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Tindersticks
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Lyon, Nuits de Fourvière - 25 juillet 2013

Live-report par Olivier Kalousdian

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En passant devant le musée des miniatures et décors de cinéma de la rue Saint-Jean à Lyon, toute la beauté de ce quartier, ancien et donc fortement touristique, bondit sur le festivalier qui se rend, à pied pour les plus courageux, sur les hauteurs de Fourvière. Les façades de briques rouges et d’ocres variés ornant les anciennes soieries des bords de Saône rayonnent l’intense chaleur de cette fin juillet à Lyon, placé en alerte canicule depuis quelques jours maintenant.

C’est avec peine que le rockeur pèlerin atteint les premiers contreforts d’une pente sévère mais jouxtée d’une végétation rafraîchissante et qui s’élève jusqu'au point culminant, le théâtre antique de Fourvière. L’air est rare et plombé et la foule déjà massée autour de la seule oasis disponible une fois passée les contrôles ; le bar et ses nombreuses fontaines à houblon. Mais, parce qu’un bar seul ne peut subvenir à une telle soif, des fûts de bière humains, tonneau dans le dos et pistolet à pression à la main parcourent l’amphithéâtre et la fosse pour aller hydrater les milliers d’assoiffés qui flirtent avec la déshydratation... Le problème c’est que ces barmans ambulant n’atteignent que rarement la fosse et les gradins, pris à revers par des armées de festivaliers qui, redoutant la queue au bar, les obligent à courir recharger leurs armes, à peine sortis du stock !

Sur les accords encore brulants du You Can’t Be Told d’une Valérie June – que l’on surnomme déjà la Jackson One – rafraîchissant l’assistance avec sa robe courte et son chignon de dreadlocks agrémenté d’une énorme fausse fleur, Fourvière profite de l’intermède technique pour aller s’abreuver à coup de pintes. Avec un blues teinté de R&B – que l’on nomme aussi bluegrass – issu de son Tennessee natal, Valérie June, fille du promoteur de Prince et Bobby Womack, est tombée dedans quand elle était petite.
Cette afro américaine à la peau laiteuse a la charge d’ouvrir une soirée caniculaire placée sous le signe de la musique mélancolique.

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Les Tindersticks, menés par Stuart Staples ne semblent pas avoir mesuré la chaleur ambiante sous leurs vestes de tweed et rappellent que l’Angleterre a toujours fait mieux que de tenir un rôle de figuration dans les genres musicaux US que l’on nomme blues ou folk. Depuis leurs débuts en 1992 et leur premier album éponyme en 1993, les Tindersticks ne comptent plus leurs collaborations dans le 7ème art avec des films comme Nénette et Boni ou Trouble Every Day... Il est vrai que leur musique, à la limite entre Ry Cooder et Neil Young, se prête parfaitement à la pellicule, immortalisant une romance ou un paysage qui défile par la fenêtre d’une vieille guimbarde. A Man Needs A Maid, deuxième titre du set, est une cover du Neil Young des années 1972 et du mythique album, Harvest. Le reste du set ne dérogera pas à la mélancolie connue de ce groupe porté par la voix unique de son chanteur, Stuart Staples. Seuls les cuivres, sur Say Goodbye To The City, ou le rythme plus enlevé de This Fire Of Autumn, sortiront un public cramé par le soleil, couchant au loin, d’une paisible torpeur. D’une beauté incontestable, le set donné par les Tindersticks n’en est pas moins figé. La contemplation étant de mise dans ce lieu antique que seul le ciel surplombe, il leur en sera fait grâce après un Come Inside final, invitant à la réflexion, et à la rêverie.
Avec deux comparses absents, et pas des moindres – Steeve Harris, le génial guitariste au jeu de jambes agile, et Jonathan Noyce, bassiste discret mais au combien imposant – Archive ne dérogent pas à leur statut de groupe polymorphe et proposent un line-up de vacances. Le noir est fait depuis déjà quelques minutes sur la scène et la rumeur monte des gradins et de la fosse pour que le groupe se hâte. Nulle impatience, exceptée celle que tout fan ressent avant un concert, mais une nécessité quasi impérieuse due aux trente-deux degrés que tous les mobiles de Fourvière affichent encore à 22h30 sur leur écran d’accueil !

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Dans les hauteurs de l’amphithéâtre, un air parfois moins chaud vient caresser les corps moites qui bénéficient d’un certain espace entre chaque siège, mais dans la fosse, constamment rejointe par des festivaliers venus pour en prendre plein les tympans et les rétines, le bulletin météo frise le réchauffement climatique du néolithique ! Immobiles, ou presque, les corps transpirent à grosses gouttes à chaque fois qu’une ligne se resserre devant la scène. Les très longues minutes qui s’écoulent avant qu’Archive n’investissent la scène sont comme des heures ; seule une setlist totalement remaniée (en place depuis le début de l’été) et l'hypnotique titre Finding It So Hard ouvrant ce bal du feu font oublier la quasi suffocation. Si tant est que cela soit possible, la température monte encore de quelques degrés quand la boite à rythmes très rapide appuyée par la lourde batterie de Steve Bernard de ce titre qui peut durer quinze minutes à lui seul se mettent à retentir avant même que le groupe ne soit au complet.
Dave Pen – l’âme sombre du groupe – cheveux raccourcis et plaqués à la cire se laisse, envahir par ce titre originellement chanté par Craig Walker (dont il reprendra la suite sur le titre Again, également) ; il le vit et le danse dans un triturage musical, lyrique et corporel qui sont les faire valoir d’Archive. L’amour déçu, la séparation, la trahison, la violence, le contrôle des foules... Tout ce qui noircit au charbon de bois nos vies et nos sociétés donne matière au groupe Archive.
Choix risqué s’il en est que de lancer tous ses chevaux dans la bataille, dès le premier titre, dans une setlist toujours renouvelée et corroborée par les centaines de concerts qu’ont donné Archive, depuis trois ans maintenant. Comme le disait Darius « Killer », un des deux maîtres à penser du groupe avec son alter-ego et deuxième clavier, Danny Griffith : Nous ne sommes pas aimés en Angleterre. Mais le reste de l’Europe nous accueille constamment avec une ferveur que nous ne réalisons toujours pas !

D’abord décomposant et fracassant le trip-hop novateur du Massive Attack des débuts – Karma Coma semble l’exemple le plus juste – dans leurs premières compositions, Archive rendent sauvage et planant ce mélange ambitieux qu’ils ont initié dans les années 95 avec Londinium et sans cesse réinventé depuis Controlling Crowds en 2007, entre trip-hop, électronica et rock progressif poussé au maximum des possibilités acoustiques des multiples instruments qu’ils fusionnent et des scènes qu’ils arpentent.
Polyphoniques dans les voix (Maria Q, Dave Pen, Pollard Berrier ou la jeune Holly Martin depuis Violently) souvent superposées comme dans les accords de claviers synthétiques qui sont l’épine dorsale sur laquelle se greffent de lourdes cordes et percussions, numériques ou pas, Archive peuvent transposer le plus amateur des films super 8 en projection Imax 3D dans un sens de l’orchestration et des breaks qui voient certains titres dépasser les dix minutes après des silences trompeurs qui précédent un déchaînement sonore dans une totale communion de tous ses membres. Une recette qui n’est pas sans rappeler Pink Floyd (référence absolue pour Danny Griffith) et les rave party qui voient le talent de certains DJ faire monter ou descendre la pression au cours d’un même morceau.

Quand le beau bébé qu’est Pollard Berrier – l’âme radieuse du groupe – avec son visage de poupon et ses cheveux masquant sa figure prend le lead sur les titres Bullets ou Wiped Out, son collège Dave Pen prend les baguettes pour renchérir, si tant est que cela soit possible, des percussions fracassantes. Quand Dave Pen entonne le titre Fuck You en s’adressant, ironique, au public lyonnais (qui se régale à hurler, de concert le refrain de ce titre très acide), Pollard Berrier enfourche sa guitare et joue des riffs crasseux en sautillant comme un frénétique Berlinois qu’il est. Quand Holly Martin, la très jeune recrue du groupe, prend son tour de chauffe pour Violently, Hatchet et You Make Me Feel, d’ordinaire interprétée par Maria Q, Darius la suit d’un œil protecteur et martèle d’un point rageur et d’un sourire sincère le tempo des titres, constamment changeant. Archive, c’est un collectif mouvant de neuf musiciens haut de gamme (au maximum) capables de passer neuf mois en studio pour l’album You All Look The Same To Me dont trois uniquement pour parfaire le titre Again, véritable symphonie rock de plus de quinze minutes en version CD.

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A peine onze titres et pourtant déjà une heure et demie de concert et le groupe quitte la scène sur un Bullets qui siffle encore dans les oreilles les plus sensibles. Le public, débout scande inévitablement « Again » et sera entendu pour un « encore » démarrant sur un des titres les plus emblématiques d’Archive et qui sera joué sur le même tempo sur toute sa longueur, laissant Dave Pen donner une interprétation vocale dérangée et déchirante de ce drame amoureux.
Comme au Midem l’hiver dernier, c’est le titre Dangervisit qui ferme le bal. « Feel, Trust, Obey... », le couplet est répété à l’infini sur une apothéose sonore qu’honore une envolée de milliers de coussins verts comme autant de feux d’artifice. Tradition lyonnaise d’un public ravi dans cet amphithéâtre sponsorisée par les bien nommés Coussins lyonnais ! Légèrement moins lumineux sans Steeve Harris, Maria Q et Jonathan Noyce et définitivement taillés pour des sons et lumières plus importants, Archive ont su, malgré tout imposer un paysage sonore et inventer ce nouveau genre faisant lien entre l’improvisation quasi jazzy du rock progressif et planant des années 70 et les sons urbains précis et modernes du trip hop développés par des machines aux tempos arithmétiques puissants et qui elles, ne peuvent jamais improviser.

Les concerts d’Archive sont comme des voyages sonores qui transportent l’auditeur dans la psyché trouble et étouffante de l’ère moderne.
setlist
    TINDERSTICKS
    If You're Looking For A Way Out
    A Man Needs A Maid (Neil Young cover)
    Sleepy Song
    Say Goodbye To The City
    Show Me Everything
    This Fire Of Autumn
    A Night So Still
    Medicine
    Slippin' Shoes
    Frozen
    Come Inside

    ARCHIVE
    Finding It So Hard
    Wiped Out
    System
    Hatchet
    Sit Back Down
    Conflict
    Violently
    Fuck U
    Kings Of Speed
    You Make Me Feel
    Bullets
    ---
    Again
    Dangervisit
photos du concert
    Du même artiste