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Henri Herbert

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 25 mars 2016

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Remplaçant d'Eliot Mortimer aux claviers de The Jim Jones Revue, Henri Herbert a marqué son ex-formation de son inimitable jeu debout, d'une puissance encore inégalée dans ce registre. Pianiste de boogie woogie depuis l'adolescence, Henri Herbert est un autre autodidacte de la musique ; le chant, il l'a également appréhendé tout seul, au gré de ses prestations solo... C'est après la séparation de The Jim Jones Revue que Henri Herbert se lance dans une nouvelle aventure avec Nick Jones, batteur du même groupe. Naviguant entre récitals solo (qu'il affectionne depuis toujours) et pendant lesquels il épluche les répertoires d'Albert Ammons ou de son héros, Jerry Lee Lewis, et les concerts avec son nouveau trio, le franco-anglais Henri Herbert vit un succès rapide et mérité. Du haut de son mètre soixante et d'une voix encore plus basse, Henri Herbert, quelques heures avant sa prestation au Petit Bain le 27 janvier 2016, nous raconte ses débuts et son parcours, jonglant entre le Français et l'Anglais, Jerry Lee Lewis et Elvis Presley, le boogie woogie et le blues made in USA.

En 2012, lors d'une interview réalisée avec Jim Jones et Rupert Orton à Paris, ils nous évoquaient à quel point The Jim Jones Revue était en phase avec les fifties. De ton coté, dans quel univers musical as-tu grandi ? Quelles ont été les influences marquantes dans ta jeunesse ?

J'ai grandi entouré des disques de Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, Elvis Presley et Little Richard. Mais, également avec quelques compositeurs classiques car mon père était un guitariste classique. Ma famille étant très portée sur le rock fifties et j'ai grandi dans cet univers musical. Ma famille adorait le rock'n roll que l'on dit traditionnel, et je leur dois beaucoup.

Comment vont Jim, Rupert et les autres membres de The Jim Jones Revue ? Êtes-vous toujours proches depuis la séparation du groupe ?

Ils vont bien. Quand tu es sur la route et en tournée pendant de si longues années, tu ne peux que devenir ami au fil du temps. Je suis très enthousiaste de voir et d'entendre le nouveau groupe de Jim (Jim Jones And The Righteous Mind). Avec Jim, Gavin ou Rupert, nous sommes souvent en contact.

À quel âge as-tu appris le piano ? As-tu suivi un cursus musical scolaire ?

Non, je n'ai jamais fréquenté de cours ou d'école de musique. J'ai principalement appris par moi-même en écoutant de vieux disques, dès l'âge de cinq ans... Des disques de blues, principalement. Ensuite, c'est vrai, j'ai eu la chance de fréquenter de fameux pianistes de boggie woogie qui m'ont appris les bases de ce genre musical.

Il y a une légende autour de toi, notamment lorsque tu jouais avec The Jim Jones Revue, comme quoi ton fabricant te préparait du matériel spécifique et renforçait tous tes claviers parce que tu jouais si fort que tu en brisais un par concert, ou presque ! Est-ce vrai ?

Je ne sais pas d'où est partie cette rumeur, mais c'est à moitié faux. Ce qui est vrai, c'est qu'on me fournissait des pieds de piano renforcés. Les pieds de mes claviers étaient spécialement fabriqués par une entreprise spécialisée dans les échafaudages. De toute façon, le clavier cassait très souvent, quoi qu'on y fasse (rires) ! Mais comme j'avais un bon contrat après vente avec le fabricant, Roland, ils me les réparaient à chaque fois. Même si ils étaient assez furieux quand je les appelais pour leur dire que j'avais encore cassé un clavier (rires).

Quand as-tu décidé d'entreprendre une carrière solo et d'écrire tes propres titres ?

Je pense que cela date de peu après la fin de The Jim Jones Revue, en octobre 2014. Mais, cela a toujours trotté dans ma tête... Dès mes débuts dans la musique. J'étais tellement absorbé et occupé par The Jim Jones Revue, que je n'avais de toute façon ni le temps ni l'énergie à l'époque pour y penser concrètement.

J'ai appris à chanter, mais par moi-même.

As-tu pris des cours de chant avant d'entreprendre une carrière solo ?

J'ai appris à chanter, mais par moi-même. Avant The Jim Jones Revue – où il m'arrivait d'assurer les chœurs et certaines harmoniques vocales – j'ai dû donner une centaine de tour de chants, seul avec mon piano et ma voiture, en Angleterre et également en Espagne. Au début, je ne pouvais pas jouer et chanter autrement qu'assis. Aujourd'hui, je peux faire tout ça en restant debout, et c'est beaucoup plus marrant (rires) !

Dans combien de formations as-tu évolué avant de rejoindre The Jim Jones Revue ?

Trop ! J'ai perdu le fil, il y a longtemps... Peut-être quinze ou vingt groupes différents. Et ce, depuis l'âge de seize ans, dans des styles aussi variés que le jazz, le blues, la folk, le ska... Cela s'est encore accéléré quand j'ai déménagé à Londres. À Londres, il y a un concert différent chaque soir et il m'arrivait de jouer dans un groupe de blues un soir, un groupe de rock un autre et un groupe de country le troisième soir...

Est-il vrai que tu gagnais ta vie, étant jeune en étant pianiste de bar et pianiste pour mariage ?

Quand j'étais encore adolescent, il est vrai que j'ai souvent joué pour les mariages. Quand j'avais quinze ans, je trouvais génial de pouvoir me produire sur une petite scène de salle de mariage en échange de quelques bières. Je pense que c'était le lot de nombre de pianistes, à leurs débuts.

Ton premier EP, Wired, a été lancé début novembre 2015 et tu viens d'annoncer le second, You Say. Pourquoi deux EPs ? Pourquoi pas un LP, directement ?

Je pense que je suis encore en apprentissage et le format EP me permet d'apprendre, au fil des enregistrements, des sorties et des concerts qui vont avec. Je n'avais aucune idée de si cela fonctionnerait ou pas. Mais, après le Wired EP, j'ai eu de bons retours, donc j'ai continué avec You Say. Et, sûrement qu'un LP viendra à un moment donné. J'aime l'idée du format EP qui te permet de ne proposer que quelques titres à chaque fois, puis d'attendre quelques mois pour proposer à une nouvelle brochette de titres. Le problème d'un album, c'est qu'il te faut beaucoup de temps avant de pouvoir sortir celui qui suit.

Le format EP correspond finalement très bien avec l'énergie et les constructions de tes chansons ?

Exactement. Avec les titres que je propose actuellement, l'EP est le meilleur format. Pour You Say, j'ai travaillé avec le producteur Neil Brockbank qui m'a été recommandé par Nick Lowe. Un artiste que j'apprécie particulièrement.

Où se sont déroulés les enregistrements de tes deux EPs ?

Les deux ont été enregistrés dans deux studios différents. b>Wired a été enregistré au Soup Studio, à Londres. C'est un studio très vintage rempli de vieux pianos, de vieux amplis à lampe et tout le décorum qui va avec. You Say a été enregistré au Goldtop Studio, qui est le studio de Neil Brockbank. Toujours à Londres. Sur Wired, j'ai du tout faire tout seul et j'ai un peu joué les apprentis sorciers question production. Pour You Say, je suis très rassuré d'avoir eu Neil à mes cotés.


Quel est le rôle d'un producteur comme Neil Brockband, selon toi ?

Le producteur t'aide à décider quelle sera la meilleure prise, mais également quand t'arrêter. Parce que j'ai une fâcheuse tendance, comme beaucoup de débutants j'imagine, à vouloir toujours refaire mes prises pour les améliorer sans cesse. Un producteur te dira : « Celle-ci est bonne. Avançons maintenant... » Quand on travaillait sur Savage Heart avec The Jim Jones Revue, Jim Sclavunos était notre producteur et il était très bon pour deviner quelle prise garder et quand il nous fallait avancer sans regarder derrière...

Comment travailles-tu tes titres ? Tu écris musiques et textes ?

Oui. Pour Wired, j'ai du passer deux ou trois semaines à écrire des idées et des poèmes sur un carnet. Ensuite, je passais à la musique et aux mélodies. Ce n'est qu'après que j'intégrais le groupe et toutes les nouvelles idées qu'ils pouvaient apporter. Avec Nick Jones, notamment, j'ai la chance d'avoir à mes cotés quelqu'un qui a un background très rock'n roll et qui apporte beaucoup d'énergie à mes idées. Avec mon ex-bassiste, Tim Purkess, j'avais quelqu'un dont le passé très rockabilly donnait une coloration Elvis Presley à certains titres. Aujourd'hui, Tim a rejoint son ex-groupe et c'est Lucas Itié qui l'a remplacé. Lucas vient d'un background plus funky et soul. C'est un fan de Jimmy Hendrix qui apporte un nouvel éclairage sur les titres de You Say. Sur cet EP, j'ai plus collaboré avec Nick qu'avec Lucas car il nous a rejoints en cours de route.

Je crois que tu as du sang français dans les veines ; je pense même que nous pourrions facilement continuer cette interview en français ?

Ma mère est française. Et je parle assez bien le Français, mais je dois faire plus d'efforts (ndlr : en français dans le texte). J'ai vécu en France jusqu'à l'âge de trois ans ; à Montivilliers, en Normandie, près d'Etretat. Mais je suis né à Harfleur, Normandie. Et ma famille est originaire d'Aix-en-Provence... J'y ai passé pas mal de vacances scolaires, surtout quand on habitait en Angleterre.

On se souvient des vidéos de toi improvisant au piano à l'aéroport Charles de Gaulle ou à la gare de St Pancras, à Londres. Certaines ont atteint les dix millions de vues ; ce qui est énorme ! Est-ce que ces vidéos Youtube t'ont apporté quelque chose en termes de notoriété et de buzz pour ta carrière ?

Je crois qu'en dehors du buzz, cela m'a surtout apporté de la confiance en moi. Confiance dont je manquais alors. Quand ces vidéos ont commencé à bien marcher sur Internet, elles m'ont donné une sorte de coup de pied au cul ! C'est là que j'ai réalisé que beaucoup de gens aimaient ce style et mon jeu au piano et qu'il fallait que j'essaie d'en faire quelque chose. En dehors du trio de ce soir, j'aime bien jouer seul, uniquement en instrumental. Ce que je fais encore, de temps en temps.

De ce fait, considères-tu Internet comme une chance ou comme une menace pour les artistes ?

C'est résolument une chance, à mon sens. Internet t'offre la chance d'être vu partout dans le monde ! J'ai des amis au Canada ou en Australie qui peuvent voir mes vidéos en même temps que les Anglais. D'un autre côté la gratuité d'Internet pose problème, bien évidemment. Ce qui est certain, c'est que cela a changé la donne pour l'industrie du disque et pour les artistes. Tu es obligé de prendre Internet en compte quand tu travailles dans ce milieu.

À quand une signature sur un label de renom ?

Pour l'instant, mes EP sortent sur mon propre label, HH Records.

J'ai beaucoup de nouvelles chansons que je n'ai pas encore exploitées.

2016 est une année bien remplie pour toi. Tu es déjà annoncé dans de nombreux festivals comme le SXSW à Austin, Texas...

Je suis très content d'aller jouer aux USA, en mars. Ensuite, je reviendrai en France et je partirai tourner en Espagne. Je suis très heureux de pouvoir y retourner parce que la dernière fois que j'y ai joué, c'était en solo. Et puis, j'ai beaucoup de nouvelles chansons que je n'ai pas encore exploitées et d'autres, plus anciennes que je n'ai pas pu intégrer au premier EP et que j'ai mises de coté pour plus tard. Cela donnera sûrement un nouvel EP, ou un LP pour l'été. Je pense que la collaboration accrue avec Nick et Lucas donnera une nouvelle coloration aux prochains titres, un peu en dehors de ce qu'on pourrait appeler le rock'n roll traditionnel.

Tu as eu l'opportunité de jouer au 100 Club de Londres ; un club légendaire s'il en est, notamment à la période punk et punk rock...

C'était il y a à peu près un an, en mars 2015. Nous étions en configuration à deux pianos, face à face avec Big John Carter qui est un des maîtres du boogie woogie et qui m'a enseigné, étant jeune, tout l'art de ce style de musique. Nous avons joué les répertoires d'Albert Ammons et Pete Johnson principalement.

Depuis 2015, tout va très vite pour toi, non ?

Je suis surpris moi-même ! A la base, je pensais ne faire qu'un EP et puis la BBC m'a demandé de faire une session live chez eux et cela a généré pas mal de nouveaux auditeurs pour moi. J'étais encore en train d'apprendre à chanter correctement et il a fallu que j'aille jouer à la radio anglaise, donc j'étais un peu nerveux... Récemment, j'ai fait un set avec les Strypes. Ils m'ont invité à jouer avec eux en Irlande pour une fête de noël décalée (ndlr : le 31 décembre 2015 à Cavan. Ville originelle des Strypes). J'ai joué deux de mes titres et un des leurs et ensuite, ils m'ont dit que je pouvais rester pour tout le set et les accompagner dans leur setlist. J'ai vraiment adoré faire cela.

Quel a été ton premier disque acheté ?

Jerry Lee Lewis Sings The Rock'n Roll Classics ! Je crois que je devais avoir onze ou douze ans... J'avais déjà entendu des tas de titres de Jerry Lee Lewis à la maison, mais avec ce CD, je réalisais que je pouvais découvrir d'autres titres que je ne connaissais pas encore et je me souviens l'avoir joué des centaines de fois.

La musique des années 80 ou 90, ce n'était définitivement pas ton truc ?

Non. Je n'aimais pas la synth pop ou la new wave. J'ai toujours préféré Little Richard ou Elvis Presley.

Et actuellement, est ce qu'un groupe contemporain trouve grâce à tes yeux ?

Il y a pas mal de « nouveaux » groupes que j'écoute, mais la plupart du temps, ils sont déjà installés depuis quelques années et ils progressent avec les années. Par exemple, j'adore le Jon Spencer Blues Explosion. J'aime beaucoup les londoniens de YAK et leur rock bien tendu, également.

Il y a un groupe parisien qui a supporté The Jim Jones Revue pendant quelques dates et avec qui vous êtes devenus amis, Parlor Snakes...

Parlor Snakes, bien sûr ! Mais, eux aussi cela fait quelques années qu'ils existent et j'ai beaucoup aimé leur dernier album produit par Mathieu Morin. Cela fait quelque temps qu'on ne s'est vus, maintenant, mais à l'époque où ils tournaient avec nous, nous avons passé de très bons moments.

Ma dernière question en forme de choix cornélien : Elvis Presley ou Jerry Lee Lewis ?

C'est très difficile...mais ce sera Jerry Lee Lewis, « The Killer ». J'ai toujours préféré Jerry Lee Lewis, même si j'ai un respect infini pour Elvis Presley. En plus, ils étaient amis, comme tu le sais. Et je pense, finalement, que je peux aimer les deux avec autant de conviction !