logo SOV

SOHN

Interview publiée par Albane Chauvac Liao le 11 janvier 2017

Bookmark and Share
Pour faire le point sur ses inspirations, son processus créatif et sans oublier son nouvel album, nous avons donné rendez-vous à SOHN dans les locaux parisiens de Beggars Group. Inspiration, expiration.

Peux-tu me parler de ton nouvel album, en partant de la vision que tu en as ?

C'est une sorte de blues gospel électronique. Pour cet album, j'ai été très rapide, direct dans la production, en comparaison avec le premier, en me focalisant vraiment sur l'aspect vocal et rythmique. J'ai enregistré cet album à une période où j'étais tout le temps en tournée, découvrant le monde entier si rapidement ! Au final, je crois bien avoir fait sept fois le tour de la planète. C'était une période où j'ai tenté d'accepter un maximum d'opportunités et j'ai fini par me réveiller deux ans après. J'avais déménagé d'Autriche pour m'installer aux Etats-Unis, je m'étais marié et j'ai eu un bébé pas plus tard qu'il y a cinq semaines.

J'ai toujours eu à l'esprit que l'album serait noir.

A propos de l'aspect visuel de l'album, as-tu fait appel à un directeur artistique pour réaliser la pochette ?

J'ai toujours eu à l'esprit que l'album serait noir. Ayant beaucoup travaillé avec la photographie, je suis parti en quête de la photo qui s'accorderait au mieux dans un cadre noir. A la fin j'ai trouvé beaucoup de photos dont j'aimais les couleurs mais pas ce qu'elles représentaient. Par exemple, il y avait la photo d'une maison en feu, un beau ciel bleu et une terre bien verte, le tout dans un grand cadre noir. Je me suis dit « Bingo ! », mais en fait tu réalises vite que ça le fait pas du tout, le coup de la maison qui brûle de partout : trop emo. J'ai donc tenté de pixelliser l'image, qu'on ait surtout les couleurs et pas tant la forme. Puis à un moment tu réalises que tu ne peux pas être satisfait en le faisant seul et tu cherches quelqu'un capable de le faire. C'est Ed, qui m'a signé sur le label 4AD, qui avait lu cet article à propos d'un mec, qui a un label à Mexico, de la musique électro expérimentale, des cassettes dont il réalise tous les designs. C'est le plus beau travail jamais vu, des designs de fou furieux. On s'est donc mis dessus. Je crois qu'il y a eu un léger problème de traduction, j'avais demandé un élément noir agrémenté d'un bleu et lorsque il a envoyé la première ébauche c'était quelque peu l'inverse, bleu avec une sorte de vert turquoise. Mais c'était encore mieux que ce que j'avais imaginé. C'est donc un design très coloré, la première page est turquoise, la seconde d'un jaune lumineux à souhait, une autre rouge vif...

Tu t'intéresses donc à la photographie. Y-a-t-il d'autres arts qui te guident dans ta démarche de création ?

Si je devais choisir un média prédominant à l'heure actuelle, le plus intéressant serait la télévision. C'est là que tu as vraiment accès à une variété infinie de story tellings. Prenons l'exemple des séries, grâce à des épisodes d'une heure entière sur plusieurs mois, tu peux vraiment entrer en profondeur dans l'histoire, dans la part psychologique des personnages. J'ai été captivé par la série The Night Of, basée sur une énième tragédie de prétoire Made In UK, que j'avais regardée sans y prêter grand intérêt lorsque je vivais encore là-bas. Mais le résultat sur HBO est tout autre, une mini-série en huit volets, qui vous transporte à l'opéra : des personnages aux limites du comique dans une mise en scène des plus sérieuses. C'est l'histoire d'un mec emprisonné pour un crime qu'il n'a pas commis, il ne sait même pas s'il l'a fait car il n'était pas tout à fait conscient à ce moment-là. Puis tu as celui qui essaye de le sortir de prison. Le genre d'avocat avec de l'eczma aux pieds et est ainsi obligé de porter des sandales et passe son temps à se gratter avec des baguettes. D'un côté tu as cette histoire super sérieuse et de l'autre tu as ce pauvre bonhomme qui se préoccupe de ses pieds. Ce sont d'ailleurs ces moments comiques qui éveillent notre attachement à l'histoire et ses personnages. Parce que personne n'est 100% sérieux et aucun d'entre nous n'a une existence 100% dramatique. C'est une belle façon de raconter une histoire. Je trouve intéressant de voir une chose bien faite, qui provoque une émotion. Ces éléments déterminants, inattendus, qui changent la représentation de ton univers.


A propos de ton label. Comment cela s'est-il passé, pourquoi as-tu fait ce choix ?

C'est une question de rencontre. Au départ il y avait 4AD, quelques labels indépendants et aussi des majors. Je ne trouve pas de mots assez justes pour expliquer combien il était clair que je devais signer avec 4AD. Le sentiment simple, se dire « OK, eux ils me veulent moi, la vraie version. » Je crois que pour signer sur une major, je devrais être une personne différente, et j'aurais pu signer ce contrat mais je suis heureux d'avoir été un peu plus âgé car sinon j'aurais sûrement accepté et regretté par la suite. Avec 4AD exit les fioritures, ce n'était que deux personnes discutant de manière fort sympathique de leur passion commune. Sans question de ventes d'albums. Un mec d'une major m'avait quant à lui demandé « combien d'album je voulais vendre ». Ce n'est pas pour ça que je fais de la musique et ce n'est ma vision de la relation label-artiste. Donc je crois bien que je vais rester avec 4AD le temps qu'ils voudront bien me garder (rires).

Tu es aussi producteur. Avec qui as-tu travaillé récemment ?

Cela s'est fait ces deux dernières années. L'an dernier l'élément majeur a été l'album de BANKS qui m'a occupé pendant six mois de l'année. Avant cela ce sont des morceaux ici et là. Dans un retournement de situation assez curieux je me suis même retrouvé sur un album de Rihanna ! En réalité ces surprises arrivent et tu es mis au courant, ils te contactent en disant « OK pouvez-vous signer ce contrat car vous avez écrit une partie d'une chanson de Rihanna ? » et t'es là « Ah ? Attends mais comment ai-je... ». C'est amusant car j'avais écrit un morceau avec Sam Smith il y a longtemps, bien avant qu'il soit célèbre, et il a été conservé pour l'album de Rihanna mais n'a pas été utilisé. Puis il y en avait un autre doté des mêmes caractéristiques musicales et voilà, ils ont tout de suite sorti le contrat.

L'élément à retenir, c'est de ne jamais t'arrêter, essayer un maximum de sortir de ta zone de confort.

Ayant grandi dans un quartier ouvrier de Londres, si tu devais donner un conseil à un gamin qui habite là et veut percer dans la musique mais n'a pas forcément le soutient dont il mérite, que lui dirais-tu ?

L'élément à retenir, si tu crois vraiment que c'est ton dada, c'est de ne jamais t'arrêter, essayer un maximum de sortir de ta zone de confort, en quête de nouveaux points de vue. J'ai été en grandes difficultés à cause de ça. Je savais que dans d'autres quartiers de Londres il y avait une scène musicale et qu'il suffisait de se montrer pour devenir un groupe. Je me cantonais à mon espace, une petite performance avec pour seul public la famille, les amis. J'ai gâché pas mal d'années à jouer dans les mauvais endroits. Mon conseil serait donc « Trouve là où tout se passe et vas-y ! ». Sois présent, sinon tu finis en marge, sans vraiment faire l'expérience du musicien.

On dit que tu es mélancolique et très expressif ?

Je suis d'accord, je ne dirais pas que cet album est mélancolique mais que c'est mon défaut. Même dans les moments de pur bonheur, je trouve toujours un instant pour m'en détacher et réaliser : « ça ne se reproduira plus jamais et c'est si regrettable ». La mélancolie n'est pas qu'un synonyme de tristesse, il s'agit aussi de prendre conscience de la beauté de l'instant. C'est une importante partie de moi, que j'adore car elle éveille mon attention, grâce à elle je m'approprie mon environnement, sans rester uniquement en surface. Il ne s'agit pas seulement de vivre les choses mais d'être capable de les ressentir. Trop de fois on vit les choses sans conscience de leur importance. Quelques années plus tard on y repense assez bêtement et on se dit « Oh mec, ça c'était magique ! ». J'aime faire l'expérience de l'instant dans son ensemble et me dire « C'est un moment vraiment incroyable dont je ne me souviendrais peut-être pas ».


Ton premier album n'était pas destiné à faire danser, mais plutôt à secouer le cerveau des auditeurs, à vraiment intellectualiser la musique et s'y attarder. Qu'en est-t-il du dernier ?

Le nouvel album est plus physique, plus direct. Certains éléments te forcent à bouger. Il y a un son de basse sur le quatrième titre, Dead Wrong. Dès que je l'entends, jusqu'à la fin c'est l'unique son qui prédomine, il parait si puissant ! J'ai utilisé le moins d'éléments possibles dans cet album pour qu'ils prennent de l'ampleur, créant ainsi un espace physique.

Quels sont d'ailleurs les instruments utilisés dans l'album ?

Lors du premier enregistrement, j'ai senti que c'était trop propre, trop précis, à l'image du premier album. J'ai voulu changer de démarche. Conrad a été le premier titre sur lequel j'ai compris comment rendre les sonorités naturelles, à l'aide de nombreuses canettes de bière et bouteilles de vin. Plutôt que d'enregistrer avec le microphone sur mes lèvres, je me suis placé à l'autre bout de la pièce. Enregistrant ainsi ma voix et l'espace. Frapper frénétiquement le sol à dix reprises pour faire entrer les sonorités de la pièce dans l'album. Pour les réverbs, exit le plug-in, j'ai utilisé les enceintes et un microphone. Résultat, on ressent vraiment l'espace.

Ultime question : pourquoi avoir déménagé à Los Angeles ?

A la fin de ma tournée, je vivais à cent à l'heure. Avec une séparation à Viennes, quand j'y suis retourné, dans un nouvel appartement, assis là, j'ai regardé autour de moi en réalisant que je n'étais plus chez moi. J'avais déjà beaucoup fréquenté Los Angeles en tant que producteur. Puis j'ai rencontré quelqu'un. Et la vie continue...