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La Route du Rock

Saint-Malo, du 17 au 20 août 2022

Live-report rédigé par Jean-Christophe Gé le 22 août 2022

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jeudi 18
Déjà la trentième édition de la Route du Rock. Je n'ai pas vu les années passer et je suis bien content de retrouver le Fort de Saint-Père. Pour cette étape, pas d'extravagance dans la programmation, le festival joue la continuité, la meilleure façon de célébrer l'identité de cet événement musical défricheur de talents dans tous les courants du rock indé. Ce soir, la moitié des groupes n'ont sorti qu'un album (dont deux dans la shortlist du Mercury Prize), et Fontaines D.C., les vétérans en tête d'affiche, viennent de sortir leur troisième disque. Cela étant dit, les Irlandais avaient déjà participé à la Route du Rock en 2019, pour leur première publication.

Travaillant comme un DJ qui construit son set, on commence par les nouveaux groupes, montant doucement en notoriété et finissant par l'électro pour danser. Avec ses deux scènes qui se font face, et sa jauge raisonnable, ce n'est pas le genre de festival où l'on marche pendant des kilomètres. Le marathon est purement musical car les groupes s'enchaînent avec des intermèdes de quelques minutes de 18h30 à 2h du matin.


Les Canadiens de Cola ouvrent la voie. La Route du Rock est le premier concert de leur première tournée européenne, l'accueil est chaleureux et le groupe semble apprécier. A trois, ils ont beaucoup de présence. Le bassiste est à fond, le batteur semble échappé d'OMD version 1980 et le chanteur/guitariste a un jeu et un chant très tendus. Nous aurons droit à quelques nouveaux morceaux, forts prometteurs, avec un chant plus profond qui n'a pas peur de s'exposer.


Sur la scène principale, la troupe de Black Country, New Road se prépare. L'année a commencé de manière étrange pour cet ensemble classique-jazz-pop qui a vu son chanteur quitter le groupe juste avant la sortie de son excelent second album. Les rescapés ne se sont pas démontés, trois des musiciens sont passés au chant, ils ont composé de nouveaux morceaux et ont repris les concerts. On peut entendre ici et là des enregistrements de ce nouveau set qui s'est rodé depuis le printemps. Ce soir, à Saint-Malo, ils sont magistraux et me font penser aux Arcade Fire du début en remplaçant l'accordéon par de la clarinette ou du saxophone. De leurs précédents disques, ils ont gardé les longues progressions, notamment sur Turbines/Pigs et Dancers, et les parties enjouées menées par le saxophone, qui rappelle Chaos Space Marine. Le précédent chanteur étant aussi guitariste, ce départ laisse plus de place aux autres instruments : violon, piano, clarinette, saxophone...
L'ouverture se fait avec Up Song, une chanson toute en progression, et son refrain manifeste « Look at what we've done, b c n r, friends forever » (ndlr : « regardez ce que nous avons fait, b c n r, amis pour toujours »). On les croit, et le public est conquis d'emblée. Dans une programmation très orientée vers les guitares, leurs violons et saxophones tiennent la corde. Après tout, le classique et le jazz ont été joués live bien avant la naissance du rock.


Sans transition, on reste sur un sextet, mais complètement électrifié avec un groupe de Brooklyn, Geese. Ce coup-ci il n'y a qu'un chanteur mais il module tellement sa voix que j'ai l'impression qu'ils sont deux ou trois à se relayer. La comparaison avec Black Country, New Road s'arrête là. Le son est énorme entre, Pearl Jam et les groupes de rock psyché à la Black Rebel Motorcycle Club ou The Brian Jonestown Massacre. Voilà qui change du post-punk !


Sur la scène principale, le duo Wet Leg vient célébrer l'anniversaire de la hype estivale de leur Chaise Longue On se demandait à une époque comment elles allaient passer d'un tube à un album. Depuis, les deux copines ont brillamment passé le cap. Pour le passage à la scène, l'ajout de trois musiciens permet de délivrer les chansons pop et d'assumer leur touche de folie caractéristique. Après plus de cent concerts, les deux chanteuses ont l'air de toujours autant s'amuser et le public est immédiatement conquis. Même l'agent de sécurité dodeline de la tête sur l'intro de Ur Mum.
L'ambiance est aussi bonne sur scène que dans le public, et ce dernier est aux anges quand les Wet Leg s'essaient au français, n'en finissant plus de demander à chacun des cinq membres du groupe si « ça va ? ». Elles ne se prennent jamais au sérieux, arrivant sur scène avec la musique du Seigneur des Anneaux et portent des tenues champêtres rappelant leur île de Wight. Avec juste un album, le set est forcément court, même si nous avons le droit à deux inédits.


Autre groupe qui a commencé en duo, et dont le premier album est nominé aux Mercury Prize, Yard Act démarre son set à fond et restera pied au plancher pendant tout le set, à l'exception du poème récité pendant Peanuts. Hasard des calendriers, c'est tout de même la sixième fois que je les vois sur scène en un an, et à chaque fois je suis bluffé par leur énergie et la sincérité de leur jeu. Le guitariste est en transe sur Land Of The Blind, le chanteur nous répète à l'envie « all you've got is the present moment so enjoy it » (ndlr : « tout ce que vous avez est le moment présent, alors profitez-en »), et la prestation est tout à fait dans l'esprit de ce mantra.


C'est le sourire aux lèvres que le public peut se masser sur la grande scène pour la tête d'affiche de cette soirée : les Irlandais de Fontaines D.C. Jusque là, les groupes communiquaient gentiment avec le public à coup de « Bonjour la Route du Rock » et « ça va ? », les plus aventureux comme Wet Leg et Yard Act ont même tenté de donner du contexte à certaines de leurs chansons. Pour le groupe de Dublin, pas besoin de blabla, la communion avec le public se fait uniquement par la musique.
L'ouverture de In ár gCroíthe go deo avec tous les membres du groupe pour les choeurs, la ligne de basse, le gimmick de guitare et le tambourin fait monter la tension sur scène et dans le public. Cette tension restera au maximum pendant les dix-sept titres du set. Grian Chatten tourne comme un lion en cage avec son microphone, en trois ans la scène est restée la même mais tout le reste a grandi pour le groupe: sa notoriété, sa passion, son énergie...
La sono et l'acoustique du Fort de Saint-Père servent parfaitement la musique lyrique et énervée du groupe, la basse est surpuissante, la batterie précise, les guitares texturées et le chant clair. J'ai vu la vidéo de Fontaines D.C. à Glastonbury, leur prestation à la Route du Rock est bien plus classe, et au moins, la nuit, le groupe peut avoir un light show plus que décent.

La grande scène est à peine libérée, que Charlotte Adigéry & Bolis Pupul investissent déjà la seconde. J'ai besoin de redescendre et de me rassasier, je raterai malheureusement une bonne partie du set le temps de prendre une galette-saucisse et une crêpe caramel au beurre salé, Bretagne oblige.
Pas facile de passer après Fontaines D.C. et d'assurer la transition entre la programmation rock et une partie plus électro. Le duo partage sa joie d'être sur scène et réussit un set très convaincant entre le chanté/parlé de Charlotte et les boucles, synthé et basse de Boris. Le Light show est très minimaliste et renforce l'intimité du set, donnant l'impression que le duo nous invite à sa fête.


La transition vers l'ambiance club étant assurée, les Working Men's Club peuvent clôturer la soirée. Le fort est transformé en un gigantesque caisson de basse. Sur scène, il y a un groupe et deux ambiances. Le chanteur est monté sur ressorts, il sautille en permanence comme s'il marchait sur des chardons ardents. Le reste du groupe, lui, est ultra statique, la claviériste restant même les bras croisés sur certains titres une fois les boucles lancées. On pense à une version de New Order qui, dans un univers parallèle, aurait décidé de faire passer Joy Division pour un groupe fun. La formule basse, synthés vintages et boîte à rythmes rétro n'est pas nouvelle, mais réussit à être entraînante malgré une ambiance glaciale. Ce côté froid renforce le cynisme des paroles pas si anodines comme sur Widow : « the lust was easy, until you died, and now I fuck inside my mind but not outside, The money is mine, suicide is yours but the money is mine » (ndlr : « le désir était facile, jusqu'à ce que tu meures, et maintenant je baise à l'intérieur de ma tête mais pas à l'extérieur, l'argent est à moi, le suicide est à toi mais l'argent pour moi »).

Avec un plateau cohérent qui a amené son public du rock vers une ambiance électro, l'équipe de la Route du Rock a réussi son pari artistique et a offert aux festivaliers une sublime première soirée pour sa trentième édition.
artistes
    Cola
    Black Country, New Road
    Geese
    Wet Leg
    Yard Act
    Fontaines D.C.
    Charlotte Adigéry & Bolis Pupul
    Working Men's Club
photos du festival