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The Lucid Dream

Paris, Espace B - 25 février 2015

Live-report par Xavier Turlot

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Le psychédélisme stoner était à l'honneur mercredi soir dernier à l'Espace B de Paris, avec une conjugaison franco-britannique qui ne faisait pas dans la dentelle.

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Les quatre membres de Wall/Eyed, formation parisienne montante, attaquent leur performance par une chanson d'une lenteur démentielle, hypnotique et distordue qui dure une bonne dizaine de minutes. Le décor est vite posé : un chant fait de nappes et recouvert d'effets baveux, une basse lourde qui assène ses schémas répétitifs, un synthétiseur assez effacé et une batterie au son exagérément sourd qui cadence l'ensemble et donne à ces flots de sons aqueux un cadre bienvenu. Le chanteur jongle avec la batterie de pédales qu'il a placées à hauteur de main pour faire varier les signaux tellement bidouillés de sa guitare qu'on a parfois peine à en discerner les notes. Si le début du set séduit, l'homogénéité absolue qui se met en place fatigue un peu l'oreille et peut faire perdre en concentration. Certains motifs de batterie sont par contre particulièrement originaux et intéressants, surtout lorsque le batteur exécute un roulement continu sur son tome basse, donnant une cadence infernale de troupeau de chevaux au galop pendant de longues minutes. Celui-ci paraîtra d'ailleurs possédé durant l'intégralité du set, yeux écarquillés et amples mouvements de tête à l'appui. Son immersion et sa concentration sont le seul jeu de scène du groupe et sa bonne visibilité rend sa présence encore plus centrale et primordiale.

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Après vingt grosses minutes de changement de plateau, ce sont aux quatre Anglais de The Lucid Dream d'entrer sur scène. La foule est déjà compacte, la chaleur suffocante et l'électricité palpable avant que la formation ait joué la première note. Le groupe, pourtant jeune, s'est entouré d'un attirail technique impressionnant au regard de leur popularité : cinq ou six guitares électriques pour deux joueurs, dont certaines doivent avoir trois fois l'âge de leur propriétaire. Et les amplis Vox et Orange n'annoncent pas des ballades folk, mais plutôt une configuration démesurément violente pour une salle si petite.
L'introduction instrumentale est saisissante : tous les instrumentants sont tournés à fond et joués à une cadence infernale, les accords monolithiques coupés de courts ralentissements insufflent une décharge de volts proprement décoiffante. On croit vingt fois être arrivés à la fin du morceau, mais elle ne vient jamais et cet exercice diabolique contient plus d'adrénaline que la plupart des concerts dans leur entièreté. Comment font les musiciens pour se repérer dans cette orgie de distorsion où rien n'indique à quel endroit ils en sont ? Mystère, mais l'exécution est impeccable, et la claque est donnée et bien donné au public qui peut se remettre de ses émotions le temps de régler un problème avec le micro du chanteur.

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Les hostilités ne s'arrêteront de toute façon jamais, et le chant peine à se frayer un passage dans ce noise rock articulé autour d'explosions, de brutalité et d'énergie sombre. La voix est un instrument comme un autre, saturée et recouverte d'une généreuse couche de réverbération, triturée dans sa moelle. Mark Emmerson, le chanteur et guitariste, est placé sur la gauche alors qu'il tient le rôle principale, mettant le bassiste au centre de l'architecture scénique. Mike Denton, tel est son nom, trône tout de noir vêtu au milieu du tourbillon, le visage impassible et le regard au loin, s'accroupissant de temps à autre sur un clavier dont il tire quelques éruptions organiques. Le batteur est quant à lui ton sur ton avec le groupe précédent. Affublé d'un maillot à l'effigie du PSG, il pose un regard d'aliéné sous acides sur tout ce qui se trouve autour de lui, parcouru de spasmes qui seuls peuvent lui faire jouer ces motifs au tempo déluré. Le groupe de Carlisle déroule son premier album, Songs Of Lies And Deceit, qui ne recèle par que de la violence pure. Heartbreak Girl et In Your Eyes offrent une image pop apaisante au charme désuet au milieu de ce déluge. Les quatre musiciens ne perdent pas de temps en saluts et conversations, ils opèrent. Froidement, méticuleusement et avec hargne. Le tourbillon qui mélange les époques, celles qui n'ont en commun que la saleté et la brutalité, de Jefferson Airplane à Sonic Youth en passant par Spacemen 3, est inarrêtable et certains passages de certaines chansons vont même totalement déraper. Par moments, un surplus délirant de décibels vient anéantir ce qui restait de raisonnable, et un pogo s'improvise devant la scène, surprenant quelques spectateurs concentrés. Quelques filles parviennent à danser sur les morceaux les plus lents du groupe. Un autre pogo prend forme sur la dernière chanson à la longueur insensée, qui voit le groupe aller plus loin dans la performance que tout ce qu'on envisageait. The Lucid Dream ne viennent pas pour se faire plaisir et défendre un album, ils viennent vivre un combat épique aux limites de leurs capacités physiques.

Au bout de dix minutes de ré-enchaînements, de ponts infinis et de transitions bruitistes, le groupe saute de scène noyé de sueur, le sourire aux lèvres et recevant les tapes amicales de fans éberlués.