Deuxième jour du Left Of The Dial à Rotterdam. On a dormi quatre heures, à peine le temps de prendre un pain au chocolat et un café à l'auberge de jeunesse, et déjà on est reparti pour vous faire découvrir le rock de demain, celui qui n'a pas encore sorti un EP mais qui sera la star de l'année 2030, un programme qui commence dès 16h10 avec
Cosmorat derrière la gare dans la salle du Perron.
On a découvert hier la salle « Big », aujourd'hui ce sera la « Small » et son ingénieur du son à moitié sourd, comme nous très bientôt si on reste plus de vingt minutes dans ce bourbier. Juste le temps de profiter de la pop joueuse et rentre-dedans, à la lourdeur inattendue, du trio mené par Taylor Pollock au chant et Olly Liu à la guitare, deux amis d'université mêlant de mieux en mieux, chanson après chanson, leur amour de la pop Rn'B et du gros rock à guitares.
No Sleep fait taper tout le monde dans ses mains,
Baskseat Baby saute aussi haut que le permet le plafond du Perron, l'ingénieur du son nous fait vibrer de l'intérieur tellement le son est fort, et nous voilà déjà en route pour traverser à nouveau le centre-ville de Rotterdam jusqu'à la salle du V2, notre deuxième maison en cette glorieuse deuxième journée.
Sur scène,
Sam Akpro et son crew, un groupe venu en nombre affichant deux guitaristes, un bassiste, un batteur, un DJ, et le rappeur/chanteur de south-east London. Comme une thématique de l'après-midi, l'heure est au mélange, du rap et du Rn'B smooth et chill croisé sur des nuances psychédéliques hautement inflammables, s'embrasant en une lourdeur presque stoner. Des flammes dans lesquelles Sam Akpro chante sans s'inquiéter de la chaleur qui monte, avec détachement, avec tendresse et calme, les yeux fermés sur le message qu'il délivre.
Death By Entertainment bondit et rebondit sur le trampoline tendu par les pompiers en contrebas, quand
Chicago Town jette un cocktail molotov de plus dans la mêlée, et que l'on tente tant bien que mal de photographier quelque chose dans cette mer de couleurs rouges et de projections lumineuses hasardeuses. Le V2, une salle avec de nombreuses colonnes et une colorimétrie immonde, mais une salle dans laquelle on sera bien obligé de revenir, et pas qu'une fois aujourd'hui.
Cosmorat et Sam Akpro, deux belles découvertes mêlant pop, rap, et grosses guitares, mais qu'est-ce que vous voulez faire quand vous avez face à vous un homme, une femme, et une tronçonneuse ? Retour à l'église d'Arminius, théâtre de certains des plus grands concerts de ce festival, il est 17h30, et ceux que l'on a même pas quitté depuis deux jours sont de nouveau là au grand complet : Vera Lepännen à la basse, Emmie-Mae Avery aux claviers, Clio Starwood au violon, Billy Ward et Billy Doyle à la guitare, et Lola Cherry à la batterie forment
Man/Woman/Chainsaw, et c'est parti pour quarante minutes du meilleur concert de votre vie (après tous les autres). On en fait des tonnes et on blague, le concert mettra trois ou quatre chansons à vraiment se mettre en branle, mais la fameuse
OMPPU passera un cran dans l'épique pour que tous les astres s'alignent, que tous les instruments trouvent leur parfaite place dans la hauteur des colonnes de l'église, et voici les six musiciens qui s'éclatent, chantent, dansent, rient, et délivrent une fantastique performance que rien ne viendra enrayer, pas même un changement de corde de guitare sauvé par une gigue improvisée entre Clio et Lola, soutenu par les applaudissements et les danses du public. Si vous voulez un compte-rendu complet d'un concert de Man/Woman/Chainsaw, je vous renvoie à leur passage au Supersonic à Paris deux jours avant, mais retenez seulement qu'enchaîner
What Lucy Found There avec
Ode To Clio dans une église est digne d'un récit biblique, d'une page d'histoire dans laquelle même Dieu s'est arrêté dans ce qu'il faisait pour écouter, sauter, hurler Man/Woman/Chainsaw, et se dire que quand même, putain, il avait fait du bon boulot !
D'une église à une boîte de nuit, la thématique est sauve grâce à
Christian Music dans le Centraal, club tout en longueur et pas très adapté à de la musique live à guitares, mais jouer dans un renfoncement de mur sur une mini-estrade n'empêchera pas le quatuor aux airs de groupe de fac de nous poncer les oreilles sans aucun respect. Christian Music, un imbroglio encore incertain de genres en tous genres mené par Josh Baker, glissant du post-punk au garage en passant par le doom, un bordel en ébullition dont la deuxième guitare réglée par un éléphant aveugle sert de basse à l'ensemble, et des bons gars de Stoke-on-Trent dont les
Feed The Monkey et
Marimba-Tragic Death Cult nous font dire que le potentiel n'est pas seulement grand mais immense. Des bons gars qui se retrouveront avec leur un EP et demi à court de musique au bout de vingt minutes, demandant candidement « on doit continuer à jouer jusqu'à 40 du coup ? ». Alors nous voilà repartis pour un tour, et un mélange de trucs en cours, de reprises, et de tout ce qui leur tombe sous la main dans un rappel improvisé qui durera finalement aussi longtemps que le concert de base.
Pas le temps de niaiser, on court un peu pour rattraper le set des cambridgiens d'
Ugly au De Doelen Up, centre philarmonique de Rotterdam dont une petite salle sur le côté a été allouée au festival. Une belle salle épurée, parfaitement sonorisée, parfaitement éclairée, un rêve pour tout chroniqueur-photographe fatigué des caves et des clubs technos reconvertis, un rêve comblé par la musique délicate, harmonieuse, et inventive du sextet au nom pas beau. Ugly, un continent tout entier de pop encore inexploré, une aventure musicale pour chercheur d'or, et des paillettes qui, dans la batée, se révélèrent être des diamants. On se laisse porter par le duo de guitares d'Harrison Jones et Tom Lane en introduction de
Shepherd's Carol, avant que la basse d'Harry Shapiro ne reprenne le flambeau, constellée de notes de flûte et de piano et de la magnifique harmonie des voix de Jasmine « Jazz » Miller-Sauchella et Samuel Goater, un bateau surfant de haut en bas sur les tumultueuses rythmiques proposées par Theo Guttenplan. Un groupe à cinq de fronts, car personne n'est ici plus important que les autres, dans une joie d'être ensemble communicative parfaitement transmise par le mantra bouddhiste de
Sha et l'introduction a cappella à deux voix de
The Wheel. Jazz s'amuse tellement qu'elle en jette ses lunettes par terre, Sam est mort de rire à côté, et
Wasteland met un gros boost électro à une sublime conclusion de concert tenant en quelques mots : « we've been Ugly ». Ugly, un groupe de pop et bien plus encore à la beauté irréelle, en lesquels on voit déjà les successeurs spirituels de la sensation English Teacher, et vous l'aurez lu ici en premier.
En parlant de découvertes et de continents inexplorés, nous voici de retour au V2 pour
Weaving In Purgatory, groupe anglais sans aucun single disponible qu'on passe voir parce qu'on a le temps et que le nom intrigue grandement. Et on peut dire qu'on ne sera pas déçus par une formation alignant deux guitaristes-chanteuses, une claviériste-harpiste, une violoniste, une batteuse, et une danseuse au premier plan qui passera le set à faire trembler ses chaînes et préparer on ne sait quel rituel vaudou dans la fosse. Du bon rock harmonieux à tendance orchestrale, une vibe de The Last Dinner Party version sabbat de sorcières, un passage au piano qui voit tout le groupe s'asseoir par terre, et une conclusion en allumage de bougies dans la fosse : le show est déjà rôdé et on ne peut s'empêcher d'y rester fixé, tant par sa qualité que sa bizarrerie. Reste à sortir quelques chansons, et on jugera sur pièce un groupe qui promet quand même de belles choses, dans un style dont on aimerait beaucoup voir plus.
On continue notre descente vers le port de Rotterdam, retour à la Waalse Kerk pour des gars qu'on a déjà vus cette année dans des conditions nettement moins fun : hello
Dog Sport, le premier groupe en dog de la soirée, que l'on va enfin pouvoir découvrir hors de la cave de la Seine Café. Du post-tout naviguant entre post-punk et post-rock prenant toute son ampleur dans la hauteur de l'église de Waalse, et un set qui s'alourdira au fur et à mesure jusqu'à la spirale finale
Cylinders, fusion froide et désaturée de guitares et de cymbales fendues en deux sur la chaire sacrée. On s'extasiera toutefois moins que sur les groupes précédents, la faute probablement à une communication et un dynamisme un peu absent (et puis, le post-quelque chose, ça fait des années qu'on s'en mange, et si la qualité n'a pas tant baissé, c'est plutôt l'écœurement qui pointe le bout de son nez.
Double saut rapide, d'abord avec
test plan et leur rave-punk qu'on aurait bien aimé revoir aussi après la Block Party, mais le Vessel 11 ou V11 est, en plus d'être une salle vraiment pas terrible et mal éclairée, complètement blindée cinq minutes avant le concert. Alors on passe vite fait voir
Hypothetics de loin au Worm, une bande qui se balade entre pop-rock, post-punk classique, et plans électroniques avec de jolies lignes de basse et plein de bip-bips. Absolument pas le groupe qu'on avait entendu sur leurs sorties studio, et un sentiment de musiciens qui se cherchent encore une véritable identité. En résumé, c'est pas mal, mais on ne voit pas bien où ça va, et vu l'océan de talent dans lequel on nage depuis deux jours, il en faudra plus que ça pour avoir droit à un paragraphe complet dans cet article.
Ceux qui n'auront eux pas volé leur paragraphe, c'est
Dog Race, alors qu'on rentre pour la troisième fois de la journée dans un V2 cette fois blindé, pour observer ce qui apparaît comme l'une des sensations montantes du festival au vu du monde réuni ici. Des fans au premier rang qui réclament déjà des chansons, et une formule de post-punk disco et cold wave qui se découpe des tons uniformément rouges habitant la salle, menée par le chant tout en folles envolées et cassures aigues de Katie Healy. Une formule baroque et improbable rappelant certaines heures des Rita Mitsouko éclatant dès
There's A Mouse In My House, suivie de la touchante et profonde
Diamond & Rust, avant d'arriver au premier moment que tout le public attendait :
The Leader. Du synthé sous crack, des couplets tout à la basse et au chant, une imitation de Desireless sur le refrain, tous les fans des années 80 sont aux anges, et ce n'est pas le final
It's The Squeeze qui viendra les contredire. Une formule semblable, et un refrain montant depuis les monologues intérieurs de leur géniale chanteuse, schizophrénie des relations toxiques s'élevant à deux voix par-dessus une avalanche de synthés et de falsetto.
Scaramouche, scaramouche, nous voilà maintenant au TR8, la petite salle de droite cette fois-ci, en rendez-vous particulier avec
Lou Terry et son groupe. Un petit gars à tête blonde chantant de sa voix éraillée un country-rock fait d'aller-retours dans la campagne anglaise pendant que s'enchaînent les CDs de Eels dans l'autoradio. Un rock lo-fi écorché vif croisant moments de lover près du feu et décharges de saturation en chemise à carreaux, de
Yellow Top à
Warmly, Alexandria en passant par la magnifique
Rollercoaster Therapy, parfaite chanson à pratiquer pour tout apprenti guitariste en mal de péchotage. Attention toutefois car le timbre de Lou Terry n'appartient qu'à lui, et ceux qui ont déjà essayé de chanter du Oasis me comprendront, la tâche est parfois plus rude que prévu pour qui n'a pas la gouaille suffisante.
Canyon, autre extrait de son premier album à venir,
Building A Case, rajoutera de sympathiques éléments électroniques dans le mix, avant de conclure sur la tempêtueuse
Rowan's Advice, et nous laisser heureux d'avoir fait ce petit passage rafraîchissant chez Lou, Emmett, Luke, et Armando, avant de retourner à notre quotidien fait de groupes en Dog fans de post-machin-truc.
Sans aucun lien, on tente de passer voir
Nerves, les irlandais à la musique pleine de doom-noise-punk et autres trucs à la mode à Dublin, mais le Centraal est déjà (aussi) blindé, la foule compacte jusqu'aux toilettes, et comme ça fait maintenant sept heures et demies qu'on court partout dans la ville, la flemme l'emportera et nous ramènera pour la dernière fois de la soirée et du festival au V2, devant un truc parfaitement indescriptible appelé
KickBoy. Une entrée sur une trompette annonçant des joutes chevaleresques, un chanteur en gilet jaune présentant son groupe avec un accent anglais comme on en fait plus depuis le quinzième siècle, un saxophone qui court partout autour de la scène, et
Vision Shakes qui déboule comme une tornade chaotique de post-punk chaotique saupoudré de chaos par-dessus. Un groupe très récent dont c'est la première apparition en festival, par ailleurs surpris de voir qu'il n'y a pas que leurs potes dans la salle ce soir. En même temps, comment rater ce bordel de chansons punk courtes et punchy enchaînées à toute allure, dans un format et un what the fuckisme général rappelant les féroïens de Joe & The Shitboys. Le groupe reconnaîtra d'ailleurs dans le public une programmatrice de Northampton, et il faut dire qu'on a aussi croisé pas mal de programmateurs parisiens pendant nos trois jours, avant que le chanteur et bassiste ne descende dans la fosse, que la saxophoniste ne brandisse des pancartes militantes contre Primark et autres corporations dégueulasses du même genre, et que cet imbroglio de musique et de fun et de « mais qu'est-ce que je fous là !? » ne se termine par
Ick Boy de KickBoy par
Ick Boy qui... puis derrière
Eat My Soul! Steal My Hands!, parce qu'on n'était de toute façon plus à ça près.
Et voilà cette journée qui se termine sur un ponton à discuter avec les potes, devant un V11 encore une fois blindé qui ne voudra pas qu'on voit AK/DK ce soir. Mais ne vous inquiétez pas, tout cela ne sera que partie remise, car il reste encore un jour de festival, un jour tout aussi éprouvant et rempli d'autant de surprises et de découvertes que ce jour 2. Un jour 2 dont on retiendra prioritairement Man/Woman/Chainsaw et Ugly, avec un tout petit peu derrière Christian Music, Dog Race, Sam Akpro, Cosmorat, KickBoy, Lou Terry, Weaving In Purgatory ou encore Dog Sport, et on souhaite une bonne continuation à test plan et Nerves malgré le fait qu'on n'ait pas réussi à les voir. Bref, c'était du sport et ça le sera encore plus demain, une journée à ne pas rater débutée par une formation au mosh pit à Arminius et conclue au même endroit par un groupe avec pour l'instant aucun son mais un potentiel immense : The Orchestra (for now).