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Micachu And The Shapes
PJ Harvey

Lyon, Nuits de Fourvière - 14 juin 2016

Live-report par Hugues Saby

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14 juin. Sept jours avant l'été. Aux Nuits de Fourvière, les concerts commencent tard, histoire d'attendre un peu que la nuit tombe. Pourtant, c'est la pluie qui est tombée sur les quelques malheureux qui, comme votre serviteur, ne savaient pas que le festival adaptait ses horaires à la luminosité. Une heure de flotte torrentielle, pendant laquelle, peu à peu, une poignée de valeureux en ponchos vient grossir les rangs de l'amphithéâtre romain. Mal récompensés néanmoins : la catastrophe climatique s'arrête pile quand commence le concert de Micachu & The Shapes, catastrophe d'un tout autre genre mais largement aussi dévastatrice.

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Sur scène, une petite femme patibulaire, habillée comme un sac, coiffée avec les pieds du réveil, balance à qui veut l'entendre une bouillie sonore rappelant, dans les meilleurs instants (ils seront peu nombreux) Nirvana, Connan Mockasin, les White Stripes et Crystal Castles. Ses interventions au micro, tout comme sont chant, sont inaudibles, et marmonnées d'une voix faussement traînante qui dessine, on le devine, un personnage assumé, mais parfaitement désagréable. Aucun dynamisme, aucun charisme, un jeu de clavier qui ferait passer « Isabelle a les yeux bleus » pour la Symphonie du nouveau monde, une voix le plus souvent fausse, des motifs de guitare sans inspiration et ultra répétitifs... Rien ne sauve le trio de la déroute, même pas ses probables prétentieuses influences (Steve Reich, Philipp Glass, je ne vous remercie pas). Seul le batteur s'en tire à peu près (comprenez : il sait jouer de son instrument) mais uniquement pour aligner des rythmes téléphonés sur une caisse claire qui sonne comme une pantoufle en fin de vie. Pourtant, pendant quelques rares moments, le punk rock motorique du groupe, entre Ty Seagall et les Stooges, a des accents accrocheurs, mais ils sont immédiatement gâchés soit par une erreur rythmique, soit par un chant horriblement faux, soit par une guitare absolument désaccordée, soit par les lignes de synthé dignes d'un enfant de huit ans. Certains appellent ça une première partie. Personnellement, j'appelle ça une faute professionnelle, aussi bien du côté du groupe que du programmateur. Oui, bien sûr, le son rappelle parfois l'album Dry de PJ Harvey. La performance qui suivra discréditera en une fraction de seconde cette ligne de défense. Si vous ne connaissez pas encore Micachu & The Shapes, le conseil est simple : ne les écoutez jamais, et vous prospérerez heureux.

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Fort heureusement, le concert de la muse de Somerset sera aussi impressionnant que celui qui l'a précédé était consternant. Le plateau, déjà, donne le ton de démesure de la performance qui s'apprête à se jouer sous nos yeux. Deux batteries avec une imposante grosse caisse, des percussions partout, des guitares et des basses dans tous les sens, et même un accordéon ou un saxophone baryton ! Une clarinette basse ! Mais aussi, bien sûr, des AC 30 et des Bassman 54 en veux-tu en voilà. L'entrée en scène des dix musiciens est à la hauteur : un défilé d'une rigueur militaire fait démarrer cette deuxième partie de soirée en fanfare, littéralement. Dans sa tenue excentrique, mélange de Comedia dell arte et du projet Blair Witch, avec une touche de Pokemon et de Catwoman (si, si), PJ Harvey paraît enfin. Sa voix est immense, intacte, plus belle et plus précise qu'avant, même. Les harmonies sont compliquées, la puissance de feu est terrassante, la justesse estomaquante, et tout cela est extrêmement rythmé, avec un caractère sexuel patent. Bref, ce n'est pas la même limonade, et pendant près de deux heures, PJ égrène les titres de ses albums phares avec une maestria bluffante.
Alternant les cuivres d'infanterie et les percussions militaires pour la période The Hope Six Demolition Project et Let England Shake, et un rock brut, minimaliste et merveilleusement lyrique pour les albums plus anciens, Polly Jean se livre à un exercice de réinterprétation de son répertoire hallucinant d'intelligence et de musicalité. L'influence free jazz de John Coltrane période Stellar Regions, mêlée à celle plus douce du cool de Miles Davis apporte à tout cela une complexité et une tension rares. Ce mélange de rage rock et de théâtre victorien prend comme un sortilège, et les musiciens nous emmènent où ils veulent. Vocalement, PJ Harvey a pris de l'assurance, dans les aigus notamment. Sa capacité de réinvention des titres sur scène est à couper le souffle, au-delà de tous les clichés (justifiés ou non) qui collent à la peau de la compositrice. Je n'avais personnellement rien vu d'aussi impressionnant en la matière depuis Björk, dans des styles bien différents bien entendu. La réorchestration de When Under Ether notamment, avec une guitare brutalement mélancolique, est à tomber.

C'est donc à deux choses bien distinctes que j'ai pu assister ce soir. Une sous-performance indigente d'un groupe anecdotique qui nous a jeté ses névroses et son incompétence en pleine figure. Et puis la prestation live d'une artiste en passe de devenir (mais ne l'est-elle pas déjà ?) absolument immense. Qui a même réussi à (presque) clouer au sol les coussins volants des Nuits de Fourvière. Autant vous dire si c'est du sérieux.
setlist
    MICACHU AND THE SHAPES
    Non disponible

    PJ HARVEY
    Chain Of Keys
    The Ministry Of Defence
    The Community Of Hope
    The Orange Monkey
    A Line In The Sand
    Let England Shake
    The Words That Maketh Murder
    The Glorious Land
    Medicinals
    When Under Ether
    Dollar, Dollar
    The Wheel
    The Ministry Of Social Affairs
    50ft Queenie
    Down By The Water
    To Bring You My Love
    River Anacostia
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    Working For The Man
    A Perfect Day Elise
photos du concert
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