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Suede

Interview publiée par Amandine le 30 janvier 2016

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Longtemps décrits comme les grands perdants de la britpop, Suede nous revenaient en 2013 après un long break. Aujourd'hui, c'est avec un nouvel album, Night Thoughts, accompagné d'un film, que le groupe fait définitivement taire toutes les mauvaises langues qui les croyaient morts. Il y a quelques jours, Brett Anderson et Mat Osman nous faisaient l'honneur de parler de ce fabuleux projet dans une suite cosy d'un hôtel parisien.

Bonjour à tous les deux. Je ne vous cache pas que je suis ravie de faire cette interview. Suede fait partie des groupes qui me suivent depuis mon adolescence et vous voir revenir, qui plus est avec un si bel album, est un plaisir...

Brett : Merci beaucoup, ça fait toujours plaisir de voir que les gens continuent à nous suivre malgré les années. Et si en plus ce nouvel album te plaît, alors que dire !

Bloodsports était pour nous une partie de plaisir.

Justement, ce nouvel album, Night Thoughts, vous pouvez nous raconter sa genèse ?

Mat : Il est d'abord né sur les cendres de notre album précédent ; Bloodsports était pour nous une partie de plaisir : on souhaitait se retrouver, ensemble, et réussir à saisir à nouveau l'alchimie entre nous, comme avant. Du coup, c'était vraiment « On est tous les cinq dans une pièce, on s'enregistre, même les premiers jets, on tente des choses un peu à l'arrache ». De ce fait, on peut dire que Night Thoughts est une réaction : ça s'était tellement bien passé pour Bloodsports qu'on a voulu remettre le couvert assez rapidement, mais d'une autre manière, plus expansive notamment. On voulait se laisser aller, se laisser pousser des ailes et ne pas se fixer de limites. Tout est parti de là... On a aussi été motivés à réagir à toute cette industrie musicale basée sur le business en 2016 où tout doit être bling bling, rapide, tape-à-l'œil, facilement consommable et digérable. A vrai dire, ce n'était même pas que l'on voulait forcément aller à l'encontre de tout ça mais naturellement, notre démarche ne s'inscrit pas du tout là-dedans et on a poussé le trait. Je crois, ou tout au moins je me plais à croire, que les gens attendent plus qu'un simple album de ce genre et que Night Thoughts pourra les intéresser en ce sens.

Cet album s'ouvre sur When You Are Young, une magnifique chanson avec une mélodie imparable : pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce titre ?

Brett : Ah ! Ça me fait très plaisir ce que tu dis parce que ce titre est très spécial pour nous. A l'origine, il est inspiré par une œuvre de Wagner, ou plutôt par une œuvre Wagnerienne car je ne me suis pas inspiré d'une œuvre en particulier. Je suis donc parti de cette idée en samplant certains passages. Cette chanson a quelque chose d'un Tomorrow Never Knows des Beatles. Je crois que When You Are Young fait partie des temps forts de l'album ; nous cherchions une sorte de thème pour Night Thoughts... Enfin non, pas un thème à proprement parler mais plutôt une mélodie qui reviendrait à un moment... et c'est le cas ici puisqu'on retrouve l'instrumentation réadaptée un peu plus loin dans l'album. Je crois que ce titre a la force de remplir cette tâche. C'est une chanson qui parle de la jeunesse, un thème qui a toujours été cher à Suede, à cette jeunesse qui file à toute vitesse sans qu'on puisse rien y faire.


Cet album, Night Thoughts, est accompagné d'un film, réalisé par Roger Sargent, un photographe de renom : l'idée de ce film pour accompagner vos musiques vous est venue initialement ou plus tard dans le processus ?

Mat : L'idée du film est postérieure à l'album. Mais quand on y repense, c'est très étrange car rétrospectivement, à l'écoute de l'album, beaucoup d'éléments suggèrent un film, enfin, que ce soit une bande originale de film, notamment dans le déroulement. Pourtant, initialement, nous n'avions pas du tout pensé à tout ça. L'idée du film était avant tout utilitaire si je puis dire : nous ne voulions pas avoir à faire des vidéos un peu moches qui n'iraient finalement pas avec la musique.

Peut-être que juste enregistrer cet album n'était pas suffisant par rapport aux titres qui y figurent ?

Mat : Exactement ! Cet album méritait un traitement spécial parce qu'on le trouve spécial. C'est un peu déprimant quand tu es fier de l'album que tu viens de faire et qu'il est ensuite décortiqué en petits morceaux pour la promotion, avec des vidéos qui n'ont rien à voir avec l'ambiance du disque.
Brett : Oui, exactement. Cette idée nous ennuyait vraiment pour Night Thoughts. Nous nous sommes beaucoup donnés pour créer et enregistrer cet album et nous avons pas mal dépensé alors il fallait quelque chose à la hauteur de tout ce travail, un peu pour le magnifier.
Mat : Donc oui, nous nous sommes dit « Faisons un truc spécial que les gens regarderont et dont ils se préoccuperont réellement. ». Faire un film est une création très personnelle et pour nous, c'est inédit. Je suppose que beaucoup de choses sur cet album restent en suspens : on ne comprend pas toujours d'où ça vient et de quoi il en retourne alors un support visuel comme un film était parfait. Cet album mérite tout cela donc même si ce n'était pas délibéré, c'est devenu une évidence à un certain moment. De tous les albums qu'on a pu faire depuis le début du groupe, c'est le seul, à mon goût, qui puisse être la bande originale d'un film ; il en a les ressources.

C'est aussi une manière très différente d'écouter un album car on le prend du début à la fin, sans sauter de titre...

Brett : Tout à fait ! Et je pense que le film apporte beaucoup car si tu entends pour la première fois l'album en regardant le film (avec ses paysages et son ambiance), tu ne l'appréhenderas pas de la même manière que si tu es chez toi, avec ton casque sur les oreilles. C'est une manière différente d'aller aux choses. C'est donc très intéressant comme approche à mon goût.

Vous avez travaillé avec Roger Sargent sur ce film : y a-t-il une raison particulière à ce choix ?

Mat : Nous le connaissions déjà et aimions son travail et le personnage. Nous avons malgré tout rencontré plusieurs personnes et Roger a attiré notre attention car quand on lui a parlé du projet, on n'avait pas l'impression qu'il prenait ça comme un travail et qu'il voulait le faire pour l'argent ou quelque chose comme ça.

Il a aimé le projet ?

Brett : Il a aimé mais au-delà de ça, dès qu'on lui a fait écouter l'album, il nous a dit qu'il avait une idée qui collerait très bien.
Mat : Je n'aime pas le mot « vision » ou ce genre de généralité mais il a en tout cas eu un déclic dès l'annonce du projet. Il nous a dit qu'il avait une histoire en tête qui accompagnerait très bien l'album et que cette histoire lui tenait vraiment à cœur. Dès lors, on s'est dit que ce serait lui car même si ça devait échouer, ça échouerait d'une manière fort intéressante.

Nous n'avons rien imposé à Roger Sargent, ne lui avons dressé aucune limite.

Vous avez pris part personnellement au processus de réalisation du film ?

Brett : Pas vraiment, on désirait lui laisser carte blanche et qu'il puisse donner sa propre vision de ce que lui inspirait la musique, sans l'influencer. Nous ne lui avons rien imposé, ne lui avons dressé aucune limite.
Mat : Je crois qu'on l'a un peu influencé en lui disant que l'on aimait beaucoup lorsqu'il nous montrait des séquences mais c'était plus intéressant que de lui expliquer de quoi parlait le titre et ce que nous attendions de la vidéo.

Donc vous pensez qu'au final, toute cette nostalgie et le parallèle entre le passé et le présent, thème récurrent du film, colle bien à votre album ?

Brett : Je crois que ça colle très bien mais ce n'est pas une interprétation littérale, linéaire et narrative des textes... et finalement, c'est probablement ce qui est le plus intéressant. C'est plutôt une interprétation libre de ce que la musique a pu faire éprouver à Robert.

Pour cette tournée, vos concerts sont divisés en deux parties bien distinctes : la première, où vous jouez Night Thoughts derrière un écran, pendant la projection du film, et une deuxième où on assiste à un concert plus conventionnel avec vos anciens titres : n'est-ce pas étrange pour vous de ne pas vous retrouver devant votre public ? Surtout toi, Brett, car on sait combien l'interaction avec les spectateurs est importante.

Brett : Je trouve ça génial, au contraire ! Le fait que les gens ne voient pas nos visages, on se sent libres.
Mat : On pourrait même jouer en pyjama, c'est génial ! (rires)
Brett : Plus sérieusement, c'est une approche de la scène totalement inédite et différente pour nous. C'est étrange, c'est indéniable. La première fois qu'on s'est retrouvés derrière ce rideau on s'est dit « Wow ! C'est très bizarre tout de même ! » mais j'ai adoré. Qu'on le veuille ou non, sur scène, on a des automatismes et des positions que l'on se doit d'adopter et là, ce n'est pas du tout le cas ; être face à un public, c'est euphorisant mais c'est aussi terrifiant de se retrouver si près d'eux et de se mettre à nu. Du coup, parfois, on en vient à porter un masque quand on est sur scène devant un public alors que derrière le rideau, vous n'avez pas la même relation avec eux. Je ne dis pas qu'on est superficiel quand on fait un concert mais on pense forcément à nos attitudes et à ce genre de détails et là, derrière ce rideau, on est tout à la musique et c'est une expérience fantastique.

Vous voyez plutôt ça comme un concert ou une performance artistique à part entière ?

Brett : C'est une sorte de concert différent de ce qu'on a l'habitude de voir on va dire.
Mat : On se sent un peu comme dans les années 20, quand un orchestre accompagnait dans les cinémas les films muets. La démarche est très ressemblante.


Comment le public a-t-il réagi lors de vos premiers concerts au Roundhouse de Londres ?

Brett : J'ai eu l'impression qu'ils avaient beaucoup aimé ! Ils étaient très attentifs et rien de ce que nous craignions n'est arrivé ; on se demandait s'ils n'allaient pas s'ennuyer par exemple, ou s'ils n'allaient pas passer leur temps à discuter sans prêter attention au film. Et en fait non, pas du tout ! Je crois que l'album lui-même est tellement différent de tout ce qu'on a pu faire auparavant que même sans le film, on ne s'attend pas à une jubilation et à une célébration. Night Thoughts est assez solennel.

On vous retrouve donc ici avec de nouveaux concepts et une volonté de découvrir de nouvelles contrées, ce qui m'amène à vous demander comment vous envisager l'avenir de Suede : où vous voyez-vous dans quelques années ? Peut-on espérer que ce retour amorcé en 2013 soit inscrit sur le long terme ?

Brett : Je crois que nos deux derniers albums ont été une si bonne expérience qu'il semble difficile d'envisager de s'arrêter en si bon chemin. Je suis d'ores et déjà très excité par ce que nous allons faire après. Je ne sais pas du tout où nous mènera le prochain album et comment ça va se passer mais j'ai très envie de le découvrir.

Votre travail aujourd'hui est-il fondamentalement différent de celui que vous meniez dans les années 90 ?

Brett : C'est une question très intéressante. Je te répondrais que oui et non. Oui car ce sont toujours les mêmes challenges que l'on s'impose à chaque album, notamment celui de toujours faire mieux, un challenge contre soi-même aussi pour que votre musique dépasse notre petite personne et devienne en quelque sorte éternelle. Mat : Je crois que nous avons tous énormément apprécié le fait d'avoir réussi à composer un disque assez difficile, on a relevé ce challenge. Alors forcément, c'est euphorisant ! Peut-être que cet album est juste pour nous, qu'il compte particulièrement pour nous mais qu'il ne connaîtra pas un succès retentissant. Peu importe, c'était important qu'on le fasse, surtout à ce stade de notre vie et de notre carrière. C'est un plaisir de découvrir que finalement, nous ne sommes pas les seuls à penser qu'un tel album était une bonne idée. Peut-être sera-t-il sous-estimé, ou pas... Peut-être que notre public le sous-estimera aussi, notamment parce qu'il n'a pas un format conventionnel, un format radio, mais les premières réactions ont été si positives que nous sommes soulagés de voir qu'il peut plaire à certaines personnes comme il nous plaît à nous. Ce sentiment de liberté est formidable, et se dire que l'on a amené notre musique jusque-là et que notre public nous y suit, c'est magique.

Vous diriez donc que c'est votre album le plus personnel jusqu'alors ?

Brett : Toi tu pourrais nous le dire, tu as le recul nécessaire. (rires)

J'ai en tout cas l'impression que vous vous êtes beaucoup investis dans le projet et ça s'entend...

Mat : Il est en effet très personnel et de toute façon, un tel projet n'aurait pas fonctionné s'il n'avait pas été personnel.

Merci beaucoup pour cet entretien, c'était très intéressant et j'ai encore plus hâte de découvrir le concert dans quelques jours

Brett : Merci beaucoup, nous avons hâte d'être à cette date parisienne qui, je l'espère, se passera bien !