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HÆLOS

Interview publiée par Cassandre Gouillaud le 22 mars 2016

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Lorsque HÆLOS arrivent à Paris en plein milieu du mois de février, on ne sait finalement que peu de choses d’eux. Le trio londonien, constitué de Lotti Benardout, Arthur Delaney et Dom Goldsmith, ne fait pas tant parler de lui et reste bien difficile à cerner. Pour autant, il signe aussi l'un des albums les plus fascinants de ce début d'année, Full Circle, emmené par une électro éthérée et hypnotisante. Rencontre avec les trois membres qui nous dévoilent les clés de lecture de leur premier effort, ainsi que les dessous de leur dynamique de groupe.

Vous étiez déjà tous impliqués dans divers projets musicaux avant de former HÆLOS. Comment vous êtes-vous rencontrés et avez commencé à travailler ensemble ?

Lotti : Dom et moi nous sommes rencontrés par des amis en commun. On était en train de travailler sur plusieurs projets à cette époque, et il se trouvait qu'il avait besoin d'une chanteuse pour l'un des siens. Nous nous sommes revus en studio, et nous avons décidé de continuer à enregistrer ensemble pendant environ un an et demi. Quant à Dom et Arthur, ils enregistraient aussi ensemble et avaient les mêmes relations à Londres. Il y avait ces deux projets qui se développaient simultanément. Un soir, on s'est dit qu'on pourrait essayer de travailler tous ensemble. Je crois qu'à l'origine, on voulait juste enregistrer une chanson et voir ce qu'il en ressortait. Cette chanson, c'est ce qui est devenu Dust. On a presque instantanément ressenti une sorte de connexion entre nous. Les deux projets ont fusionné et se sont complétés, nous permettant de trouver un parfait équilibre.
Arthur : On sentait qu'il y avait une bonne dynamique lorsqu'on travaillait ensemble. Puis j'ai déménagé, et j'ai réalisé que je vivais dans la même rue que Dom, ce qui était une coincidence un peu folle. (rires) Je ne sais pas si tu crois au destin, ou des choses comme ça, mais on a tous commencé sur des chemins différents, qui se sont rencontrés pour ne former qu'un. Il y avait une sorte de schéma binaire, entre Lotti et moi qui travaillons tous deux avec Dom, puis tout cela a fusionné sur Dust. Je pense que nous l'avons tous trois ressenti comme une évidence. C'est arrivé que d'autres personnes entrent dans la pièce pendant que nous étions en train d'écrire, et nous disent « wow, vous dégagez une énergie incroyable ensemble ». Je ne pourrais pas l'expliquer, mais lorsqu'on travaille à trois, il y a quelque chose qui se passe.

Au tout début, vous n'étiez pas HÆLOS, mais Halos. Pourquoi avoir décidé de changer de nom ?

Lotti : En fait, on s'est rendus compte qu'il y avait déjà un groupe aux Etats-Unis qui s'appelait Halo.
Dom : On aurait dû y penser, qu'il y aurait un groupe de rock chrétien qui avait déjà pris ce nom. (rires)
Lotti : Nous n'avions pas formé HÆLOS depuis très longtemps quand nous l'avons réalisé. On venait tout juste de mettre Dust en ligne. Finalement, on aime beaucoup plus notre nom depuis que nous l'avons changé. Il nous semble plus juste.


Vous avez justement attiré beaucoup d'attention lorsque vous avez mis Dust en ligne. Comment avez-vous réagi à ce succès ?

Lotti : En réalité, nous n'avions pas tellement d'attentes, et on ne l'a pas mis en ligne en espérant être remarqués. Nos amis et les gens qui nous entouraient étaient intéressés par ce que l'on faisait, mais on ne s'attendait pas à un tel succès.
Dom : C'est toujours agréable que d'autres personnes nous confirment qu'ils aiment notre musique, mais on a surtout essayé de garder la tête froide et de rester concentrés sur ce qu'on voulait faire. On travaillait tellement que je pense qu'on ne réalisait pas ce qu'il se passait. En fait, c'était presque devenu trop distrayant.
Lotti : Je pense quand même que cela nous a incité à travailler plus vite. Il fallait qu'on sorte d'autres chansons et qu'on continue à travailler, parce que d'un coup, ce que l'on ressentait dans cette pièce, des personnes à l'extérieur pouvaient le ressentir aussi.
Dom : On a aussi soudainement eu des tonnes de rendez-vous avec ceux qui travaillent dans l'industrie...
Arthur : Tout cela alors qu'on était enfermés dans notre bulle créative. On en est presque venus à se dire « Oh non, encore un rendez-vous ? ». (rires)
Dom : On peut d'ailleurs remercier notre équipe, parce que quand nous les avons rencontrés, ils nous ont libéré d'un poids énorme. Ils nous ont sorti de ce cercle infernal de rendez-vous, et on leur est très reconnaissants pour ça.

Fut un temps où vous n'aviez pas encore de photos de vous à transmettre à la presse, et vous avez simplement décidé de photocopier vos visages et de leur envoyer. Le résultat étant assez flou, beaucoup ont dit que vous cherchiez à renforcer une sorte de mystère autour de vous. Était-ce le cas ?

Arthur : C'est incroyable, car dès que les gens n'ont pas d'informations, cela devient immédiatement un mystère. C'est systématique.
Dom : La vérité, c'est qu'on ne pouvait même pas se permettre de payer de vraies photos.
Arthur : Je crois qu'on a juste été honnêtes au final, on a fait quelque chose avec les moyens du bord parce qu'on ne pouvait pas faire mieux. Cette histoire de photo a pris un sens étrange. Là, il se trouve que le rendu est un peu brouillon, mais c'était un pur accident. Le problème, c'est que j'adore HÆLOS, et j'adore travailler avec Lotti et Dom, mais on ne peut pas être honnêtes sans que cela ne génère des commentaires bizarres. Personnellement, je crois que si tu es honnête envers toi-même, il n'y a que de bonnes choses qui peuvent en sortir. C'est d'ailleurs une philosophie que nous avons essayé de conserver tout au long du processus de travail, comme un ethos.

Pour en arriver à Full Circle, j'ai lu que vous aviez qualifié votre travail en studio de « douloureux ». Est-ce que vous pourriez revenir sur la manière dont vous avez travaillé ensemble sur cet album ?

Dom : Tu sais, parfois, tu en arrives au point où tu te sens émotionnellement très fragile. On a travaillé pendant tellement d'heures sur cet album, et quand tu es fatigué, tu peux être énervé ou triste sans aucune raison. Tu injectes constamment ces émotions dans la musique. Tu les ressens à longueur de journée. Cette fatigue veut aussi dire qu'il y a parfois des moments qui sont très douloureux, et qui le sont d'autant plus quand tu essaies de les exprimer. Cela peut t'amener à ressentir des conflits internes, comme des plaques tectoniques qui se déplacent et se rencontrent. Ces conflits produisent de l'énergie qui se libère, et à ce moment, ça se finit en sang. (rires) Puis ce cercle recommence, et à chaque fois, tu réapprends à connaître l'autre. Tu t'excuses, parce qu'il faut le faire, et tu reconstruis une relation. Tout cela revient tout le temps, et nous renforce constamment.
Arthur : C'est comme un reflet de ce que nous voulons être en tant que groupe. C'est de cette manière que nous voyons le monde, et c'est ainsi que notre musique peut y être liée. Il s'agit toujours de créer des connections et de revenir à ces forces primaires. Une grande partie de cet album traite de la sensation d'être aliéné de l'amour, d'en faire le deuil, puis d'essayer de le récupérer. Être pleinement soi à nouveau. On voulait que notre travail soit introspectif, honnête. Les sensations et les émotions faisaient partie des choses que l'on tenait à transmettre à travers Full Circle. C'est l'album à travers lequel nous revenons à ce que nous sommes. Parfois, tu as des questions, mais tu ne veux pas en connaître les réponses. Parfois, elles sont difficiles et blessent. Je pense qu'en tant qu'artiste, tu dois vivre cette expérience, la capturer, la donner au public et lui dire « voilà ce que nous ressentons, voilà ce que nous avons vécu ; nous l'avons contenu et c'est maintenant à vous de le sentir ».

Les sensations et les émotions faisaient partie des choses que l'on tenait à transmettre à travers Full Circle.

Comment appréhendez-vous l'idée de vous révéler si intimement à un large public ?

Arthur : Ça repose toujours sur un rapport individuel pour nous, ce qui nous permet de maintenir cette intimité. Même sur scène, nous avons cette sorte de philosophie, qui ne fait pas de différence entre une personne et 10 000. C'est le même concert, les mêmes chansons, les mêmes sensations. Ça ne change jamais vraiment.
Lotti : On a passé l'année dans un environnement très intime, principalement en studio. Même si on a joué quelques concerts, 2016 sera très différente pour nous sur ce point. Il va falloir qu'on prenne la route et qu'on soit un peu plus extravertis.

Puisque l'on parlait d'amour tout à l'heure, sur la première chanson de l'album (Intro/Spectrum), on peut entendre un extrait d'une lecture d'Alan Watts, « The Spectrum Of Love ». Qui a eu l'idée de l'inclure sur l'album ?

Arthur : Dom avait beaucoup d'admiration pour lui, et nous l'a fait découvrir.
Dom : Nous étions en pleine phase de mixage, et plus on avançait, plus on voulait ajouter des choses. Je crois qu'on cherchait à inclure un synthé et à faire quelques arrangements pour étendre le début de Pray. On voulait une nouvelle chanson qui serait aussi l'introduction de l'album. Arthur était sur son portable, et est tombé sur « The Spectrum Of Love ». Il nous l'a fait écouter, comme je ne la connaissais pas non plus, et c'était vraiment merveilleux.
Arthur : C'est le fil conducteur de tout l'album, cette façon dont les hommes essaient d'établir des connections avec l'univers, par le biais de la religion et des choses comme ça.
Dom : Imagine être cette personne qu'il décrit comme transpirant l'amour, le donnant à l'univers sans rien attendre en retour. Ce serait incroyable. Tu imagines ce que cela nous apporterait ? Ce serait un tel progrès. On a choisi un extrait de cette lecture, et il se trouve qu'elle s'est bien intégrée à l'ensemble. L'expérience en elle-même était géniale, car on a pu échanger quelques mails avec le fils d'Alan Watts, qui nous a accordé le droit d'utiliser le travail de son père. C'était vraiment bien. Si tu ne le connais pas, tu devrais y jeter un œil. Il y a une autre de ces lectures qui m'a beaucoup inspirée, qui parle de musique et de la vie. Elle dit que nous sommes programmés pour une fin, mais que nous passons à côté du principal. Nous oublions de vivre dans l'instant présent. Il faut se souvenir que ce qui est dans le futur n'existe pas en réalité, ce n'est qu'une projection dans nos esprits.

La plupart des morceaux de l'album sont dotés de structures complexes, qui laissent entrevoir de nombreux arrangements et couches musicales. Comment déterminez-vous le moment où il faut vous arrêter ?

Lotti : Quand chaque personne dans la pièce parvient à en être satisfaite, c'est terminé. Ce n'est pas toujours facile d'y arriver. On va tous quitter le studio en pensant que c'est terminé un jour, et le lendemain l'un d'entre nous reviendra en disant que non. Il faut vraiment que nous ayons tous les trois la sensation que nous sommes arrivés au bout.
Dom : C'est presque un art de connaître le point où il faut tout lâcher. Sur certaines chansons, qui ne sont pas sur l'album, on l'avait clairement dépassé. C'est comme tourner dans la mauvaise rue, ou comme être distrait en voiture et se retrouver par erreur dans une autre ville.
Arthur : Je le vois un peu comme prendre une photo. Tu choisis le point où tu veux la prendre et la donner au monde. Il y a des moments où tu penses qu'il y a encore plus à faire, où tu te dis « j'arrêterai de jouer dans une autre vie ». Mais lorsque nous avons tout les trois cette sensation d'accompli, c'est le bon moment. Au contraire, si jamais l'un d'entre nous ne l'aime pas, ce sera de pire en pire une fois révélée au public.
Lotti : Maintenant que j'y repense, je crois qu'il n'y a pas une chanson dont nous ne sommes pas tous satisfaits sur cet album. On a tous eu des moments où on n'était pas satisfaits de certains passages, mais justement, c'est quand quelqu'un arrive à dire que ça ne va pas qu'on peut en arriver au meilleur.
Arthur : Ces moments nous permettent de renforcer la confiance que nous avons les uns envers les autres. C'est grâce à cela qu'on peut oser casser la dynamique et dire que ça ne va pas, même si à chaque fois on en est vraiment désolés. (rires)
Dom : C'est dur d'être celui qui ruine tout, mais c'est comme ça que nous trouvons notre équilibre. Je crois que c'est la même chose entre les humains. Tu peux avoir des problèmes et te retrouver à vaciller, mais l'important, c'est de communiquer.
Arthur : La communication fait tout. Les conflits viennent de notre incapacité à admettre que l'on a tort, ou à faire des concessions. Je crois que l'autre ethos de notre groupe est que nous partons de loin, parfois de très mauvais endroits, et nous cherchons à travers la musique un moyen de nous sentir bien à nouveau. On s'extirpe d'une mauvaise passe pour retrouver un peu de sérénité. Ce mouvement influence beaucoup sur la façon dont on a travaillé sur cet album.

Il faut vraiment que nous ayons tous les trois la sensation que nous sommes arrivés au bout.

Vous avez nommé cet album Full Circle, faut-il y voir une référence à toutes ces dynamiques qui se répètent sans cesse ?

Arthur : C'est comme essayer de revenir à une vraie version de toi-même. Je crois qu'en chacun d'entre nous il y a des éléments créatifs et destructeurs, éléments qui sont particulièrement amplifiés chez les artistes et les musiciens. Nous avons tous ce côté destructeur que nous essayons de le discipliner. Heureusement, même si nous détruisons beaucoup de chose, nous pouvons les reconstruire, et essayer de les améliorer à chaque fois. Tout cela, c'est un processus circulaire, comme la nature. Tu vis quelque chose, et soudain, tu te dis « je crois que j'ai déjà traversé cela, je dois faire mieux cette fois ». C'est même dans la nature des chansons : si tu en aimes vraiment une, tu reviens sans cesse au début. On aimerait que les gens vivent notre album comme ça, qu'ils l'écoutent une fois du début à la fin, puis une autre, encore et encore.


Cette circularité, j'ai l'impression qu'elle est aussi présente musicalement, à travers ces motifs qui reviennent sans cesse jusqu'à en devenir oppressants...

Dom : C'est partout dans ce que nous faisons. C'est très inconfortable, et ça relève presque de la claustrophobie. Nous aimons tout ce qui se répète incessamment, comme un arpège par exemple, et ces moments où tu as juste une note autour de laquelle s'articulent plusieurs motifs.

Vous allez beaucoup tourner cette année, à commencer par les Etats-Unis au printemps. Cet album était-il facile à adapter à la scène ?

Dom : C'est plus un challenge. Nous avons la chance d'être accompagnés par trois musiciens formidables sur scène ; on est même honorés de pouvoir travailler avec de telles personnes. Cela nous permet de nous réinventer sans cesse. On est présentés comme un groupe électro, et c'est ce que nous faisons, mais on ne veut pas avoir l'air d'une publicité géante pour Apple à chaque fois qu'on monte sur scène. On veut que ce soit aussi live que possible, et pour le coup, cela impliquait d'avoir un peu plus de monde avec nous.
Arthur : Je crois que nous en sommes au point où nous aimons vraiment jouer en live, et nous essayons de le faire autant que possible, mais on aime aussi voyager léger et toucher autant de personnes que possible. Je pense que nous allons travailler sur des versions un peu plus simples et épurées de Full Circle pour l'adapter à la scène.
Dom : Ça nous permet aussi de tourner plus, car il faut bien voir que malheureusement, c'est extrêmement cher.
Lotti : C'est aussi excitant, dans le sens où ça nous permet de réactualiser l'album et de présenter autre chose au public.
Dom : On n'arrête vraiment jamais de travailler.
Lotti : Avec nous, c'est toujours « Super, de nouveaux projets ! ». (rires)