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Cat's Eyes

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 27 juin 2016

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Cinq ans après un premier album éponyme, Faris Badwan et Rachel Zeffira sont de retour avec un second disque de Cat’s Eyes. Si celui-ci avait été toutefois précédé l’année dernière par la bande originale du film The Duke Of Burgundy composée par le duo, c’est avec leur propre second disque, Treasure House qu’ils nous reviennent cette fois. Bavards et pétillants les deux artistes nous ont parlé de leur album, de musiques de films, de vidéo clips et d’un passage à Buckingham Palace qui a fait pas mal de bruit.

Quand avez-vous décidé qu'il était temps de composer un nouvel album ?

Faris : Nous avons commencé à l'écrire alors que nous n'avions pas terminé notre premier disque. Nous avons même commencé à l'enregistrer avant de nous occuper du premier, ce qui est stupide ! (Rires) Ça nous paraissait super d'avoir déjà un autre disque alors que rien n'était terminé pour le premier. De ce fait, nous avons bossé sur celui-ci depuis pas mal d'années. Nous nous sommes arrêtés entre temps pour nous concentrer sur la bande originale du film The Duke Of Burgundy. Mais en fait, nous composons ensemble en permanence. En vérité, nous n'avons jamais décidé de faire un second album. Nous avons simplement continué à travailler ensemble sans nous arrêter. On fait ça par plaisir.

Vous avez donc composé la bande originale du film The Duke of Burgundy. Comment cela s'est-il fait ?

Faris : Peter Strickland, le réalisateur du film, connaissait notre premier album et a pris contact avec nous juste pour nous rencontrer. Trois mois plus tard, il nous a proposé de lire le script du film. Celui-ci nous a beaucoup plu et nous avons commencé à échanger à propos de la bande originale et nous nous sommes mis à travailler dessus.
Rachel : Il nous a impliqués dans l'intégralité du projet. Après la lecture du script, nous avons commencé à écrire des chansons pour les différents caractères du film. Nous imaginions la maison dans laquelle celui-ci allait se passer. Il nous alors envoyé des photos de la maison en question.
Faris : Le script était très visuel. Il décrivait parfaitement ce que Peter avait en tête pour le film.
Rachel : Parfois, cela pouvait s'avérer un peu différent de ce qu'on imaginait à la lecture de celui-ci, mais au final nous voyions très souvent ce qu'il souhaitait faire. Son film est si riche. On a eu énormément de chance que ce soit notre première bande originale de film à cause de ce rapport entre le visuel et notre musique. Il nous a laissé beaucoup de liberté. Ce fut une très bonne expérience.

La bande originale est très orchestrée et n'est pas psychédélique comme votre premier album. Faris nous a appris que plusieurs chansons ont été écrites avant même que votre premier album soit enregistré. Pourtant on a l'impression que le son de The Duke Of Burgundy a laissé des traces sur Treasure House. Est-ce que c'est finalement le son que vous recherchiez depuis vos débuts ?

Rachel : Nous avons enregistré les chansons il y a très longtemps...

Notre son actuel est le résultat de cinq ans de travail ensemble.

Mais vous n'avez rien changé du tout ?

Faris : Nous avons changé des choses mais la base des chansons était écrite depuis nos débuts.
Rachel : La seule chanson que nous avons écrite après la bande originale, c'est Teardrop, qui clôture l'album. Les deux albums sont si différents. La bande originale est la capture de l'esprit de quelqu'un d'autre que nous, alors que nos deux albums sont très différents l'un de l'autre. Cela ne change toutefois rien pour nous.
Faris : Notre son actuel est le résultat de cinq ans de travail ensemble. Nous avons essayé des choses mais qui nous ont finalement lassés et nous sommes passés à quelque chose d'autre.
Rachel : Nous aimons les challenges.
Faris : Si nous faisions un autre disque maintenant, il serait totalement différent, j'en suis certain. Même si nous aimons notre son actuel, nous ne désirons pas refaire la même chose. C'est juste nous, confrontant des idées et prenant plaisir à jouer ensemble.

Faris, j'ai l'impression que tu chantes davantage sur ce disque ?

Faris : C'est possible, oui.
Rachel : Les chansons étaient plus courtes sur notre premier album. Elles ne duraient souvent pas plus de deux minutes. Ici elles sont plus longues e doivent donner cette impression que Faris chante davantage.

Comment se passe l'écriture des chansons? Y a-t-il un partage des tâches ?

Rachel : Nous formons vraiment une équipe en tant que Cat's Eyes. C'est vraiment du 50/50. Il y a peut-être en effet une chanson que j'ai composée seule, mais pour le reste tout s'effectue sous forme de partage. Aucune chanson ne se fera sans l'apport de quelque chose par l'autre. Cela peut-être simplement quelques paroles qui changent ou qui sont ajoutées voire des accords musicaux, mais il y a vraiment cette notion d'échange et de partage entre nous. Aucune chanson ne sera composée sans la collaboration de nous deux.
Faris : Tu possèdes ce don de réussir à rentrer dans la tête des autres. Tu sais pertinemment ce que nous devons faire ensemble, ce qui va marcher et ne pas marcher dans une composition, ce que je pourrai faire ou changer dans un morceau. C'est très précieux pour réussir à travailler ensemble.
Rachel : C'est vrai ce que tu dis là. Il y a de toute façon cette connexion entre nous qui fait que même si tu n'es pas présent pour m'accompagner dans l'écriture d'une chanson, tu es là à 100%. Parfois j'enregistre toute la partie orchestrée, et je la trouve parfaite. Je te la fait découvrir et finalement tu la modifies, parfois même radicalement, et le résultat s'avère toujours meilleur. C'est ça Cat's Eyes !
Faris : Par exemple, Treasure House, nous l'avons commencée très simplement avec moi à la guitare. C'était une demo très simple et sans Rachel je l'aurai probablement abandonnée. Je la trouvais tellement banale et inintéressante, mais elle plaisait à Rachel. Elle lui a ajouté toute la partie orchestrée et c'est devenu une toute autre chanson. Sans cela, elle n'aurait jamais figuré sur l'album.

Drag et sa vidéo ultra violente vient d'être dévoilée. Qui a eu cette idée ?

Rachel : Au début, nous avions pensé à quelqu'un qui nous observe, comme un voyeur. Ce sont les paroles de la chanson qui nous avaient donné cette idée. Et puis, le fait qu'on nous observe en train de sauter sur le lit nous a fait changer d'avis.
Faris : Nous sommes partis sur quelque chose de surréaliste vis-à-vis des gens qui spéculent sur la relation homme-femme. On ne voulait pas faire quelque chose d'idiot, parce que ça ne nous ressemble pas.
Rachel : Finalement nous avons opté pour le fait de se frapper, ce qui peut s'avérer choquant même si cela relève de la fiction.
Faris : C'est partiellement fictif (Rires). L'eau de javel, c'est de la fiction (Rires). Dans la pièce où nous avons tourné ce clip, c'était très intense. Lorsque Rachel a crié à la fin de la vidéo, tout le personnel dans la pièce est devenu entièrement silencieux. Ils ont vraiment été très perturbés par ça (Rires).
Rachel : Nous avons également cherché à être égaux dans le clip.
Faris : Oui, il n'y a pas de victime dans celui-ci. Nous nous attaquons mutuellement. Personne n'est exploité. Nous sommes tous les deux des personnes horribles.
Rachel : Nos parents ont détesté la vidéo (Rires).
Faris : Ma mère était contente de me voir passer la serpillière car c'est si peu courant (Rires).
Rachel : C'est étrange cette réaction car on voit énormément de violence à la télévision. Dans les films de Tarantino par exemple, ou certaines séries, même dans le journal TV, on voit des tonnes d'images violentes tous les jours. Et quand on voit une vidéo comme la nôtre, on réagit comme si c'était incroyable de voir autant de violence.

Le disque a des moments très cinématographiques. Est-ce que le cinéma vous influence ?

Rachel : Complètement, oui. J'ai toujours aimé les bandes originales de films. La musique de Mission composée par Ennio Morricone m'a donné l'envie d'apprendre à jouer du hautbois. Je pense que, même accidentellement, les musiques de films sont très souvent dans ma tête. Elles constituent une grande influence, pas spécifiquement, mais j'ai toujours aimé ça; les anciennes tout au moins. De nos jours elles sont bien moins intéressantes, probablement car on ne compose plus les bandes originales. Le cinéma possède maintenant une très grande équipe chargée des musiques et des arrangements pour les films, mais ce ne sont pas des compositeurs qui y figurent. Il y a beaucoup de bandes originales qui sont exclusivement électroniques, principalement parce que cela revient moins cher à réaliser qu'avec des orchestres. Morricone était très expérimental avec ses bandes originales. Il utilisait parfois juste quelques notes pour un thème et c'était magique.

Je pense que lorsque tu aimes quelque chose, ça reste en toi et ça peut t'influencer.

Tu as déjà mentionné Teardrops tout à l'heure. Pour moi cette chanson est très cinématographique. Elle me faisait penser à un morceau de Julee Cruise...

Rachel : Oui, tu as raison. Tu es la première personne à m'en parler. En fait, sur notre premier album, les gens avaient l'habitude de mentionner Julee Cruise au titre de comparaison avec notre musique. Je n'étais pas du tout d'accord avec eux. Mais sur Teardrops, tu peux la comparer. Et je pense qu'il y a également un petit côté Badalamenti. Ce n'était pas volontaire, mais j'adore Badalamenti, ainsi que la bande originale de Twin Peaks. Je pense que lorsque tu aimes quelque chose, ça reste en toi et ça peut t'influencer. Les choses qui font partie de toi et que tu aimes viennent inévitablement se greffer à ce que tu crées. Tu ne peux rien y faire.

Vous avez de nouveau travaillé avec Steve Osborne pour la production de l'album. Pourquoi n'avez-vous pas produit vous-même le disque ?

Faris : Steve est important pour nous. Ni Rachel, ni moi ne sommes spécialisés dans les rythmes. Il est différent de nous. Il est bon.
Rachel : Il n'a pas composé les chansons. De ce fait il a une toute autre vision de notre musique. Parfois, lorsque tu composes une chanson, il y a des choses que tu n'arrives pas à lâcher. Steve sait aller à l'essentiel et te permet de faire évoluer ce quelque chose dans lequel tu restes enfermé. Il a vraiment beaucoup de talent. La plupart des producteurs actuels sont bons avec des ordinateurs portables mais ne sont pas nécessairement des musiciens. Steve joue de la batterie, de la guitare, de la basse, du trombone... Il peut changer la structure d'une chanson. Il s'y connaît en cordes. Cat's Eyes serait très différent sans lui.

Vous avez récemment joué à Buckingham Palace. Comment cela a-t-il été possible ?

Rachel : En fait, ça a pris des années pour que cela puisse arriver, car c'est normalement impossible de jouer là-bas.
Faris : Depuis trois ans nous essayons d'obtenir l'autorisation de nous y rendre.
Rachel : Et c'est impossible, car il faut obtenir une invitation pour pouvoir y jouer. Mais il y a quelques mois de cela, par chance, quelqu'un m'a demandé si je connaissais une personne spécialisée dans l'histoire de l'art. Quelqu'un qui s'exprime bien, a du charisme et serait capable de s'adresser à des diplomates. Comme c'est ce que je fais comme travail à Londres, il m'a été possible de nous obtenir le sésame pour entrer à Buckingham Palace. Les diplomates voulaient voir les harpes de la reine d'Angleterre. Nous avons trouvé des personnes avec qui il était possible de faire cette présentation en y incluant de la musique liée à l'art en fin de soirée, sous forme de surprise. Bien entendu il nous était impossible de nous y rendre avec harpe, guitares et batterie. Nous avons donc adapté une de nos chansons au format de la Renaissance avec les harpes de cette époque qui étaient présentes à Buckingham Palace. Il y avait là-bas une horloge du 18ème siècle. Celle-ci s'apparente à un jukebox d'époque. A chaque fois qu'une nouvelle heure commence, elle joue une chanson différente de la Renaissance. L'horloge était éteinte lorsque nous nous y trouvions, donc point de musique. Nous avons alors fait croire que notre chanson était une des chansons jouée par l'horloge. Personne à Buckingham Palace n'était au courant de ce que nous allions faire. Le personnel du palais a essayé de nous arrêter lorsqu'ils ont entendu la musique mais il était bien entendu trop tard. Nous avons eu le temps de terminer notre chanson et de partir avant qu'ils n'arrivent. Ce fut très difficile à réaliser.

Tu penses que l'on peut considérer ça comme un incident ?

Rachel : Il n'y a eu que quelques enregistrements vidéo de notre prestation mais on les retrouve sur Internet. En tout cas je pense que je n'aurai plus jamais la possibilité d'entrer à Buckingham Palace.

Pour terminer j'ai quelques questions sur vos autres projets musicaux. Tout d'abord, Rachel, est-il possible de savoir pourquoi tu as annulé tes concerts prévus en France au moment de ton album solo ?

Rachel : Je n'arrivais pas à trouver les musiciens pour cette tournée et quelqu'un n'avait pas le visa pour venir jouer en Europe. J'ai donc préféré annuler.

J'ai réalisé une interview avec Bobby Gillespie récemment. Tu as participé au dernier album de Primal Scream. Il m'a appris qu'il croit savoir qu'une des chansons de ton album solo est à propos de lui. Est-ce vrai ?

Rachel : Oui, c'est vrai. Star parle entièrement de lui. Elle fait référence à Shine Like Stars sur Screamadelica. Bobby est très fan de Cat's Eyes et ami avec Faris. Il nous a demandé de jouer en première partie de Primal Scream. En fait j'avais entendu énormément de choses terribles à son sujet. Mais je me suis trompée sur lui en me demandant s'il était vraiment sympa ou pas. Et c'est le sujet de la chanson. Je me suis vraiment trompée. Faris me disait sans arrêt : « C'est un ami, arrête de lire Wikipédia ! » (Rires). Je viens de tourner avec Primal Scream. J'ai perdu ma voix (Rires). C'était génial. Ils sont incroyables sur scène.

Faris, peux-tu nous donner quelques nouvelles de The Horrors ?

Faris : L'écriture du nouvel album est presque terminée. Nous avons composé pas mal de chansons. On devrait les enregistrer en janvier l'année prochaine.