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La Route du Rock

Saint-Malo, du 11 au 14 août 2016

Live-report rédigé par François Freundlich le 31 août 2016

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Les contours de ce dernier jour dominical de Route du Rock se dessinent plus nettement qu'un samedi qui nous a laissés sur notre faim. Après l'avoir satisfaite avec les fameuses moules frites du coin, nous rejoignons le fort pour une soirée qui s'annonce rageuse et punk avec notamment les vétérans de Lush, les excellents Fidlar ou encore les australiens de Jagwar Ma qui remplacent au pied levé l'annulation de leurs compatriotes The Avalanches. Sans oublier ce qui restera l'un des plus beaux moments toutes éditions confondues...

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L'astre solaire nous chauffe les écoutilles, tout comme le premier set de l'homme à la longue chevelure d'or : Morgan Delt. Comme une personnification de la Californie, le son lancinant et psychédélique semble évoluer vers un stoner-rock au ralenti, évaporant une voix flirtant avec des aiguës monocordes à la reverb évaporée. La guitare déglinguée enchaîne des accords évidents de tubes rappelant parfois Mikal Cronin sur ces chœurs chantés à tue-tête. Les influences indiennes ressortent parfois des lentes montées psyché, comme si Ravi Shankar flottait au dessus du fort de Saint-Père en complétant le set d'une cithare malicieuse. Le rythme s'accélère néanmoins sur certains passages se rapprochant davantage d'une power-pop entêtante, même si Morgan Delt n'en fait qu'à sa tête en changeant l'orientation des morceaux à sa guise. Les longs tunnels tortueux des Californiens ont ouvert idéalement ce dernier soir.

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C'est alors que résonne une voix tellement profonde qu'elle nous transperce, bien que nous soyons encore assez loin de la scène. La sirène Julia Holter nous fait nous rapprocher, de plus en plus, jusqu'à atterrir au premier rang on ne sait trop comment. Hypnose. Cette voix aérienne emmêlées de violon et contrebasse virevoltants nous éclaire l'âme comme peu ont su le faire. La folk précieuse de Julia Holter s'inscrit dans la lignée de ces moments magiques qui bercent souvent les dimanche de La Route du Rock. Debout derrière son clavier prenant parfois des sonorités de clavecin ou d'orgue, la californienne déploie sa voix comme si elle déployait des ailes en nous contant ses majestueuses compositions en nous prenant par les sentiments. Sa virtuosité est complétée par cette folie assumée dans des arrangements de cordes infinis, se déployant dans toutes les directions. Plus rien ne compte, seule Julia nous éclaire malgré ses lunettes de soleil qu'elle n'enlèvera que pour nous contempler, éblouie. Si son passage lors de La Route du Rock collection hiver 2013 nous avait laissé une impression mitigée, cette sublime prestation restera comme un coup de foudre, comme si chaque note nous touchait directement par sa mélancolie et son aura.

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Après cet instant de grâce, le festival aborde un virage électrique avec tout d'abord les shoegazeurs de Lush, des anciens tout aussi attendus que la reformation de Ride, lors de l'édition 2015. Si trois des membres formateurs sont toujours on ne peut plus présent, le batteur malheureusement disparu est remplacé depuis 2015 par un ancien musicien d'Elastica, Justin Welch. Leur son est néanmoins intact avec de lourdes guitares tout droit sorties du Londres de la fin des 80's et cette voix de la désinvolte Miki Berenyi, flottante autant que touchante, qui inspira tellement d'interprètes comme les fameuses Electrelane qui firent des ravages sur cette même scène. Miki tentera une interprétation en français de Desire Lines, avec toujours cette impossibilité de traduire une chanson de l'anglais vers le français. Malgré l'accent, Lush aura essayé.
Les tubes comme Ladykillers ne sont pas oubliés avec cette classe mélangée à une juste dose d'impertinence qui parvient à donner ce coté de perfection entêtante à un shoegaze-rock encore imprégné d'efficacité punk. On a l'impression d'assister à un enchaînement de tubes venus du passé, ayant pris autant de bienfaits qu'un grand vin qu'on ouvrirait 25 ans plus tard, tout cela sous un ciel complètement rose. De nouvelles compositions comme Out Of Control s'inscrivent parfaitement dans la continuité. Ce rock alternatif au féminin dans un océan masculin remet les pendules à l'heure en parvenant à nous exciter au plus haut point. Dans la lignée des reformations de Slowdive, My Bloody Valentine ou Ride, celle de Lush est tout aussi réussie que nécessaire, pour bien nous montrer le haut de la vague que beaucoup souhaiteraient atteindre.

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Le public est bouillant à l'entrée en scène de Fidlar, lesquels vont offrir l'une des prestations les plus dantesques jamais vécue sur la petite scène du fort. Los Angeles fait décidément des ravages avec le troisième groupe de cette ville qui s'introduit en rendant hommage aux Beastie Boys via une gigantesque reprise de Sabotage mettant le feu aux poudres dans un moshpit géant. Leurs titres dédiés aux buveurs de bières n'a fait qu'envenimer les choses avec un mélange de garage et de skate-punk hyper-rapide mais aussi redoutablement efficace. Les solos de guitares fous se répondent alors que la batterie accélère, se perdant dans des instrumentaux dissonants et diaboliques. Les voix braillardes rugissent, le public est totalement sous l'emprise de Elvis Kuehn, sa guitare en toile d'araignée et son organe rappelant autant Kurt Cobain que les Buzzcocks.
Ses petits « merci » en voix de Mickey nous font autant sourire que ses compositions alliant le fun dans la composition à la profondeur des thèmes abordés. Les passages plus calmes sonnent comme un blues nous rappelant que les compositions pourraient tenir la route en acoustique. Fidlar nous font sauter sur place et perdre pied dans une prestation de déglingo du probable meilleur groupe de punk des années 2010. La Route du Rock a pris feu.

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La troupe londonienne de Fat White Family enchaîne avec un post-punk déglingué porté par la voix criarde du chanteur qui vit torse nu, Lias Saoudi, véritable bête de scène n'hésitant pas à sauter dans le public dès le début du concert. Les riffs chaotiques surplombent les chœurs incantateurs dans des élans dissonants et foutraques. On ne sait plus où donner de la tête ni sur quel pied danser, Fat White Family nous prend à contretemps et à rebrousse-poils en permanence. La brutalité du groupe nous annihile jusqu'à n'en plus pouvoir. Une basse immense reste néanmoins la pierre angulaire de compositions tournant parfois à la cacophonie organisée. La voix se fait encore plus grinçante sur leur tube The Whitest Boy On The Beach, sentiment qu'on a pu ressentir lors du récent festival Calvi On The Rocks. Quelque part entre The Fall et The Velvet Underground, Fat White Family donnent l'impression de se déconstruire en permanence, jouant parfois avec nos nerfs entre nappes de synthés froids, crissements de dents, et grognements aigus ou gutturaux. Un concert de Fat White Family, c'est un peu comme être enfermé dans un chambre noire et sentir des choses inexplicables qui frôlent les membres. C'est à la fois terrifiant et jouissif. Si si la famille.

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Pour la troisième fois, et la deuxième d'affilée, les franco-britanniques de Savages sont de retour sur le fort de Saint-Père pour tenter une nouvelle fois de nous convaincre. Malheureusement, nous n'y arrivons toujours pas, avec cette impression de voir une pâle copie marketée de tout ce qui peut se faire en termes de post-punk, la sincérité en moins. Après avoir vibré sur les enchaînements de tubes de Lush un peu plus tôt, cette prestation de Savages laisse un goût bien fade. Toute subtilité est absente, tout y est toujours à fond, comme Jean Alesi, sauf qu'on n'y va pas et qu'on n'y comprend rien. La voix froide et monocorde semble forcer un trait grossier et au final difficilement supportable sur fond de pseudo-rébellion se limitant au poing levé. « Est-ce que vous êtes rock ? » demandait La Femme la veille... OUAI MAIS ON EST TROP ROCK NOUS T'AS VU ! Les concerts de Savages se suivent et se ressemblent à La Route du Rock, en espérant ne pas les revoir l'an prochain...

C'est le moment de rigoler un bon coup avec les Sleaford Mods, duo de Nottingham et leur hip-hop-punk porté par la voix à l'accent des East Midlands de Jason Williamson. Andrew Robert se contente quant à lui de lancer les instrumentaux karaokés sur le laptop et de vaguement remuer sa tête sur le coté de la scène. Le concert se veut parfois embarrassant, parfois drôle (surtout quand Williamson imite le mouton ou fait ses pas de danses chaloupés). Il est surtout impressionnant, tant le chanteur, avec ses nombreux tocs, enchaîne ses textes à une vitesse affolante, à tel point qu'on se demande parfois si un tel débit est humainement possible. Nous avons à faire au Usain Bolt des lyrics, toujours dans le rythme, le compteur de mots du traitement de texte aurait déjà explosé. Il l'avoue lui-même : trois chansons ressemblent à trois cent ans pour Sleaford Mods : nous les croyons sans sourciller. On doit cependant perdre une bonne partie des mots en retirant les « fuck ». Avec Sleaford Mods, on aura ri, on aura été ébahis, mais la rage du duo a pris le pas sur la musicalité, ne nous embarquant jamais vraiment dans leur trip.

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Le final de cette 26ème Route du Rock prend la forme d'une apothéose avec les australiens de Jagwar Ma, venus présenter leur futur album à sortir en octobre. Leur nouveau tube aux accents pop O B 1 est encore plus géant sur scène que dans sa version studio, s'enchaînant parfaitement avec l'excellent Uncertainty et sa rythmique synthétique qui provoque des mouvements de danse incontrôlables. Les relents électroniques corrosifs bouclent sur cette voix aiguë à l'écho braillard mais qui nous a tant marqués lors de la sortie de leur premier album Howlin'. Jagwar Ma semblent parfois au ralenti avec ces bruits étranges éclatés par des beats lourds et dansants. Si leur charisme n'est pas fantastique, ils ne s'attachent pas à le forcer comme d'autres. Entre house acide et harmonies à la Beach Boys, les instrumentaux synthétiques s'étalent sur des longues plages aériennes. La pop reprend parfois ses droits comme sur l'entêtante Come Save Me et son refrain repris comme un seul homme par les irréductibles toujours présent dans les travées du fort. Si le psych-rock a débuté cette journée, l'électro psyché l'a conclue avec les australiens magiques. Leur prochain album sera très, très attendu.

Si le bilan de cette édition du festival est plutôt médiocre avec seulement 13 000 spectateurs payants (comparés à plus de 22 000 en 2015), certains concerts furent de haut vol. Nous retiendrons les excellentes prestations de Minor Victories, Julia Holter, Fidlar ou Battles qui ont frôlé les étoiles. On peut néanmoins se poser des questions sur les présences de La Femme, Savages ou LUH qui n'apportent franchement rien de nouveau sous le soleil. Les années moyennes ont toujours existé, c'est pour cela que La Route du Rock renaît toujours de ses cendres. Nous l'attendons dès le début d'année 2017 avec son édition hiver.
artistes
    Fat White Family
    Fidlar
    Halo Maud
    Jagwar Ma
    Julia Holter
    Lush
    Morgan Delt
    Savages
    Sleaford Mods