logo SOV

King Krule

Paris, Cigale - 4 avril 2014

Live-report par Xavier Turlot

Bookmark and Share
La Cigale est pleine à craquer en ce vendredi soir pour accueillir l'un des musiciens les plus talentueux de ces dernières années : King Krule, venu pour propager son indéfinissable musique. Le très jeune Londonien, bientôt 20 ans au compteur, au profil aussi insaisissable que le laissent penser ses nombreux pseudonymes (Zoo Kid, Edgar The Beatmaker...), n'est plus à présenter tant son Six Feet Beneath The Moon a buzzé l'an dernier. Une voix magique, rauque et brute, qui s'ancre à vie dans nos mémoires en un battement de cil. Des instrumentations jazz, aux beats qui frisent parfois le hip-hop, King Krule jongle avec les codes – ou les oublie tous – pour finalement exposer cette musique tant urbaine et sauvage que douce et fragile.

Une première partie sympathique est assurée par les Londoniens de Thidius, lesquels présentent une électro-pop au groove marqué, slaps de basse et rythmiques funk à l'appui. Si la voix d'Izzy Risk est un peu fade, l'ensemble se tient bien mais dépasse peu le stade de la musique d'ambiance. Peu importe car l'atmosphère est déjà bien échauffée dans une Cigale prête à exploser.

SOV

L'hôte britannique arrive apprêté comme à son habitude, arborant un costard vieillot mal ajusté, comme pour matérialiser la pseudo-maladresse qui l'a rendu célèbre. Il est accompagné de ses trois musiciens habituels (guitare, basse, batterie) eux aussi en costard, ce qui achève de poser une ambiance cosy. Dédaignant les multiples « I love You » criés des premiers rangs, King Krule entame son set en délaissant la fameuse Telecaster blanche que l'on pensait être soudée à lui, pour adopter une Jaguar, ce qui ne changera pas beaucoup son typique son clair et légèrement réverbéré. Si Archy Marshall interagit peu avec le public, il se balade sur scène entre deux phrasés et va voir ses musiciens, lâche quelques accords syncopés puis retourne à son microphone. Il est plus concentré que souriant, mais après tout sa musique n'est pas une partie de rigolade (il la qualifie d'ailleurs lui-même de blue wave, ce que l'on pourrait traduire par « vague mélancolique »).

On retrouve avec plaisir cette forme de maladresse contrôlée, ces passages presque vides composés de quelques notes en suspension, égrenées avec parcimonie, créant ce flottement caractéristique. La voix gutturale de King Krule semble toujours surgir de nulle part entre deux improvisations, jaillissant avec brio dans la salle qu'il arrive à faire paraître bien plus petite qu'elle ne l'est réellement.

SOV

Il s'essaye de temps à autre à une légère improvisation (sur Baby Blue notamment). L'interprétation est aussi fraîche que le disque, tous les morceaux sont l'antithèse du fake et de la mise en scène : King Krule n'a pas besoin d'envoyer le bois pour fasciner. Inutile de jouer de la guitare quand elle n'est pas absolument nécessaire. Ses acolytes consciencieux ne sont pas là pour tartiner non plus : léger groove de basse, quelques back-ups de guitare, un batteur au jeu jazzy parfaitement subtil et dosé qui aura peu l'occasion de se lâcher (légère emballée sur The Ceiling et Out Getting Ribs). King Krule est plus connu pour sa voix indéfinissable que pour son jeu de guitare, qui est pourtant d'une élégance et d'une subtilité pas si fréquentes que ça (le phrasé de Out Getting Ribs, la seule qu'il jouera sur sa Fender fétiche, est absolument impeccable). L'artiste semble seul au monde avec sa musique, les yeux presque toujours clos, dodelinant de la tête. Il ne touchera au clavier que sur la dépressive et dissonante Cementality.

SOV

Le public plutôt très jeune n'est pas venu par effet de mode, tout le monde connaît toutes les chansons, et quand le single Easy Easy arrive, c'est à l'unisson que la salle accompagne le chanteur. L'audience qui avait déjà accueilli chaque chanson comme un tube est maintenant franchement en délire, reprenant mot à mot une chanson fantastique mais qui est pourtant bancale et très loin du hit de radio. La trajectoire explosive de King Krule, au talent brut et au style si marqué, en a finalement fait une icône. Rares sont les artistes de cet âge capables de remplir à craquer des salles aux quatre coins du monde avec une musique si typée. Le rappel se fait sur la rare The Noose Of Jah City, un titre extrait de son premier EP où ce sont les samples qui ont la part belle.

Si les concerts de King Krule ne sont pas des orgies de pogos et de slams ou des expériences sensorielles inédites, ils sont la preuve de son génie brut et un moment de très grande musique dont il sera dur de se lasser.