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Primal Scream

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 17 mars 2016

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Une rencontre avec Bobby Gillespie, cela reste un sacré évènement. De passage à Paris pour la promo de Chaosmosis, le nouvel album de Primal Scream, le leader charismatique du groupe nous a livré un entretien passionné et passionnant sur la musique mais aussi sur l’état du monde actuel. Retour sur cette longue entrevue.

Le son du nouvel album est beaucoup plus électronique que celui de votre précédent disque, More lights. Est-ce une sorte d'hommage aux années 80 ?

Non, pas du tout. Nous avons beaucoup utilisé des synthétiseurs qui étaient reliés à des ordinateurs pour concevoir le disque. De ce fait le son du disque est bien plus électronique. Mais ce n'est pas du tout un retour vers les années 80.

Le disque débute avec Trippin' On Your Love. Est-ce un clin d'œil à Screamadelica, notamment avec ce son de percussions ?

Oui, c'est vrai qu'il y a ce rythme funky dans la chanson, et je crois bien en effet qu'on peut l'associer à Screamadelica. Mais en fait, ce n'était pas fondamentalement voulu. C'est arrivé comme ça. Lorsque nous étions en studio, notre manager nous a fait comprendre que ce serait bien si on pouvait avoir quelques singles sur le disque. Et je pense que Trippin' On Your Love est un sacré single !


Feeling Like A Demon Again sonne davantage cold-wave/new wave. Il me rappelle Echo And The Bunnymen ou The Cure...

J'adore The Cure. C'est un putain de super groupe ! Quand nous avons grandi dans les années 80, c'était la musique que nous écoutions. Aussi je pense que ça nous a influencés. Ça fait partie de notre ADN (Rires). Tu vas dans un club et tu passes un disque de D.A.F. ou de Donna Summer, comme I Feel Love, et ça met le feu à la soirée ! Je sais que tout le monde prétend aimer Donna Summer ou Giorgio Moroder de nos jours. Mais quand j'étais gamin, j'ai acheté ce disque de Donna Summer et tout le monde trouvait que c'était de la pop musique un peu cheap. Alors qu'aujourd'hui on trouve ça fabuleux. On a aimé cette musique en étant jeune et ça fait partie de nous.

Je suis vraiment dans cette démarche du rythme musical associé à des paroles très mélancoliques.

Il y a une réelle opposition entre la musique et les paroles. Du côté musique, c'est plutôt joyeux et dansant alors que les paroles s'avèrent à certains moments très sombres. Est-ce que c'est quelque chose que vous faites volontairement ?

Oui, j'aime beaucoup la dualité entre musique et paroles. Tu sais, les paroles des Four Tops ou des Supremes, par exemple dans You Keep Me Hangin' On: « Set me free, why don't you, baby? Get out my life, why don't you, baby? 'Cause you don't really love me. You just keep me hangin' on. You don't really need me. But you keep me hangin' on » ou dans Stop In The Name Of Love: « Stop in the name of love before you break my heart », elles sont tragiques ! Mais elles ont une telle énergie ! Leur tempo est absolument génial. Aussi, je pense que c'est un peu la même chose en ce qui nous concerne. Je suis vraiment dans cette démarche du rythme musical associé à des paroles très mélancoliques. Je pense que ça me ressemble vraiment. Je pense être quelqu'un d'un peu triste, pas dans le sens pathétique ou dépressif, mais plutôt avec une certaine mélancolie. Peut-être qu'on pourrait appeler ce disque : dépression extatique. (rires)

100% Or Nothing sonne vraiment très New Order. Même ta manière de chanter se rapproche de celle de Bernard Sumner...

Bernard fut une de mes inspirations quand j'ai décidé de me mettre à chanter. C'est Elliot Davis, l'ex manager de Wet Wet Wet à Glasgow, qui nous a découverts. Un des amis le connaissait. Il avait une collection de disques absolument incroyable : punk, soul music, tout ce qui était underground. Il avait énormément de disques d'Al Green également. Il était à l'université mais il travaillait dans un magasin de disques. Il a connu un succès phénoménal avec Wet Wet Wet. Lorsque nous avons créé Primal Scream, il a reçu une cassette démo de nos chansons et je me souviens qu'il m'a dit après l'avoir écouté: « Tu sais Bobby, tu ne pas chanter dans ce groupe. On dirait Bernard de New Order ». Je lui ai répondu : « Qu'est-ce que tu veux dire, je ne peux pas chanter ?». « Eh bien Bernard non plus, il ne peut pas chanter. Al Green peut chanter, lui.». Et je lui ai répondu: « Tu sais, on est des punks. Alors ! ». Je n'ai jamais suivi son conseil (rires). Je réécoutais il y a peu des albums de New Order dans la voiture et j'ai trouvé que Bernard avait une voix incroyable !

As-tu un souvenir à nous raconter de l'enregistrement de Rock The Shack avec New Order ?

Nous étions au studio Hook End dans l'Oxfordshire. C'est à la campagne et tous les membres de New Order étaient là. Bernard m'a donné les paroles de la chanson. Je n'avais qu'à les chanter. Andrew Innes (ndlr : guitariste de Primal Scream) a joué de la guitare sur le morceau. Je me souviens qu'avec Hooky, ils ont enregistré des parties de basse. Le son de la basse de Peter était vraiment extraordinaire. Il remplissait tout le studio. C'était magnifique. Nous avons passé la nuit là-bas, dîné ensemble, c'était super. Ça reste un véritable honneur qu'ils m'aient demandé de chanter sur cet album. On a joué une fois sur scène avec eux également. Nous devions être leur première partie sur trois dates mais après la soirée à l'issue du premier concert, j'étais totalement fracassé ! Nous avons donc dû annuler notre participation pour les deux autres dates. C'est dommage.

Private Wars est une magnifique balade acoustique. Ça fait longtemps que vous n'avez pas sorti une chanson aussi tranquille. C'est assez inattendu, surtout par rapport au reste de l'album...

J'adore cette chanson, je peux te le jurer ! La plupart des chansons de l'album nous sont venues très rapidement. Lorsque nous les avons expérimentées en studio, il y avait une sacrée atmosphère et j'étais très inspiré pour les parties musicales avant même que l'on s'occupe des parties vocales. Private Wars est un des morceaux qui ont abouti très vite, même pour ce qui est des paroles. Ce fut un processus assez pur qui n'a pas nécessité de réelle réflexion. Je pense que j'ai simplement répondu aux sensations qui étaient en moi. C'est une très belle chanson. Les paroles viennent un peu la salir, mais il fallait bien chanter (rires).


Dans Golden Rope tu chantes : « There's a plague on the land. We're all touched by the man with the plan... Halellujah ! Hallelujah ! Hallelujah ! ‘Til the Kingdom falls ». C'est contre Dieu ?

C'est très sarcastique. Ça pourrait être en effet adressé aux fondamentalistes. Je pense qu'il n'y a plus de solidarité dans le monde actuel. Il y a eu énormément de mouvements dans les années 50, 60 et 70. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Tout est maintenant relié aux fanatiques capitalistes qui ont pris le contrôle de la planète. La terre est sans cesse détruite. Les gens et surtout les jeunes sont très en colère. Ils deviennent les vassaux de certains, notamment des religieux qui prétendent vouloir changer le monde. Ils ne font en fait que profiter de cette colère pour ruiner le monde de sa beauté. Je pense que le capitalisme a créé cet état de peur, cette masse de désespoir chez les gens. Ils ont contribué à créer le besoin, que ce soit pour le sexe, la mode, le rock'n'roll, le glamour, Hollywood... Les masses populaires se sentent rejetées à cause du capitalisme. Et l'espoir renaît pour ces désespérés avec ces religieux qui leur promettent monts et merveilles et leur permettront ainsi de prendre une revanche sur l'existence. Enfin, c'est ce qu'ils croient. La jeunesse en colère est manipulée par des personnes malfaisantes. C'est la même chose pour les soldats avec tout ce qu'on leur inculque. Généralement, ils n'ont pas de travail, sont jeunes et en colère. C'est la même cible que celle des fondamentalistes. Ce n'est pas la religion qui conduit ces hommes à tuer, c'est avant tout la colère. En Europe, nous avons des fascistes, des partis nationalistes, et c'est la même chose, ces personnes qu'ils entraînent sont en colère. Cette colère détruit tout sur son passage. 1% de la population détient 99% des richesses. Alors, tu imagines combien cela peut s'avérer facile de recruter des personnes qui ne croient plus en rien et qui n'ont plus rien à perdre. Il n'y a plus d'investissements dans les services publics, les usines ferment les unes après les autres. On préfère produire en Indonésie parce que ça coûte moins cher. Les migrants arrivent de partout car ils ne possèdent rien. Et eux non plus n'ont rien à perdre. La situation est devenue sérieusement inquiétante. Ces masses de migrants rappellent les exodes en temps de guerre. C'est terrible.

Si tu es une personne censée, tu peux facilement absorber informations, données, images, mots...

Chaosmosis, le titre de l'album, est la contraction de chaos et d'osmose. Tu penses qu'il est possible d'être en osmose lorsqu'on est dans le chaos ?

Oui. Si tu es une personne censée, tu peux facilement absorber informations, données, images, mots... Le problème c'est la surcharge qu'elle entraine. Surtout de nos jours avec les smartphones, les ordinateurs connectés 24 heures sur 24. A Paddington, il y a ces écrans avec les nouvelles de la BBC news défilent non-stop. C'est comme de la propagande de ce putain de gouvernement! Tu n'as plus besoin de penser. On te dit ce que tu dois penser, ce que tu dois acheter, ce que tu dois porter ! A mon sens, le fait d'être artiste fait de ce « chaosmosis » un processus créatif. Quand tu regardes le chaos dans le monde, au lieu de te lamenter sur les choses qui t'arrivent, qui te rendent négatives, tu peux au contraire transformer cela en œuvre d'art et l'utiliser comme une arme contre tout ce qu'on a pu te jeter à la gueule.

La pochette est assez colorée. Il y a une signification derrière tout ça ?

Je n'en ai aucune idée ! (rires) A mon avis oui, mais je ne la connais pas.

Il y a des invités sur l'album. On trouve Rachel Zeffira ainsi que Sky Feirrara sur le disque. Peux-tu nous expliquer comment ces collaborations ont pu aboutir ?

Je suis fan de The Horrors et je suis ami avec eux. J'aime aussi beaucoup Cat's Eyes. J'étais présent en tant que DJ à leur tout premier concert. Je connais Rachel depuis longtemps. C'est quelqu'un de très talentueux. Elle joue du violon et chante sur le disque. C'est comme une chanteuse d'opéra. Sa voix est incroyable. J'ai rencontré Sky en 2014. J'avais discuté avec son agent américain. Je lui ai fait part de mon envie d'un duo pour une chanson. Il m'avait répondu que le manager de Sky serait dans son bureau la semaine suivante et tout s'est enchaîné rapidement ensuite d'autant qu'elle est fan de Primal Scream. Elle est venue en studio à Londres et nous avons commencé à travailler. Nous avons commencé avec une chanson pour son prochain album puis nous nous sommes occupés de Where The Lights Gets In.

Je voulais te demander ce que tu penses de la reformation de The Jesus And Mary Chain et de leur tournée Psychocandy, sans toi ?

On m'a demandé de venir jouer avec eux. Ils voulaient que je sois présent pour le concert de Londres. C'est une longue histoire, trop compliquée à expliquer... C'est dommage, car ça aurait été une bonne chose de jouer avec eux une fois encore. Je suis tout de même allé au concert au Troxy avec mon frère et c'était super !

Je pense que tu étais un grand fan de David Bowie. Comment as-tu vécu sa disparition ?

Je me suis réveillé à 7h du matin, j'ai allumé mon téléphone et j'ai vu les photos sur Instagram. Tout le monde postait des photos de David Bowie. J'ai alors compris qu'il était mort. Je suis allé sur mon ordinateur et j'ai vu toute cette masse d'informations sur sa disparition. C'était terrible. (Silence). J'avais passé Rebel Rebel à 4h du matin le jour même de l'annonce de sa disparition. C'est juste fou. Il va énormément manquer.