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Very Good Trip Festival

Bellocq, du 10 au 12 juin 2022

Live-report rédigé par Laetitia Mavrel le 14 juin 2022

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vendredi 10
Enfin, la saison des festivals débute et ces derniers semblent tous de retour sauf cataclysme de dernière minute. Mais point d'affolement, nos rendez-vous estivaux sont bien programmés et quel plaisir après ces deux années de disette de découvrir de nouveaux événements apportant un vent de fraîcheur en tentant de se faire une place parmi les traditionnels gros raouts estivaux, qui ne laissent que peu de place aux initiatives locales, ces dernières disparaissant petit à petit par manque de moyens et de visibilité.

Ainsi, le dernier petit nouveau se nomme Very Good Trip Festival et se localise dans la charmante commune de Bellocq, dans les Pyrénées-Atlantiques. Ici, il n'est pas question de champs ou de parking dans une zone industrielle. Le cadre est idyllique : il se situe au sein d'une forteresse datant du XIIIème siècle. Aujourd'hui, c'est au cœur des remparts dorénavant à ciel ouvert et aux pieds des deux tours principales que se situe l'unique scène venant pour cette toute première édition proposer durant trois jours une très fine sélection d'espoirs du rock indé britannique.

Parrainé par le journaliste rock Michka Assayas qui lui a inspiré son nom, le Very Good Trip Festival est le fruit de la détermination d'une petite poignée d'irréductibles fans de culture rock anglosaxonne qui souhaitent que cette dernière rayonne jusqu'aux territoires les plus reculés, luttant ainsi contre la focalisation idiote sur les grands centres urbains. L'initiative est le projet de Mathieu, propriétaire et gérant du café-bar Le Pingouin Alternatif à Arthez de Béarn, qui a réussi en seulement quelques années à faire venir dans sa commune des pointures telles The Leisure Society, The Electric Soft Parade, Rose Elinor Dougall, Elysian Fields, The Fleshtones, Mustang ou The Married Monk. Entre conférences avec journalistes ou philosophes et concerts alléchants, l'étape suivante est bien le festival, qui en plein cœur de cette nature béarnaise rutilante offre les conditions les plus optimums. Sur la petite scène s'enchaîneront ce soir quatre groupes et nous aurons le privilège d'ouvrir cette première journée avec une programmation éclectique mais toujours sous le signe des guitares.


Sous l'ombre des deux grandes tours de cette forteresse historique, dans un magnifique écrin de verdure, se situe la scène qui accueille en cette fin d'après-midi baignée de soleil Mandrake Handshake, jeune troupe venue d'Oxford aux atours des plus colorés qui offre une pop psychédélique très riche en influences et particulièrement planante. Ainsi, les premiers singles du groupe, réunis dans leur premier EP Shake The Hand That Feeds You sorti l'été dernier, offrent une combinaison habile de musique psychédélique d'influence indienne et de guitares indie aux riffs percutants. La gamme des instruments va du classique (flute traversière) au jazzy (saxophone) en passant par des percussions latino et des samples plutôt trip-hop (Oxford oblige, probablement). Ce qui en résulte est d'une étonnante cohérence, guidé par les douces voix féminines qui permettent au tout de ne pas sombrer dans l'anarchie musicale. Mandrake Handshake et ses huit musiciens et choristes apportent ce qu'il faut de modernité à un répertoire solidement ancré dans un style d'un autre temps, sans jamais tomber dans la parodie baba cool malgré les tenues à propos desquelles on nous a assuré qu'elles étaient toutes vintage et achetées au kilo.


Sans transition, hormis celle qui nous permet d'aller nous rafraîchir grâce à la bière locale, délicieuse et abordable pour toutes les bourses, vient le tour des Anglais de Youth Sector, quintet déjà muni de deux EPs sortis en 2020 et 2022, dévoilant un art rock à la fois frais et racé, comme sait nous le proposer l'intarissable source de talent qu'est la ville de Brighton. Formés à l'université, mené par Nick Tompkins, leader particulièrement monté sur ressort, Youth Sector viennent ainsi se mettre au vert après leur première prestation parisienne au Supersonic deux jours auparavant.
Avec des musiciens affichant pantalons de tailleur et chemises ocres en guise de tenues de scène, le set est rondement mené et nous découvrons la power pop tirée à quatre épingles des singles issus de Adult Contemporary, EP sorti en février dernier. Avec ce petit « je ne sais quoi » qui rappelle les cousins suédois de The Hives, le cocktail est survitaminé, et en se démarquant de la tendance bien plus rageuse du moment, Youth Sector font le choix d'un style plus mélodieux et tout aussi dynamique. Le prochain EP est maintenant attendu pour suivre ce qui risque de devenir une des prochaines tendances.


Le soleil se couche sur les remparts dentelés de la forteresse et le stand grillades maison qui n'oublie pas les végétariens et vegans grâce à une option houmous et carottes marinées de compétition bat son plein. Le temps de recharger ses batteries et sa pinte, place est faite à la tête d'affiche de la soirée avec les Rouennais de Tahiti 80.
Pionniers de la vague french pop qui a marqué la toute fin des années 90, Tahiti 80 ont depuis produit neuf albums studio, dont le dernier Here With You sorti cette année. Seuls artistes français de la soirée, c'est pourtant dans la langue de Shakespeare qu'ils nous interprètent leurs meilleurs titres. Habitués des évènements à bien plus grande échelle, leur présence nous honore d'autant plus que le festival, mené de main de maitre par les seuls membres de l'association locale CAC 64, ne fait l'objet d'aucune subvention publique malgré le rayonnement apporté sur le territoire.


Une fois la nuit complétement tombée et les familles accompagnées d'enfants ayant regagné leur foyer, les festivaliers restants sont ceux armés pour le punk juvénile et dégoulinant de larsens que proposent pour clôturer la journée les londoniens de Bilk. Avec une moyenne d'âge située autour de vingt-deux ans, le trio n'en est pourtant plus à ses premiers essais. Armé d'un premier EP Allow It sorti en 2021, la tendance est post-punk mais tend plus vers le garage du début des Arctic Monkeys. Fortement biberonnés à la britpop mancunienne version Oasis, les membres du groupe revendiquent des influences en quasi-majorité composée de classiques, allant des Clash aux Smiths en passant par le hip-hop américain des années 80. Le résultat est alors bruitiste à souhait, légèrement brouillon, mais on sent derrière cet air arrogant et délicieusement adolescent une véritable érudition qui les amène à maitriser parfaitement ce faux semblant bordélique. Les derniers festivaliers se déchaînent et les pogos et autres mini circle pitts qui se dessinent ne sont pas le fait des plus jeunes, loin de là.

Sous une lune éclatante, la première journée du Very Good Trip Festival s'achève. Ce festival DIY, auto-financé et porté à bout de bras par une troupe de passionnés de musique rock, est la preuve que l'on peut encore en 2022 créer l'émulation nécessaire dans des territoires qui semblent injustement s'y prêter le moins. A l'heure des grosses machines menées par les géants de l'entertainment, qui pour la majorité d'entre eux se contente de faire tourner les artistes le plus bankables du moment, d'autres se posent en défricheurs de talents, avec pour objectif d'attiser toutes les curiosités pour que cesse le clivage entre grandes villes et campagnes.

Vivement la deuxième édition pour en prendre plein la vue et les oreilles, à taille humaine.
artistes
    Mandrake Handshake
    Youth Sector
    Tahiti 80
    Bilk