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Wu-Lu

Paris, Maroquinerie - 27 septembre 2022

Live-report par Franck Narquin

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Il est déjà 18h30 dans les bureaux de La Conspiration, SAS récemment enregistrée au registre du commerce et des sociétés de Paris, où Nicolas et Nicolas continuent de s'écharper sans fin sur le choix de la typo de la baseline du logo du nouveau produit révolutionnaire que s'apprête à lancer la prometteuse start-up. Georges, le big boss, serial-entrepreneur à succès tout juste revenu de la Silicon Valley, les avait pourtant prévenus, tout doit partir ce soir à la prod. Pendant ce temps, Pierre et Jérôme, respectivement vêtus d'un hoodie Kitsuné flambant neuf taille XS et d'un t-shirt Black Flag vintage informe, tapent un baby-foot. 9-8, la partie n'en finit pas et toujours pas de logo à l'horizon. 19h30, Erwan m'appelle. « N'oublie pas le concert ce soir. Halina à 20H00 et Wu-Lu à 20h50. T'es toujours au taf ? Traine pas gamin ! ».

19H47, j'enfourche un vélo, la pluie ruisselle sur mon cou, j'ai froid et chaud en même temps. Rue Saint-Maur je manque de peu de me faire emplâtrer par une rutilante Bugatti Veyron verte pomme. En sort Fabulous Fab, un des principaux investisseurs de la boîte ayant fait fortune dans le rap français et les sites de rencontres. Plus de peur que de mal, mais désolé, je n'ai pas le temps de discuter là, on se voit au Board jeudi prochain ? Grimpant en danseuse la rue de Ménilmontant, tel un coureur Festina shooté à l'EPO, j'arrive, dégoulinant et essoufflé, mais pile à l'heure devant la Maroquinerie. Le concert affiche quelques minutes de retard. J'aurais donc pu savoir qui avait gagné au Babyfoot, quelle typo avait finalement été retenue ou encore les secrets de la fortune de Fabulous Fab. Au lieu de ça, je suis en avance, comme un plouc, ce qui me laisse le temps de commander un demi, faire la bise à Jimmy Virani et papoter avec les petits jeunes trop mignons du groupe +++ en leur promettant d'un jour écouter leurs titres. Mais assez parlé de ma vie (fictive), faisons place au direct.

Tasmin Dacres aka HALINA, jeune artiste de Leeds et amie proche de Wu-Lu, dont l'excellent premier album The Game viendra réchauffer vos platines courant décembre, assure la première partie de la soirée. Clairement influencée par Tirzah, Dean Blunt ou Smerz, HALINA pose sa voix blanche sur des boîtes à rythmes déstructurées et des nappes ambient légèrement anxiogènes. Devant un parterre encore décimé en ce début de soirée automnale, l'anglaise attaque sans aucune gêne son set intimiste. Toujours amateure (avec toute la bienveillance que l'on peut attacher à ce terme, Amateur avec un grand A comme chez Hal Hartley), HALINA peine à maitriser sa boîte à rythmes et devra relancer plusieurs fois l'introduction de certains morceaux ou les interrompre en plein milieu, sans que cela ne vienne affecter sa bonne humeur, son flegme ou sa verve. Prolixe, l'anglaise présente en détail ses chansons, insistant sur leurs significations autant que sur leur mode de fabrication. Chanteuse, musicienne, roadie, communicante et attachée de presse, les jeunes pousses de 2022 semblent savoir (ou devoir) tout faire. Si sur disque HALINA est déjà parvenue à trouver sa voie, rejoignant la bouillonnante scène post-rnb-lo-fi-électro-expérimental londonienne (je sais, dit comme ça on dirait une vanne des Inconnus mais c'est pourtant bien là qu'est en train de s'écrire la musique de demain), on l'encourage à trouver pleinement ses marques sur scène tout en gardant cette fraicheur aussi insolente que désarmante.


Après ce tour de piste du petit chaperon rouge, charmante et naïve, place au grand méchant Wu-Lu. Pour la toute dernière date de sa tournée, le natif de Brixton aura-t-il encore les crocs ou sera-t-il repu, exténué d'avoir secoué tant de mère-grands du rock à papa, de l'orthodoxie hip-hop et du dogmatisme indie ? Spoiler alert : cette chronique ne répondra pas à la question tant un concert de Wu-Lu est avant tout une rencontre intime entre un spectateur et un artiste. Arctic Monkeys à Rock en Seine, décevant, IDLES au Primavera Sound Festival, historique, l'hommage à Taylor Hawkins, dantesque et émouvant ; certains concerts s'analysent aisément en totale objectivité. Ici tout ne sera que subjectivité, certains trouvant le concert « franchement génial », « tellurique et orgasmique » quand d'autres le jugeront « inégal », « manquant de groove » ou « moins bien qu'au YOYO ».

Ne pas plaire à tout le monde, ne pas se soucier de la notion de genre et déchirer le petit manuel du cool kid fusionnant rock et rap, voici le projet de Wu-Lu. Loin des formules toutes faites et des schémas attendus, on savait déjà que tout pouvait arriver sur un de ses morceaux : éruptions punks, freestyle hip-hop, électro bruitiste, voire shoegaze atmosphérique. La révélation est qu'avec Wu-Lu, sur scène tout arrive : jam session dub, envolées post-punk, rap nerveux, morceaux tendus à souhait, tubes irrésistibles, états de grâce, trous d'air, ennui, envie, génie, paresse, déjà vu, jamais vu. Tout cela serait au-delà de nos espérances pour nombre de groupes, mais il faut bien l'admettre, après un premier album aussi exaltant que déroutant dont on peine, avec délice, à faire le tour, les rumeurs d'un concert tellurique aux dernières Transmusicales confirmées par une prestation intense lors de la soirée Echoes with Jehnny Beth de juin dernier (et actuellement diffusé sur arte.tv), on avait placé très haut la barre de nos attentes.


Sans roulement de tambour, Wu-Lu, sweat noir et capuche vissée sur la tête, débarque sur scène simplement suivi de son batteur et son bassiste. On se demande alors si cette formation, nettement plus réduite que lors de sa dernière prestation parisienne, parviendra à atteindre la même puissance sonore. Si la section rythmique groove toujours aussi bien (mais quel batteur !), on regrette l'habituelle abondance d'instruments et notamment une deuxième guitare, qui donne une toute autre dimension à ce chaos organisé. Comme à son habitude, Wu-Lu démarre son set en douceur, faisant place aux ambiances planantes de Take Stage, Seven ou Slightly et distillant au compte-goutte ses furieuses missives comme Scrambled Tricks ou Night Pill. Jusqu'aux deux-tiers du show, le groupe semble avoir opté pour le mode « jam session à la cool ». On sent que les trois gus ont envie de se faire plaisir pour ce dernier concert mais qu'ils n'ont peut-être plus les jambes pour envoyer du steak Wagyu bien maturé. Même le sonique Times, un de leurs tous meilleurs titres, semble joué un peu en dedans. Il faut dire que le groupe n'est pas aidé par ce public trop calme, où les mélomanes nés sous Mitterrand, voir Giscard, sont nettement plus représentés que les kids sous substance prêts à lancer des pogos au premier riff.

Posant les guitares pour laisser place aux instrumentaux électro de Facts, on va alors comprendre que, comme dans un scénario de M. Night Shyamalan, le trio cache bien son jeu et s'économisait pour un final en mode « hip-hop punky vénère » aussi sauvage qu'enivrant. Les uppercuts pleuvent sur Ten et Blame, laissant l'auditoire groggy, visiblement pas prêt à se prendre de telles avoinées dans une fosse devenue octogone sans règle. Ne laissant aucun répit à son adversaire, Wu-Lu rechausse sa guitare pour asséner un KO sans appel ni rappel avec l'arme de destruction massive South.

Après un concert de bonne facture mais manquant un peu d'énergie et de folie, le trio a su trouver in extrémis le punch nécessaire pour remporter la partie. Qu'on se le dise, si le punk cérébral mâtiné de hip-hop de Wu-Lu vacille parfois, il finit toujours par s'imposer.
setlist
    Take Stage
    Seven
    Scrambled Tricks
    Slightly
    Dub
    Broken Homes
    Sam Tune
    Night Pill
    Road Trip
    Times
    Facts
    Enemies
    Ten
    Blame
    South
photos du concert
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