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The Invisible

Paris, Le Pop-Up du Label - 18 mai 2016

Live-report par Julien Soullière

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Le temps est incertain, contrairement au programme du soir. Direction le Pop-Up du Label, repère trendy niché près de la Gare de Lyon : celui-ci propose ce soir trois concerts à prix réduit et placés sous le signe de l'outre-Manche.

Comme toujours, il en faut un pour lancer le bal. Une tâche des plus délicates qui incombe aujourd’hui à une demoiselle armée d’une simple guitare. Elle s’appelle Lail Arad, c’est la fille du designer Ron Arad, un mec à la page Wikipédia bien fournie, mais ça, autant vous dire qu’on s’en balance un peu. Non, le plus intéressant ici, c’est bel et bien la musique de la jeune Anglo-israélienne. Son genre de prédilection ? Le folk, mais attention, le sien est d’une incroyable malice, et le second degré qui habite Lail transparaît autant dans ses paroles (on citera, non pas au hasard, le franglais improbable énoncé sur un Milo délicieusement jazzy : « I miss you Milo / Riding on your velo / Writing with your stylo / Stealing all my gateau […] »), que dans sa voix, toute en élasticité, qui parfois se traîne, parfois s’active, le tout avec une effarante facilité. Mais dire tout cela, ce serait oublier la ruse qui s’exprime par les seuls yeux de l’artiste. Un regard empreint d’intelligence, de panache. Un regard généreux aussi, attendrissant quand l’artiste peine à démarrer l’un des titres de son nouvel opus, The Onion, qui parait six ans après son premier essai. Non, vraiment, Lail est une belle âme, qui fait de la musique sérieusement, sans se prendre au sérieux. Elle est elle-même tout en étant la digne héritière des « ancêtres » (dont Léonard Cohen, à qui elle dédie un titre sur The Onion). Tout ceci a plu à Jarvis Cocker. Tout ceci fait un bien fou.

Là ou Arad occupait la petite scène par sa seule présence, Junk Son en appellent à la force du groupe pour s’imposer. C’est un quintet qui nous fait face, trouvant difficilement de la place sur une estrade par ailleurs noyée sous les instruments et autres machines. Également, là où Arad n’avait besoin que d’une voix et d’une guitare folk pour s’exprimer, le groupe mené par John Dunk livre des compositions brumeuses, complexes, faites de beats, de cordes et de cuivres (un saxophone lancinant donnant par moments au Pop-Up du Label un chouette air de club de jazz). Aussi parce que la seule voix qui émane de cette jungle sonore est féminine, tout ceci nous fait fortement penser à des groupes comme Bernard+Edith, chez qui il est aussi de bon ton de distiller des ambiances gris-foncé, des salves de sonorités inconfortables, étranges, mais avec un côté dansant pus appuyé ici. L’espace de quelques minutes, le public, bien que peu fourni à cette heure-ci de la soirée, aura été cerné par le bruit et la brume, comme hypnotisé. Là encore, une bien jolie révélation.

Ils étaient là, rodaient dans la salle depuis le début. Jamais ils n’ont cherché à passer inaperçus, et d’ailleurs, jamais ils n’auraient pu : nos trois lascars n’ont pas le gabarit de l’emploi. En fait, ils sont tout simplement là pour ne pas être ailleurs. L’ailleurs, cet endroit où rien ne se passe. Avec nous, ils peuvent profiter de belles notes de musique, de chaleur humaine. Peut-être aussi cherchaient-ils, ce soir-là plus particulièrement, à communier avec l’assistance : passé leur premier titre, c’est visiblement touché que Dave Okumu, l’imposant leader de The Invisible et producteur d’Anna Calvi pour ne citer qu’elle, s’adresse à nous pour nous dire combien il est content de nous voir, d’être là pour jouer sa musique, le tout sans se départir de cette voix feutrée si antinomique avec le corps dont elle émane. Oui, les fantômes du 13 Novembre dernier rôdent encore autour des belles gens.
Rispah est derrière nous. Okumu a accepté le temps du deuil, et a depuis mis un terme à cette douloureuse randonnée qui fait suite à la mort d’un proche (sa mère, en l’occurrence). Patience n’a pas encore pointé le bout de son nez que l’on sait déjà que le voile de noirceur qui drapait son prédécesseur se sera estompé. Il n’y a qu’à entendre ce soir les plus récentes compositions du groupe, Save You et Easy Now en tête (dans lesquelles il y a ce qu'il faut d'electronica et de funk), des titres que le public semble déjà bien connaître, et qui donnent de furieuses envies de se mouvoir. On ne s’y trompe pas, et on laisse nos têtes se faire plaisir, dodeliner, s’abandonner. Face à des personnalités si généreuses, physiquement (la place manque sur scène pour accueillir ces gros bébés), mais musicalement surtout (leur musique est faite de plein de choses), on se félicite de voir un peu plus de monde autour de nous qu’en début de soirée. En bout de course, le contrat est rempli : The Invisible ne nous promettait pas le grand soir, mais on joué non sans application, et sans céder aux sirènes du too much. Dehors, l'orage est passé. On y retrouve la douceur que l'on est venu chercher entre quatre murs l'espace d'un temps. Tout va bien.