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Pitchfork Music Festival

Paris, du 14 au 21 novembre 2022

Live-report rédigé par Franck Narquin le 25 novembre 2022

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samedi 19
Après une première soirée que nous avons dédiée exclusivement au rock anglais dans le plus pur style Sound Of Violence canal historique, nous nous sommes concoctés pour ce deuxième round un parcours toujours 100% britannique mais bien plus éclectique tout en réussissant le petit exploit de nous rendre dans quatre des six salles dédiées aux soirées Avant-Garde du Pitchfork Music Festival. Au menu des festivités, la pop-mutine de floweroflove, l'étoile montante du rap anglais Jeshi, la country-pas-redneck-pour-un-sous de CMAT, l'electro-punk théâtral et féministe de Mandy, Indiana, et enfin VLURE, les bulldozers des Highlands.

Ayant fait l'impasse sur l'afterparty du vendredi au Carbone, le nouveau club techno underground du dixième arrondissement au design minimaliste et eco-friendly conçu par l'architecte Nicolas Sisto et nouvelle Mecque des noctambules parisiens, c'est frais comme des gardons que nous attaquons cette « soirée de samedi soir » comme l'on dit chez Section d'assaut. On retrouve les copains chez Giclette, le nouveau bar à vins très natures de l'équipe du Petit Keller pour trinquer autour d'un verre dont on peine déterminer précisément la couleur (un vin blouge ?). On ne s'attarde pas et en bons élèves, nous arrivons même un peu en avance aux Disquaires, ce petit café-concert coincé entre les magasins de disques Techno Import et Synchrophone, bien connus des amateurs de musique électronique pointue, où se produit en début de soirée flowerovlove, adolescente qui, du haut de ses dix-sept printemps, affole depuis plus d'un an l'industrie musicale anglaise. La londonienne a déjà posé pour Gucci et Pangaia, sorti une vingtaine de titres dont plusieurs dépassent le million d'écoutes sur Spotify, et semble avoir pas mal d'autres cordes à son arc. On se dit alors qu'on n'est pas prêt pour cette Génération Z qui livre des entertainers clé en main à l'âge où on avait encore du mal à passer correctement tous les accords de Wonderwall. Si sa claviériste et son batteur ont le même âge, on n'a pourtant jamais l'impression d'assister à un concert de copains de lycée. Tout est calé au cordeau et Joyce Cisse, nom de flowerlove au civil, assure le show entre les morceaux en mode stand-up. Sa bedroom pop rappelle celle de Clairo ou Arlo Parks mais avec une vibe plus feelgood. Si certains de ses morceaux sont un peu trop girly pour nous (spoiler : il y a très peu d'adolescentes dans notre équipe), d'autres épatent franchement, comme I Love This Song ou Malibu. En sortant de la salle, on a au moins une certitude, celle d'avoir découvert, parole de Laurent Boyer, une graine de star.

Organisés comme jamais, nous n'avons que quelques pas à faire pour arriver, en toute décontraction et largement dans les temps, au Badaboum. On se demande comment nous avons fait la veille pour avoir l'impression de passer notre temps à courir sans jamais parvenir à voir un concert dans son intégralité. A vingt heure-trente, on savoure de pouvoir entrer dans la salle sans avoir à faire la queue pendant trois-quarts d'heure tout en craignant le couperet sans appel du sévère cerbère. La jauge de la salle étant vite atteinte, on patiente gentiment épaule contre épaule espérant que Jeshi ait la bonne idée de ne pas laisser son DJ chauffer le public en passant des disques pendant vingt minutes, pratique trop répandue en festival chez certains rappeurs (Pusha T., Joey Bada$$, on pense à vous). Au contraire, il attaque pied au plancher et embarque avec lui toute la salle sans peiner. Sans peiner mais sans forcer non plus. La première moitié du show est indéniablement efficace mais assez peu originale. On reconnaît son flow acéré et sa prestance scénique, mais les productions nous paraissent en deçà de ce qu'on connaissait de lui. Alors qu'on croyait partir sur une semi-déception, Jeshi passe la seconde et enchaîne des titres d'un tout autre acabit comme I See You Sometimes, pépite électro hip-hop produite par l'omniprésent Vegyn, Coming Down où il tutoie presque Loyle Carner et bien sûr Protein, son petit chef d'œuvre qui devrait figurer dans tous les top singles hip-hop 2022 dignes de ce nom.

Satisfait de ces deux premiers concerts, on presse légèrement le pas pour rejoindre le Supersonic Records à temps pour assister au très attendu set de Mandy, Indiana. Et là, en lecteur attentif, vous vous dites « mais attendez monsieur le chroniqueur, vous ne nous aviez pas parlé d'une certaine CMAT, cette jeune Irlandaise qui dépoussière la country music et qui se définit comme « une pop star globale vivant à Dublin chez ses grands-parents et se remettant d'une addition à AliExpress ». Je vous répondrai que oui, cher lecteur.trice, de CMAT je vous ai effectivement parlé en introduction et tout en saluant votre perspicacité, je soulignerai que je ne vous avait pas tant dit sur cette artiste. Je passe donc la parole à notre spécialiste de country-music, qui vêtue de ses éternelles santiags rouges à assisté à son concert alors que nous étions au même moment à l'autre bout du quartier. A situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel.


En attendant le retour du collègue parti explorer la diversité musicale dans une autre salle, l'ouverture de la seconde soirée Avant-Garde au Supersonic se fait avec un acronyme des plus étrange : CMAT. Google nous propose ainsi deux choix : un expert en convoyeur aérien ou la dernière sensation pop destroy féminine issue de la fertile scène dublinoise. Nous rencontrons ainsi Ciara Mary-Alice Thompson, chanteuse et guitariste qui remet au goût du jour la country-folk made in USA en proposant un étonnant mix entre Dolly Parton et Peaches. Dès l'entrée sur la minuscule scène du Supersonic, lieu de tous les brassages, le ton est donné : chevelure rousse flamboyante, maquillage outrancier, résilles, bottes de cowboy aux couleurs du drapeau de l'Union Européenne, short et gilet outrageusement pailletés, le tout avec un sourire ravageur. CMAT n'est ainsi pas venu nous conter fleurette mais bien conquérir Paris qu'elle pratique pour la première fois. A sa grande surprise, un nombre impressionnant de fans reprend les chansons en chœur. Touchée par cet accueil qu'elle n'anticipait pas, CMAT redouble ainsi de vitalité et s'ensuivent quarante minutes de shows entre country sexy et pop en mode girl power tout en déhanchés lascifs. Avec des titres ouvertement militants (I Wanna Be A Cowboy, Baby!, No More Virgos, Every Bottle Is My Boyfriend), la petite foule compacte se déchaine et Ciara réussit pour cette première française à faire chalouper l'intégralité du club, du premier rang au fond du bar en passant par le balcon, à cette heure-ci généralement garni de spectateurs encore timorés, cachés avec leur bière. CMAT est définitivement une des grandes sensations de ces soirées Avant-Garde, relevant le challenge de renouer avec la country surannée de nos grands-mamans dans son premier album If My Wife Knew I'd Be Dead sorti cette année. Ici le Supersonic, à vous Cognac Jay...


Merci Laetitia pour ce témoignage poignant qui donne envie de se ressortir son plus beau Stetson. Pour le moment notre plan se déroule sans accroc. Il est à peine 21h30 et nous avons déjà chroniqués trois concerts de qualité, huit en deux jours. Il ne reste plus que deux groupes et c'est la quille. Bisous, bonne soirée et à l'année prochaine. Mais comme le samedi soir, tout se passe normalement jusqu'à ce qu'on décide d'ouvrir une porte et qui subitement, sans que l'on sache vraiment pourquoi ni comment, tout part en vrille. Cette porte, c'est ce soir celle du Supersonic Records où nous attendent Mandy, Indiana, ce groupe de Manchester qu'on a dans le radar depuis la sortie de leur premier EP et qui a assuré les premières parties de Gilla Band, IDLES, et Sleaford Mods et collaboré avec Regressive Left. Éloignez les enfants, la suite est réservée aux oreilles averties. A l'heure de début prévue, la salle est encore clairsemée, on en profite pour faire un tour au bar, les lumières s'éteignent mais il n'y a toujours personne sur scène, on tape alors la discussion avec une drôle de fille déguisée en Uma Thurman dans Pulp Fiction, perruque, chemisier blanc et faux sang sous le nez. Tout d'un coup, elle nous dit « ah, je crois que c'est à nous là », c'était notre première rencontre avec Valentine Caulfield, chanteuse française de Mandy, Indiana. Le ton est donné. Le guitariste ôte une chaussure, appuie sur un nombre incalculable de pédales, le batteur se met à frapper comme un sourd, un chevelu en t-shirt VR-SEX bidouille ses machines. Rythmique martiale, déluge de guitares saturées, on reconnait tout de suite Nike Of Samothrace, brulot punk féministe sur lequel Valentine scande son spoken word en français plantée derrière son micro, place qu'elle n'occupera qu'épisodiquement, préférant déambuler dans la foule, ramper au sol ou s'écrouler subitement par terre pour ensuite mettre un peu trop de temps à se relever. Le groupe bastonne sévère avec son electro-punk expérimental mais c'est Valentine qui capte l'attention avec sa prestation théâtrale et rageuse, dont on ne saura jamais vraiment dire si elle tient à une posture grand-guignolesque ou à une personnalité borderline sous haute substance. C'est exactement ce qui peut passionner ou rebuter le spectateur, les avis en fin de concert étant sacrément tranchés, y compris chez nous, les uns trouvant le set renversant et hilarant là où les autres le juge exténuant voire gênant. Pour expliquer aux anciens ce à quoi on vient d'assister, on leur demandera d'imaginer la rencontre d'Anne Clark avec Black Flag, pour leurs rejetons, un Dry Cleaning sous Ketamine et pour les perruquiers, des cousins anglais et guitarisés de Sexy Sushi. Si le concert s'est avéré indéniablement WTF, Mandy, Indiana sont loin de faire n'importe quoi n'importe comment (Bottle Episode et Alien 3 sont des sacrés morceaux) et connaissent sur le bout des doigts les classiques de la performance musicale déglinguée de GG Allin à Jean-Louis Costes. Un groupe qui cite comme principales références le romantisme noir de Leos Carax et le stupre viscéral de Gaspar Noé ne peut d'ailleurs pas être complétement mauvais. On a tendance à sortir à tout va le terme punk, surtout s'il est assorti du préfixe « post », mais ici le terme prend tout son sens avec ce groupe mal élevé, pas forcément aimable, qu'on sent prêt à dérailler à tout moment où à vomir sur les baskets Axel Arigato et les jeans APC des bobos parisiens venus voir de trop près le phénomène Mandy, Indiana. Vous sentez déjà siffler les acouphènes ? Accrochez-vous car la soirée est loin d'être terminée.


Nous voici de retour au Supersonic pour le tout dernier concert de la soirée. Contrairement à Mandy, Indiana, les cinq écossais de VLURE sont totalement passés au travers de nos radars. Lors de notre préparation studieuse des soirées Avant-Garde, nous n'avions jeté qu'une oreille distraite sur leur premier EP Euphoria, un poil trop bourrin pour une écoute au casque en plein milieu d'après-midi. Tout au mieux, on se voyait bien siroter notre bière au premier étage en regardant les gamins s'écharper sur des pogos gentillets ou perdre leurs clés dans des slams mal maitrisés, tout en commençant à rédiger notre chronique de la soirée dans les notes de notre iPhone, pour ne pas oublier ces punchlines qui paraissent si percutantes quand rugissent les démons de minuit (le sheitan, pas la chanson) avant de souvent se dégonfler quand l'Alka Seltzer a fait son effet. Bref, nous n'étions absolument pas préparés. Pas préparés à une belle surprise ? Alors, une sacrée claque ? C'est pourtant ce que nous étions venus chercher ce soir. Non, nous n'étions pas préparés à ce putain de Blitzkrieg gaélique ! Pourtant anodins sur disque, VLURE paraissent avoir parfaitement digéré pour mieux les recracher sur scène cinquante ans de subculture britannique, du punk à la house, de l'indus aux raves, de la new wave à la techno. Rien ne semble résister à ces écossais et certainement pas le public du Supersonic, chauffé à blanc, qu'on sent aussi prêt à se battre qu'à danser toute la nuit. Le chanteur Hamish Hutcheson, maillot de football sans manches et crâne rasé, harangue la foule tel un capo galvanisant ses ultras. Avec son physique imposant, il touche presque le balcon en tendant les bras et parait prêt à bondir sur le public à tout moment, ce qu'il ne manquera finalement pas de faire, ses rangers passant seulement à quelques centimètres de nos têtes. Les quatre musiciens arborent un look queer-new wave-SM leur assurant une entrée quasi-certaine au Berghain et ce quel que soit le jour de la semaine. A part Show Me How To Live Again, sorte de croisement entre The Fall et The KLF, on connait peu les morceaux du groupe et étant placés parmi les tous premiers rangs de la fosse, l'expérience proposée tient plus du combat de rue que de l'analyse musicale fine. Pour faire simple, l'énergie déployée évoque des Prodigy énervés et leur musique confronte la club-culture (rave, techno voire eurodance) à la rock-culture du nord de l'Angleterre (punk, dark-wave, new-wave...). Les sons se mélangent un peu dans nos têtes mais l'intensité et la puissance live de VLURE est sidérante. Cette année, seuls IDLES nous ont autant impressionnés physiquement. A la fin du concert, il est impossible de savoir s'il a duré cinq minutes ou cinq heures, car si on n'a pas vu le temps passer, notre corps lui semble avoir livré ses dernières forces.

Quelles sont les grandes tendances que l'on peut retenir de ces soirées Avant-Garde du Pitchfork Music Festival ? Le plus évident est l'omniprésence de la vague post-punk qui ne devrait pas faiblir en 2023 mais qui est appelée à évoluer en s'imprégnant d'influences électroniques. Le Girl Power continuera à devenir de plus en plus protéiforme, infiltrant même la pop-adolescente ou la country. Enfin, les deux noms qui seront le plus revenus sur ces deux jours sont ceux de Dan Carey et Vegyn, s'imposant comme les architectes du son anglais d'aujourd'hui, effaçant peu à peu les frontières entre les genres. Cette fois c''est vraiment la quille, alors bisous, bonne soirée et à l'année prochaine !
artistes
    Astrønne
    Léa Sen
    Dua Saleh
    Sans Soucis
    Jeshi
    Pip Millett
    Nukuluk
    Grove
    yunè pinku
    Johanna Warren
    Mandy, Indiana
    CMAT
    Romero
    Vlure
    flowerovlove
    Grace Ives
    Gretel Hänlyn