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The Voyeurs
Fat White Family

Paris, Point Éphémère - 12 février 2015

Live-report par Olivier Kalousdian

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Une sacrée bande de branleurs nihilistes adoubés d'un talent à faire sortir de son studio berlinois Anton Newcombe et tout le Brian Jonestown Massacre ! Voilà, en quelques mots soupesés, les idées qui nous submergent à la sortie du brulant concert des londoniens de Fat White Family.

Reporté de trois mois pour cause d'opération de la gorge de Lias Saudi, le chanteur azimuté des Fat White Family, le set de ce soir reprend l'affiche qui était originellement programmée le 1e octobre 2014, dans la même salle. The Voyeurs ouvrent ce bal des vampires sous les meilleurs auspices. Initialement nommé Charlie Boyer & The Voyeurs, le groupe de Londres dont le batteur, Samir Eskanda, est né en Palestine, remet au goût du jour le glitter et la décadente créativité du milieu des années soixante-dix quand Iggy Pop, alors plongé dans le creux de ses veines bleuies faisait confiance à son ami David Bowie pour aller s'enfermer deux mois dans un studio de Berlin et en ressortir son album du renouveau créatif, The Idiot.

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Charlie Boyer, chanteur et guitariste de son état, est entouré de Danny Stead (basse), Sam Davies (guitare) et Ross Kristian (claviers). Sous des coupes au bol rappelant The Kinks, les guitaristes et bassistes de ce quintet évoluant dans un monde hanté par Syd Barret et Temples puisent dans le post-punk leurs cordes maltraités et un jeu dont la finesse est aussi évidente que le programme social du PS. Anciens et modernes à la fois, les titres de The Voyeurs courent après la gloire glanée par leurs aînés : l'intro de piano du titre England Sings Rhubarb Rhubarb n'est elle pas empruntée à Sir Bob Geldorf et son Botown Rats quand ils interprétaient le titre devenu une légende urbaine, I Don't Like Mondays ? Les uns faisaient d'un fait-divers dramatique un hymne acide et intemporel quand les autres ironisent sur le peuple asservi par la télévision et les réseaux sociaux sur lesquels tous les avis, commentaires et autres vérités font le buzz... C'est toujours une curiosité pour un quadra de voir de jeunes post-adolescents faire autant référence à des groupes passés ; mais, le rock se nourrissant de lui-même, aucune rigueur ne sera conservée de cet état de fait. Be Nice pompe les riffs de rockabilly sur une tranche de glam rock ? Et alors !Le tout est bien amené et, surtout, bien joué. Things We Be doit beaucoup aux claviers de John Cale et au Velvet Underground ? Sûrement parce que la bande à Lou Reed est à la mémoire rock collective ce que le FN est aux théories raciales : des maîtres à penser que l'on ne peut ignorer. Le très bon titre Train To Minsk, que les mauvaises langues requalifieront de « Night Clubbing » à l'Anglaise, finira de nous contenter sur la qualité et le devenir de The Voyeurs.

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Danger, Lias Saul est énervé ! Éconduit au seul point de ravitaillement liquide d'un Point Ephémère dont la salle de restaurant annexe à été privatisée – occasionnant les grognements d'une salle pleine à craquer et un embouteillage monstre devant la seule pompe à bières disponible – alors qu'il nourrissait l'espoir de s'adoucir le palais d'un cru français avant d'entrer en scène, Lias a sa tête des mauvais soirs ; ce qui ne peut être qu'un bon signe pour la suite de la soirée. À sept sur scène, sa bande est là pour foutre un bordel sonore dont personne ne sortira indemne. Auto Neutron lance les premières radiations nocives et impose un début de foutoir scénique et sonore sur un « chain gang space rock » dont le seul but est l'amusement. Crescendo, le titre dominé par les claviers et les guitares psychédéliques est vite pris à son compte par Lias Saudi, remarquable bête de foire et de scène qui ne recule devant aucune des postures de ses aînés ; tout y passe, des coups de bassin d'Iggy Pop au regard fou d'un Alice Cooper, dont il partage un physique disgracieux mis en avant en passant par les hurlements crachés dans un face à face torride dont le micro sortira perdant, façon Peter Murphy sous perfusion situationniste d'un Bauhaus imaginiste. Devant leur étendard géant – en guise de logo et de programme anarcho-prolétaire proposé au panel européen du soir – dressé en fond de scène et représentant une tête de cochon au-dessus d'un marteau et d'une faucille, Fat White Family déploient leur country punk devant une salle à la limite du trop plein et qui, pour ne rien arranger, se met à se balancer les uns contre les autres, sans ménagement au son d'un Is It Raining In Your Mouth? bien plus violent en live que dans sa version studio.

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Le moment est venu pour Lias et d'autres membres du groupe de tomber la chemise et de dévoiler des corps qui n'ont rien de glamour ; aussi cassés que l'est leur musique ! Avec un engagement et des physiques pareils, le Rock & Roll Hall of Fame leur tend les bras. En attendant cette consécration, sur laquelle on peut aisément parier, c'est Lias qui tend les siens au public des premiers rangs, l'encourageant à venir sniffer ses aisselles…ambiance dégénérescence ! Chauffés à blanc, les excités des premières rangées réagissent au quart de tour et les crowd-surfings, assez rares dans cette salle minuscule, s'enchaînent et ne cesseront qu'une fois les lumières revenues. À l'intro du troisième titre, I Am Mark E.Smith et son glam rock tout relatif, Lias roule une pelle mémorable à son guitariste histoire de rassurer celles et ceux qui douteraient encore de sa personnalité sulfureuse... Le bar a refusé une bouteille de vin au groupe avant concert ? Nathan, Joe ou encore Jack vont se faire une joie de se rappeler à leur bon souvenir : « On a soif ! Elle est où la bouteille de vin ? ». Elle arrivera sur scène quelques minutes plus tard, engloutie au goulot par chacun des membres du groupe juste avant d'entonner le diabolique Touch The Leather et son riff quasi disco latino sur un incongru chant gothique (sûrement le vidéo clip le plus déjanté des dix dernières années !) qui donne envie de faire sauter son appartement meublé Ikea... Des deux guitaristes, aux looks proches de Mungo Jerry et aux instruments aussi carrés qu'une table en formica (et verts, de surcroît) au clavier qui finira le concert assis par terre, la main au dessus de la tête pianotant un peu au hasard, jusqu'au bassiste pieds et torse nus, suant à grosses goûtes sur son instrument c'est tout le barnum et ses Freaks qui re-calibrent, à coup de cocktails molotov, un rock anglais parfois trop propret. Les Fat White Family donnent le maximum sur chaque titre et le public n'en perd pas une miette. Les bouteilles d'eau ont depuis longtemps été vidées sur des têtes inconnues et le Point Éphémère n'est plus la salle arty du Canal Saint-Martin, mais, pour un soir, le pendant du CBGB, époque Brown Sugar.

Les Fat White Family viennent de copuler violemment avec le public du Point Éphémère, partant pour un deuxième climax. Encore de ce rock aux sonorités maléfiques, de ces personnalités au caractère trempé et de ce chanteur phare qui, à l'instar d'un Serge Gainsbourg à son époque, nous susurre dans le creux l'oreille : « Quand on me dit que je suis moche, je me marre doucement pour ne pas vous réveiller… ». Si certains titres sont brouillons, voire volontairement noisy, l'amnésie musicale récréative est totale à la sortie prématurée de ce set bouillonnant que conclue un larsen douloureux qui durera plusieurs minutes après la sortie de scène du groupe.

Car l'engagement total a néanmoins un prix : celui d'un set sans rappel. What you see is what you get. No more et, surtout, no less !