné pas mal de concerts ensemble dans le passé, notamment à l'occasion de festivals. Nos managers respectifs se connaissent, ce qui facilite aussi les choses. L'idée est venue comme ça au cours d'une discussion entre nous. J'ai vraiment adoré cette idée, notamment de sortir juste un maxi vinyle, comme ça pour le plaisir.

Elena, est-ce toujours aussi difficile de parler des paroles de tes chansons ?

Elena Tonra : (rires) Oui, je pense que c'est toujours le cas.

Je laisse faire les choses. Elles viennent à moi.

Ah ! Je pensais surtout à Mothers. C'est quelque chose d'apparemment traumatisant pour toi la maternité. Smother, sur If You Leave est une chanson déjà incroyablement dure avec notamment ce souhait de ne jamais avoir vu le jour. Et on dirait que ça continue avec Mothers...

Elena Tonra :(rires) Je ne suis pas maman, donc je ne peux pas exactement me prononcer là-dessus. Mais Mothers est une chanson très, très étrange. Je me souviens m'être retrouvée littéralement en larmes lors de l'écriture du second couplet. Je ne pensais pas me sentir comme ça, les paroles, le sujet est venu de lui-même, alors que j'avais commencé avec un autre sujet. Sur ce disque, c'est encore une fois très personnel. Je parle de ma mère, de ma grand-mère. Parfois je réalise ce que j'ai pu écrire sur ma mère, et le fait qu'elle apprenne finalement ce que je raconte, ce doit être un peu terrible pour elle. Ce qui devait au départ s'apparenter comme une chanson d'amour devient une chanson vraiment terrible pour ma mère, à propos de sa mère. Ma grand-mère est atteinte de démence. Et cette chanson parle de tout cela. C'est vraiment très étrange. Ce n'est pas une chanson très réconfortante. Pourtant je voulais soulager ma mère en l'écrivant et finalement ce ne fut pas du tout le cas. C'est une chanson très amère. Parfois je me demande comment elle a pu prendre cette tournure. Je laisse faire les choses. Elles viennent à moi. Un sujet peut en appeler un autre et complètement transformer la chanson sans que je m'y sois préparée. Ça peut s'apparenter à des discussions avec moi-même.

C'est la première fois que certaines chansons comportent plus d'un mot dans le titre. Vous avez abandonné vos vieilles habitudes ou peut-être avez-vous tout simplement manqué d'inspiration pour qu'elles ne comportent qu'un seul mot ? (rires)

Elena Tonra : Oui, c'est ça. Nous n'étions pas suffisamment inspirés pour se limiter à un mot. Mais comment résumer Doing The Right Thing en un seul mot ? (rires)

Je ne sais pas ! (rires)

Elena Tonra : Lorsque j'ai parlé à une de mes amies de cette chanson. Celle-ci s'est exclamée: « Quoi ?! Plus d'un mot dans le titre de ta chanson, ce n'est pas possible ! » (rires). Je lui ai répondu que j'étais vraiment désolée (Rires).
Igor Haefeli : Les titres des chansons font partie des textes. Mais surtout un peu comme les parties musicales, nous avons voulu faire ce que nous voulions avant tout. Nous ne souhaitions pas nous retrouver dans la continuité de If You Leave, mais au contraire avancer dans la direction qui nous paraissait être la bonne pour nous. C'est donc une progression d'une manière générale.


J'aimerais justement savoir ce qu'est Doing The Right Thing pour vous ?

Elena Tonra : Je pense qu'être honnête avec les autres et avec nous-mêmes résume assez bien cette idée pour nous. Ne pas se sentir effrayé à l'idée d'être triste ou de laisser parler ses émotions, rester soi-même en fait, c'est ça Doing The Right Thing. Pour ma part, ce serait vraiment une déception si je m'étais retenue d'écrire tout ce que j'ai pu écrire dans mes chansons. Même si cela a pu vexer ou attrister quelqu'un, comme par exemple ma mère notamment avec Mothers. Cela constitue le fait de bien faire les choses.
Igor Haefeli : Nous aurions pu nous répéter pour ce disque. Cela aurait été nous mentir à nous-mêmes. Ce que nous avons composé, enregistré sur ce second album, c'est aussi ça Doing The Right Thing, parce que nous avons vraiment fait ce que nous avions envie de faire. Et je suis fier de ce que nous avons fait et surtout de la manière dont nous l'avons fait.

If You Leave était comme un voyage gris et brumeux. Comment décririez-vous Not To Disappear ?

Igor Haefeli : Je dirai que Not To Disappear est plus urbain. Il pourrait davantage s'apparenter à la ville, alors que If You Leave se rapprocherait plutôt d'un paysage de campagne. Je pense que Not To Disappear est beaucoup plus claustrophobe que son prédécesseur, avec ce sentiment de davantage étouffer que sur le premier album où il était plus aisé de trouver des perspectives. La couleur de ce disque est proche de l'été, mais plutôt le soir, alors que If You Leave concernait l'hiver. La tristesse qu'on trouve dans Not To Disappear n'a rien à envier à celle qui peut surgir l'hiver. C'est un peu comme se sentir seul dans une ville entourée d'une multitude de personnes totalement indifférentes à vous.

Avec If You Leave et Not To Disappear, peut-on espérer un chapitre final comme une trilogie sur la disparition ? (rires)

Elena Tonra : Absolument! Nous sommes déjà en train d'y réfléchir (Rires). Plus sérieusement, ce n'était pas intentionnel mais en effet, cela fonctionne !