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Madness

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 21 décembre 2016

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Cathal « Chas Smash » Smyth, l'alter égo du chanteur Graham « Suggs » McPherson n'a pas quitté ses amis de Madness. Il s'est éloigné, tout au plus, de ce groupe qu'il a participé à cofonder, un jour de 1979. A cette époque, le groupe comportait jusqu'à neuf membres ; une bande de sales gosses ingérables, issue des quartiers populaires de Camden qui arpentaient les rues et les mauvaises fréquentations.

Madness, c'est un collectif de têtes de lard, de nutty boys dont les personnalités sont aussi prégnantes que les talents. Le champ des possibles devenait étroit pour le chanteur bis de Madness et c'est en toute logique qu'il a pris quelques vacances pour aller écrire, composer et enregistrer son propre album.
Néanmoins, et même amputés d'un de leur plus célèbre membre, le style et l'énergie du groupe devenu monument national anglais restent intacts. Le piano bastringue, le tempo ska, les sonorités cartoonesques... Tous les ingrédients sont réunis pour faire de Can't Touch Us Now un album essentiel dans la catégorie nutty sound.

Dans un hôtel récemment rénové, Suggs est affalé de son mètre quatre-vingt sur un fauteuil épais, se remettant à peine d'une méchante cuite encaissée la veille ; nous voilà prévenus !

Récemment, les médias anglais ont élevé le groupe Madness au rang de « Trésor National ». Une sacrée revanche pour les nutty boys de Camden !

Quelle ironie, n'est-ce pas ? C'est amusant de voir que si ta longévité dépasse un certain stade, tu récoltes des honneurs auxquels tu n'aurais jamais pu prétendre ! Ce qui est vrai, c'est que ces dernières années ont peut-être été les plus folles pour Madness avec notre concert sur le toit de Buckingham Palace ou la comédie musicale qui nous a été consacrés en passant par notre présence à la cérémonie des Jeux Olympiques de Londres... Mais, si certaines personnes savaient réellement qui sont les Madness à la base et s'ils nous avaient connus à nos débuts, ils hésiteraient à nous qualifier de Trésor National !

Une seule question à son sujet, mais une question importante : Pourquoi Chas (Smash) a-t-il décidé de s'éloigner de Madness, après tant d'années ?

Il a voulu prendre ses distances pour aller faire son propre disque, en solo. Il est vrai que Can't Touch Us Now a été enregistré sans lui, mais il n'est pas dit qu'il ne nous rejoigne pas à nouveau dans le futur. Qui sait ? Tout cela s'est fait dans un très bon esprit et son éloignement n'a en rien affecté le groupe ou déclenché des doutes. Quand un groupe est composé de sept personnes, sept individualités bien trempées qui écrivent et composent tour à tour, c'est difficile de faire exister ses propres créations. Chas avait besoin d'espace et de liberté pour mener à bien son propre projet.

J'imagine que quelques changements vont devoir s'opérer notamment en live étant donné le duo explosif que vous formez tous les deux au chant depuis si longtemps ?

C'est certain. La dynamique sur scène va être différente pour la série de concerts à venir.

Votre douzième album vient de sortir sur le label Universal Music et il se nomme Can't Touch Us Now. On imagine que ce titre contient une forte dose d'ironie ?

Un petit peu... (rires) Lee Thompson a écrit cette chanson et, sans vouloir paraître arrogants, nous avons pensé qu'elle ferait un bon titre pour l'album. Nous sommes arrivés à un point aujourd'hui où nous avons paradoxalement réussi à faire un état de lieux de notre passé. Nous nous sommes affranchis des eighties, de la nostalgie, de l'industrie du disque... Nous pouvons faire tout ce que nous voulons dorénavant. Nous ne sommes pas des millionnaires du rock, mais il nous serait facile de ne plus jamais nous en faire sans même sortir un seul nouveau titre. Tu as raison ; ce titre est très ironique en fait !

A partir de quand, justement, as tu réalisé que les Madness pouvaient être libres de toute création et devenaient, quelque part, un groupe légendaire ?

Cela est venu, si tant est que cela soit le cas, très doucement. Avec le temps. Après notre séparation, à la fin des années 80, il y a avait 75 000 personnes à nouveau présentes à notre concert de re-formation au Finsbury Parc de Londres en 1992. A ce moment là, nous avons commencé à réaliser que le public de Madness était massif, fidèle et transgénérationnel.

Il était important pour nous de nous retrouver tous en même temps dans un même studio.

Où s'est déroulé l'enregistrement de Can't Touch Us Now et qui a produit ce douzième album ?

Nous avons enregistré au studio Toe Rag. C'est un très petit studio, sans ordinateurs ou technologie criarde. Ce qu'on appelle un studio « vintage-fitted » avec son propriétaire, Liam Watson et Clive Langer – qui joua quelques rôles dans les vidéo clips du groupe à ses débuts – aux manettes. Il était important pour nous de nous retrouver tous en même temps dans un même studio et dans une configuration connue pour enregistrer ; comme tu le sais, il n'est pas rare de nos jours de voir des groupes enregistrer chacun de son coté via les réseaux que leurs membres se trouvent à Tokyo, Londres ou New York. L'idée n'était pas non plus de rester enfermés des semaines les uns avec les autres, mais de faire surgir une certaine dynamique, un certain état d'esprit qui étaient présents à nos débuts. Et je crois que le résultat n'est pas si mal.

Est ce que le départ de Chas a tout de même modifié votre processus de travail ?

Je crois que ce qui est vraiment de l'ordre du nouveau ou en tout cas du renouveau pour Can't Touch Us Now, c'est le fait que nous nous soyons retrouvés dans une configuration de travail qui nous a ramenés au process de travail que nous avions pour enregistrer notre premier disque. Notamment dans le fait de rester à l'écart de toute technologie pour retrouver un son, une atmosphère et même quelques imperfections qui donnent son âme au disque. Mais, je ne pense pas que le départ de Chas ait été significativement impactant dans le travail sur ce disque.

Si les sons et les colorations sonores de vos disques n'ont pas tellement changé en trois décennies, il semble que vous ayez plus de mal à être politiquement engagés depuis quelques temps au niveau de vos textes. Est-il plus difficile, les années passant d'être engagé dans les textes ou est ce l'époque qui veut cela ?

Si on fait abstraction du titre Mambo Jambo – qui est une chanson politique parlant de la confusion qui règne actuellement en Angleterre chez certains de nos concitoyens – il convient de préciser que nos chansons n'ont jamais été réellement politiques. Elles étaient surtout sociales. Parlant des communautés et de l'amitié entre les multiples cultures que nous fréquentions à Londres et ailleurs. Bien sûr, il s'agit de politique puisqu'il s'agit de citoyens vivant dans une cité, mais on nous a souvent vus comme portant une étiquette politique alors que ce n'est pas le cas. Londres, aujourd'hui est devenue une ville si chère qu'il est très difficile pour les jeunes d'y vivre et d'y envisager une avenir. De ce fait, la créativité est en train de fuir Londres et nous vivons cela comme un drame et une honte. Ce sont des temps troubles où il est compliqué de dire ce qui est positif de ce qui est négatif pour nombre de nos compatriotes.

Tu as déclaré : « Londres, dans les années 70, était une ville de rêve pour les artistes et les musiciens. Tu pouvais circuler à très bas prix, te loger à bas coût ou même squatter un peu partout... Aujourd'hui, aucun groupe ne peut trouver un studio pour répéter sauf si maman et papa paient pour cela ». Pourtant, il n'y a jamais eu autant de groupes et d'offres musicales qu'aujourd'hui...

Effectivement, c'est un point intéressant. Le Grime par exemple est un mouvement et un style très spontané qui ne nécessite qu'un micro et une ampli. Néanmoins, il devient de plus en plus dur pour les groupes de trouver des endroits où jouer, des scène qui les acceptent à leurs débuts. Quand nous avons démarré, il y avait des centaines de pubs où tu pouvais te produire tous les week-ends. Aujourd'hui, il doit en rester dix ! Et cela ne peut qu'empirer.

Mr Apples est le premier single de l'album. On peut voir dans le vidéo clip Lee Thompson jouer les vieux dévots de jour qui se transforme en pute de nuit. Lee a déclaré : Je ne sais pas ce qu'il serait advenu de moi si je n'avais pas croisé la route de Madness. C'était quoi la vie des Nutty Boys avant de fonder Madness ?

Lee a passé pas mal de temps en prison. Mike aussi. Pour ma part j'en ai fait un peu moins... Comme je te le disais un peu plus tôt, nous n'étions pas des modèles de vertu et nous vivions dans les rues, qui pouvaient être assez violentes à cette époque. Pour te sortir de là, il n'y avait pas mille solutions. Tu avais le choix de bien travailler à l'école, ce qui n'était pas mon cas. Tu pouvais devenir un bon sportif. Ou, tu pouvais devenir musicien. Et, grâce à Mike qui était déjà un bon pianiste et avec qui on avait quelques connections, nous nous sommes dit qu'en travaillant dur, on pourrait se sortir de notre condition, faire quelque chose de notre vie et peut être même devenir honnêtes (rires).

Dirais-tu que, malgré tout, la vie à Camden était plus facile qu'aujourd'hui ?

Oui, car il y avait plus d'espace. Plus d'espace pour vivre, créer, s'amuser... Aujourd'hui tous les immeubles sont la propriété d'une entreprise, d'une banque ou d'une spéculateur et tu ne peux plus rien faire si tu n'es pas riche.

Quand Madness chante la lutte des classes à sa façon, certains y voient un manifeste politique et militant.

Je ne crois pas me tromper en disant que Madness n'a jamais revendiqué le statut de groupe militant comme l'ont pu l'être les groupes punk ou même skinhead... et pourtant, beaucoup, par le passé surtout, ont vu Madness comme le porte drapeau d'un mouvement. Nationaliste et identitaire pour ceux qui n'avaient rien compris, ouvert sur le monde et multi culturel pour les autres. Comment expliques-tu cela ?

Si tu pars du constat que tout est politique, alors quand Madness chante la lutte des classes à sa façon, certains y voient un manifeste politique et militant qu'ils incluent dans une case ; la leur. Les gens pour qui nous chantons sont des gens de la classe populaire. Tout simplement parce que c'est de là que nous venons. Ces gens croient encore à un comportement corporatiste alors que, nous aussi nous avons évolué, avec le temps...

Après quarante ans passés sur scène et en studio, qu'est-ce qui continue à te faire avancer avec Madness ?

Actuellement, je trouve que Madness traverse une période de forte inspiration et de forte créativité. Les idées fusent et nous avons retrouvé ce plaisir de créer tous ensemble. L'idée de me retrouver avec mes comparses, sur scène ou en studio suffit à ma motivation.

Y a-t-il un rêve de musicien ou de chanteur que tu n'as pas encore pu réaliser après une si longue carrière ?

Je voulais que Madness compose la B.O d'un James Bond, mais cela n'a finalement pas abouti (rires) ! Il y a ce titre nommé Grand Slam que je voulais proposer pour un des films de la franchise mais Albert R. Broccoli n'était pas d'accord avec moi (rires). Plus sérieusement, je ne pense pas avoir de rêves très compliqués donc non, je pense avoir eu la chance de vivre tout ce que j'avais envisagé de vivre et même au delà, grâce à Madness. Chaque disque est un challenge et il y a encore beaucoup à faire pour nous...

En 2016, plus de la moitié des électeurs du royaume uni ont choisi le Brexit. Penses-tu que cela affectera la vie des artistes anglais dorénavant et dans quelle mesure ?

J'ai éprouvé beaucoup de tristesse face à ce vote avec lequel je ne suis pas d'accord. Il y a comme une grand vague de pessimisme qui englobe l'Europe en ce moment. Les droites les plus dures reviennent au pouvoir à nouveau et les temps sont très troublés... En Angleterre, beaucoup redoutent jusqu'à la guerre civile car les deux camps qui s'opposent sont tellement antagonistes dans leur revendication. Nous vivons un moment très dangereux pour la démocratie.

Finalement, vous revivez, avec des nuances, ce que vous avez déjà vécu à la fin des années 70 avec l'arrivée de Thatcher et sa politique ultra libérale, protectionniste et très dure pour les classes les plus précaires ?

C'est comme si on ne pouvait pas passer plus de trente ou quarante ans sans qu'il y ait de crise majeure en Europe. Il y a effectivement quelque chose de la période que nous avons vécue quand nous avons démarré avec Madness et que nous nous opposions, déjà à cette politique dédiée aux plus riches et au repli.

Quand aurons-nous la chance de revoir Madness en concert en France ?

L'année prochaine, si tout va bien. Nous démarrons par une belle tournée en Angleterre pour la période des fêtes, puis nous partirons en Europe pour le début d'année 2017.