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Roy Harper

Paris, Festival Villette Sonique - 31 mai 2010

Live-report par Julien Soullière

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Il est des moments où l’on se sait hautement privilégié; à défaut, on se doit au moins de se considérer comme tel. Car aussi précieux et intenses que soient ces instants de vie, ils n’en restent pas moins brefs et d’une extrême rareté. Ce n’est que lorsque je sors de la bouche de métro, et me retrouve face à l’ancienne halle aux bœufs, que je mesure pleinement la chance que j’ai d’en être ce soir.

Jimmy Page, Robert Plant, Pete Townsend, Paul McCartney, Kate Bush... Roy Harper a influencé, approché, voire collaboré avec les plus grands (au passage, il a notamment donné de la voix sur le titre Have A Cigar de Pink Floyd). C’est bien là tout le paradoxe de la chose. Le paradoxe Roy Harper. Pourtant légende vivante du monde musical anglophone, ce fantastique technicien reste honteusement méconnu, notamment dans notre pays. La faute, se dit-on, à des compositions trop complexes, trop labyrinthiques. Ou à toute autre chose, de moins évident, de plus injuste aussi. Allez savoir. Quoiqu'il en soit, dans la droite lignée des choses, c’est lui qui, ce soir encore, s’effacera, non sans une certaine humilité, derrière un de ses pairs. Rare sur scène, il accompagne en effet, pour son unique date française, la jeune songwriter Joanna Newsom. Un invité d’exception donc, pour un concert qui ne le sera pas moins.
Alors qu’arrivent les derniers retardataires, Roy fait son entrée sur scène et salue timidement une assistance que l’on sait composée de nombreux anglophones. La silhouette arquée et le pas lent, le bonhomme rejoint sa chaise et s’y installe, entre ses deux guitares. Si l’artiste semble crouler sous le poids des années, des titres et des collaborations, son visage affiche néanmoins une belle sérénité; dans ses yeux, on devine le respect, partagé, qu’il a pour les gens venus l’écouter ce soir.
Une fois sa guitare choisie et celle-ci accordée, Roy se lance enfin. Nul doute, l’émotion est présente, sur scène comme dans le public. Le silence, total, envahit la salle. Les premières notes de One Man Rock And Roll Band passées, on peut alors apprécier la voix du vieux lion : toujours aussi puissante et magnétique, les années lui ont conféré une beauté et une chaleur plus grande encore, auxquelles le public ne peut rester indifférent. Discret, l’homme n’hésite cependant pas à s’adresser à nous dans la langue de Molière. De beaux restes des enseignements qu’il a suivis dans notre langue, il y a des années de cela.
Signe distinctif d’un homme qui a vécu au rythme de la musique, l’artiste, quand il ne trouve pas ses mots, gratte les cordes de sa guitare pour mieux trouver l’inspiration. Amusant et authentique à la fois. Tantôt lunaire, tantôt drôle, Roy enchante et livre ce soir, dans une ambiance calfeutrée, une prestation techniquement parfaite, tout juste entachée de désagréables effets de réverbération (principalement en fin de morceaux). Le temps est maintenant venu pour l’anglais de tirer sa révérence; se termine alors notre voyage, sur les accords de la somptueuse Me And My Woman. Le public remercié, Joanna et ses musiciens introduits, l’auteur de Stormcock quitte la scène. Un au-revoir, tout en émotion retenue, à l’image de l’homme et de sa musique. Un grand moment.

Mais, l’accueil qui lui est réservé le prouve, c’est bel et bien la jeune californienne, harpiste depuis ses sept ans, qui est au cœur de toutes les attentes. Venue présenter son récent triple album Have One On Me, c’est une Joanna tout sourire qui arrive sur scène, suivie de près par ses musiciens. Violoncellistes, hautboïste, percussionniste... les membres du sextet rejoignent rapidement leur place. Positionnés au centre, la jeune femme et sa harpe; instrument qu’elle délaissera à de nombreuses occasions, pour aller s’asseoir derrière son piano.
Dès le premier morceau, ceux qui, comme moi, ne connaissent pas l’artiste, découvrent le timbre de voix si particulier de Joanna. Une voix joueuse, étrange, parfois enfantine. La demoiselle n’a jamais suivi de cours de chant, ceci expliquant cela et en même temps pas tout à fait, car elle chante divinement bien. Alors oui, la diction, de même que l’attitude, est quelque peu maniérée, mais que voulez-vous : Joanna est une diva. Et dont acte !
Une poignée de minutes auparavant, Roy Harper disait que la jeune femme originaire de San Francisco composait quelques unes de plus belles chansons au monde. C’est très subjectif, certes. Mais le public est indéniablement sous le charme. Je suis sous le charme. Les compositions, elles, sont aussi radieuses que complexes, longues et chaotiques dans leur construction : mises bout à bout, elles forment un tout homogène qui convainc sans peine. A défaut de donner aux non-initiés l’impression que les morceaux sont radicalement différents les uns des autres.
Pour autant, ceux qui comme moi se sont laissés aller, n’ont surement pas vu le temps passer. Et ils étaient visiblement nombreux au vu de l’ovation accordée par le public en fin de prestation : c’est debout que sont réclamés les deux rappels et debout qu’ils seront appréciés.

La foule sort calmement de la Grande Halle lorsque les lumières se rallument pour de bon. Elle est évidemment ravie de ce qu’elle a vu. Je la comprends. C’est un vrai moment de poésie qui nous a été proposé ce soir. Ni plus, ni moins. Un grand merci.
setlist
    ROY HARPER
    One Man Rock And Roll Band
    Commune
    The Green Man
    Pinches of Salt
    Another Day
    Me And My Woman

    JOANNA NEWSOM
    '81
    Ribbon Bows
    Have One On Me
    Easy
    Soft as Chalk
    The Book of Right On
    Kingfisher
    Inflammatory Writ
    Good Intentions Paving Company
    Monkey and Bear
    Peach, Plum, Pear
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    Baby Birch
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    Sawdust and Diamonds
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