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Let's Eat Grandma

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 2 janvier 2017

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« La jeunesse est l'avenir de mon pays » disaient les poètes Said Nouahad et François Hollande. Jenny Hollingworth et Rosa Walton, les deux fausses blondes et fausses jumelles, en sont la preuve vivante et résonnante. Fans de l'écrivain Enid Blyton et de ses mondes imaginaires merveilleux pour enfants sages et amatrices de forets mystérieuses habitées par de gentilles sorcières qui auraient troqué balais magiques et chaudrons à potions contre platines Technics et échantillonneurs Korg, ces deux très jeunes filles, pas encore majeures, sont nées dans le Norfolk anglais et prennent soin l'une de l'autre depuis plus de soixante-quatre ans (dixit Jenny Hollingworth, la moins surréaliste des deux !). D'une maturité rarement entendue à cet âge là, le duo qu'elles forment avec Let's Eat Grandma vient de frapper un grand coup avec un premier opus nommé I, Gemini.

Pas encore rodées aux journées promo, mais déjà très en verve dans une complicité qui en dit long sur leur proximité, notamment sur scène, Rosa et Jenny jouent, en effet miroir, à répondre à coté de la plaque et à ne pas se prendre au sérieux tout comme leur style musical auto défini, un « Psychedelic sludge pop ». Rencontre avec deux magiciennes des sons tout droit sorties d'un conte des frères Grimm.

Combien de fois vous a-t-on demandé si vous étiez soeurs jumelles ?

Rosa : Trop souvent ! Chaque jour, a minima.
Jenny : Je pense que nous ne devrions même plus comptabiliser...

Votre premier album se nomme I, Gemini. On a l'impression que vous aimez jouer avec cette fausse gémellité ?

Jenny : Bien sûr ! On maintient volontairement cette ambiguïté sur nos liens de famille, inexistants et, plus encore, sur le fait que beaucoup de personnes nous imaginent jumelles, notamment sur scène (ndlr : sur scène, elles portent des perruques similaires).
Rosa : De toute façon, je suis plus bien plus grande que Jenny (rires) ! (ndlr : elles sont petites toutes les deux)

Où vous êtes vous rencontrées ?

Rosa : Dans une salle... (rires)
Jenny : Ou peut être pas... (rires) Nous nous sommes rencontrées au Club des Jeunes Sorcières, à l'âge de quatre ans. Nous sommes amies depuis treize ans.
Rosa : Même école. Même quartier. On n'arrive pas à se débarrasser l'une de l'autre.

Depuis quand créez vous de la musique toutes les deux ?

Jenny : Nous avons démarré il y a quatre ou cinq ans.

Vous avez suivi un cursus scolaire musical ?

Rosa : Pas vraiment.
Jenny : L'éducation musicale proposée à l'école est très stéréotypée. Il n'y a que peu de place pour la créativité. J'avais appris le piano, étant très jeune, et Rosa avait une guitare chez elle. On a plus ou moins démarré comme ça...

J'ai l'impression que vous adorez les journées de promo !

Rosa : Ce sont mes journées favorites (rires) !
Jenny : Je peux confirmer : Rosa n'aime rien de plus que les exercices de promo !
Rosa : Rien au monde ne peut me faire plus plaisir... mais, il faut bien faire le job n'est-ce pas ?

Nous avons été bercées par tous les styles de musique possible.

D'où vous vient cette vision de la créativité musicale qui s'exprime dans vos compositions ? Vos familles vous ont elles influencées ?

Rosa : Non. Aucun de nos parents ne joue vraiment de la musique. Mais, la musique que nos parents écoutaient nous a certainement influencées. D'une manière très large en passant par ce qu'eux écoutaient étant jeunes jusqu'aux styles musicaux qui les ont vus devenir adultes. Mon père adore les années soixante et soixante-dix. Ma mère, elle est plutôt axée hip-hop et R'n'B.
Jenny : Moi, j'ai pas mal été influencée par ma sœur – pas Rosa – et mon père est un grand fan de la musique des années quatre-vingt comme Tears For Fears et tous les classiques de la new wave et synthpop.
Rosa : Du coup, nous avons été bercées par tous les styles de musique possibles. Mais, je ne parlerais pas d'influences au niveau de la musique que nous aimons créer. Il s'agit plus de notre éducation musicale.

D'où vient ce nom de groupe, Let's Eat Grandma ? D'ailleurs, y a-t-il une virgule avant Grandma, ou pas ?

Rosa : Surtout pas (rires) ! C'est majoritairement un hommage à nos grands mères. Pourquoi, tu pensais à quoi (rires) ?

Vous avez à peine dix-sept ans, et pourtant votre musique se démarque déjà par un style et une construction très matures. Et, ce n'est pas un secret, votre album a impressionné plus d'un média dont certains n'hésitent pas à vous comparer à Kate Bush, Coco Rosie ou même Björk. Que pensez-vous de ces excellentes références ?

Jenny : C'est curieux parce que je ne crois pas que nous ayons écouté aucune de ces références en créant cet album. Nous sommes très respectueuses de leur talent et de leur créativité, mais je ne pense pas qu'elles aient joué un rôle dans nos influences. Nous avons tous des influences différentes et certains voient des similarités dans nos compositions, ce qui est une bonne chose. Mais, ça s'arrête là en ce qui nous concerne.
Rosa : Il a suffi qu'un journaliste écrive que notre son se rapprochait de celui de Björk pour que tous les autres se mettent à dire : « Let's Eat Grandma ressemblent à Björk ». C'est comme une rumeur qui s'est propagée...
Jenny : Björk est une très grande artiste, mais sa musique n'a jamais eu aucune influence sur nous.

Où avez vous enregistré I, Gemini, votre premier album ?

Rosa : Nous avons enregistré notre album dans un abri anti-atomique. A Norwich, dans le Norfolk, là où nous vivons le reste de l'année.

Vous avez aménagé un studio dans un abri anti-atomique ?

Jenny : C'est l'ami d'un ami qui a ouvert son studio dedans et nous lui avons demandé si nous pouvions venir enregistrer I, Gemini chez lui. Ce sont les Old School Studios, un endroit alternatif où tous les outils sont analogiques, ou presque. Il y a également un tas de concerts underground qui y sont donnés.

Comment s'est passée la rencontre avec Transgressive Records, votre label ?

Jenny : C'est notre ancien manager qui nous a mis en contact avec eux. Ils sont venus vers nous et nous ont dit : « Yo girls. Vous voulez signer chez nous ? » (rires). On a répondu : « Yeah. Signons ! » Et après, nous sommes partis diner... (rires)

Ça vous rend fières d'être déjà signées sur un label reconnu alors que vous n'êtes pas encore majeures ?

Jenny : Nous ne réfléchissons pas en terme de « fierté ». Nous trouvons cela très excitant, c'est certain. L'important c'est d'avoir des partenaires pour pouvoir avancer dans notre travail et notre créativité.

Vos chansons sont très texturées, très complexes parfois, et incluent une production assez riche. N'est-ce pas compliqué à retranscrire en live ?

Rosa : En fait, nous créons et enregistrons nos titres en vue du live, donc nous savons à quoi nous attendre sur scène.
Jenny : En fait, pour nous le live est beaucoup plus naturel que le studio. Le studio fut pour nous une véritable expérience car nous n'avions pas encore de pratique à ce niveau pour I, Gemini.
Rosa : Il y a beaucoup plus d'espace pour nous dans l'exercice du live.

Votre proximité est telle qu'elle en est déconcertante ! Quel est votre processus de travail pour écrire et enregistrer votre chansons ?

Jenny : Cela dépend complètement des titres. Nous sommes interchangeables avec Rosa. Nous avons nos forces et nos compétences respectives, mais je crois que si un groupe abrite trop de similarités dans les talents et les personnalités, tout finit par se ressembler au fil des titres.
Rosa : Généralement l'une de nous arrive avec une idée et nous discutons des éléments et interactions que chacune pourrait apporter à la création. Il est très rare que nous démarrions avec les textes. Cela part presque toujours d'idées musicales ou sonores.

D'où viennent vos textes ? Des livres que vous avez lus, notamment ceux d'Enid Blyton, ou de la vie en général ?

Jenny : Un peu de tout... De livres, d'articles de presse, de films, de phrases entendues dans la rue ou les cafés, de nos cerveaux dérangés...

L'artwork de votre album est très particulier également. C'est issu d'un travail personnel ?

Rosa : Nous sommes toutes les deux à l'origine de l'artwork. Pour les clips nous travaillons également toutes les deux sur les idées de base et nous faisons appel à des copains pour réaliser.

Nous aimons contrôler tout ce qui sort de nos têtes.

Vous êtes déjà de vraies control freaks !

Rosa : Ce n'est pas faux. Nous aimons contrôler tout ce qui sort de nos têtes. Nous voulons avoir le contrôle de notre carrière et de notre musique. Nous sommes de vraies control freaks (rires) !
Jenny : Demande à notre tour manager ; nous le contrôlons également (rires) !

Il paraît que quand vous étiez enfants, vous avez construit votre propre cabane dans les arbres (ce qui donnera par la suite les titres Welcome To The Treehouse part I et II). Vous êtes également des bricoleuses ?

Rosa : (rires) J'aime à penser que nous avons quelques « DIY skills », effectivement.
Jenny : Honnêtement, nous aimons prétendre que nous sommes des manuelles et des bricoleuses, mais ce n'est pas totalement vrai (rires). Même si nous avons nous mêmes personnalisé notre van pour cette tournée.

Aussi jeunes que vous êtes, comment avez-vous ressenti le Brexit et la campagne politique qui l'a entouré début 2016 en Angleterre ?

Rosa : Nous ne sommes pas vraiment ravies de ce qui nous arrive...
Jenny : Nous n'avons pas pu voter car nous n'avons que dix-sept ans, et nous pensons que c'est une honte car c'est la jeunesse qui est impactée par ce vote. Et parmi les jeunes qui avaient le droit de voter, pas mal se sont abstenus malgré tout. Donc difficile pour eux aujourd'hui de critiquer le choix des citoyens plus âgés qui ont choisi le Brexit. Même si je pense que la majorité des citoyens anglais n'ont pas voté pour les bonnes raisons. Cette campagne a été menée sur le mensonge, principalement. Par exemple nous avons reçu ces tracts où le UKIP rapportait les pays candidats à l'entrée dans l'Europe. Et, surlignés de la même couleur il y avait la Turquie, mais également des pays bien plus éloignés autour de l'Asie centrale ! Comme si l'Iran ou l'Afghanistan, sans les nommer, allaient devenir européens. Certains ont du y croire ! C'est fou, non ?

Comment voyez vous l'avenir pour Let's Eat Grandma ?

Jenny : Je pense que nous serons les futures co-premier ministres d'Angleterre (rires) !
Rosa : Moi je prends le poste de Président, et toi tu prends le poste de premier ministre (rires). Et alors, tout ira bien pour Let's Eat Grandma.
Jenny : Non. Rien n'ira bien et ce sera un grand merdier si nous dirigeons le pays (rires) !

D'une manière plus pragmatique, comment voyez vous votre futur ? Continuerez vous vos études tout en faisant de la musique ou allez vous vous concentrer sur votre groupe ?

Rosa : Nous faisons tout pour terminer notre cursus scolaire cette année pour pouvoir nous focaliser uniquement sur Let's Eat Grandma.