Sleaford Mods
LoneLady

Bienvenue ! Si vous êtes ici, si vous nous avez choisi, c'est que vous aussi vous souhaitez résister au business des Arenas, à l'indécence des places à visibilité réduite à soixante balles, et aux tournées des stars américaines des années 90. Comble de l'ironie, c'est au Bataclan, là où Green Day vendait samedi soir dernier des places pour la modique somme de quatre-vingt-dix-neuf Euros, que tous les punks et autres alcooliques parisiens se sont rassemblés en masse pour dire non aux Queens Of The Stone Age et oui à Sleaford Mods, dans un grand élan de protestation suivi d'un rot et d'un hoquet houblonné aux douces senteurs d'Extra Strong (douze centimes le degré d'alcool et vous avez un requin sur la canette, le choix des esthètes).


Un public d'âge mûr, expérimenté dans le lever de coude, qui regardera le discret mais sympathique passage de LoneLady depuis la buvette. LoneLady, une artiste féminine et solo au pseudo Billy Nomates-esque délivrant une musique principalement funky-disco, teintée de new wave et d'un peu de post-punk, mêlant Michael Jackson et l'époque Once Upon A Time de Simple Minds. Le résultat est dansant, assez agréable pour une première partie, mais reste très lisse, et la formule d'une artiste solo couplant guitare-voix à une boîte à rythmes a depuis longtemps montré ses limites. Forcément absorbée par toutes les tâches à gérer, l'artiste ne trouve pas le moyen d'investir son public, de communiquer, et à tout faire en même temps : on fait tout bien, mais sans plus. LoneLady étant en plus de cela particulièrement réservée, ce live d'une petite demi-heure passera sur nous comme un vent tiède de printemps, ni chaud ni froid, qui ne fera même pas de quoi combler un blanc gênant dans une conversation.


Heureusement il n'y aura pas de blanc gênant ce soir, en tout cas pas en paroles, alors que la fosse se remplit de plus en plus derrière nous, et que montent progressivement beuglements d'attente et autres exclamations bruyantes visant à attirer l'attention des artistes backstage. Jason Williamson et Andrew Fearn, deux types en short qui, paraît-il, ont un groupe appelé Sleaford Mods, deux types en short qui arriveront sur scène à 21h pétantes et ne tourneront qu'à l'eau contrairement, vous l'aurez compris, à une bonne partie de la fosse. Andrew qui sort le Mac de son sac, branche deux câbles, appuie sur play, et c'est au tour de Jason d'entreprendre UK GRIM, éponyme de l'album sorti cette année. On continue la pleine promotion du nouvel album, On The Ground et Pit 2 Pit se translatent du Mac jusqu'à la façade pour... Oh ça tourne un peu ou c'est moi ? Oh là attends, c'est tout flou d'un coup... Et puis...

Et puis quoi ? Pour y répondre, voici une ellipse entrecoupée de flashbacks provenant de la trouble mémoire d'un chroniqueur devenu depuis sobre et moine tibétain. Dans l'ordre chronologique qui vous arrange. Hum... Burp ! Je suis où là ? C'est quoi cette ruelle ? Il pleut. J'aurais été mieux sous un pont. Le caniveau était déjà plein de pisse, ça va, ça colore. Le téléphone ? Plus de batterie. Fait chier. Ohh ma tête, sa mère ! Un lampadaire. Trop de lumière. Mieux vaut fermer les yeux. Hum, c'est quoi ça ?
Des flashs. Un vieux mec en short, avec une beu-bar et une casquette. Il danse comme un gars qui s'est perdu en rave et qui trippe depuis deux jours. A côté, son pote est vénère. Il gueule dans un microphone, mais il gueule vite, donc ce n'est pas vraiment gueuler, mais ce n'est pas vraiment chanter non plus, c'est un autre truc, un peu comme du rap, mais vénère. Enfin, anglais surtout. Genre les anglais des banlieues avec les maisons en brique rouge toutes pareilles, et la petite avancée sur la rue façon véranda. Véranda, on dirait le prénom d'une vieille à lunettes qui gère un CDI en collège. « Bonjour, moi c'est Véranda, Harry Potter et Mortelle Adèle c'est l'étagère du fond, maintenant faites moins de bruit ! Enzo, les livres c'est pour lire, pas pour manger ! ». On faisait quoi, déjà ? Ah oui, le mec qui rappe comme un vieux clodo anglais, mais qui tient une bouteille d'eau. Et il se met sa bouteille d'eau sur sa tête. Néon blanc...


Flash. Un vieux bourré à côté de moi qui rigole tout seul en filmant du flou. Le mec sur scène, Jason, danse comme un poulet avec une crête en Cristaline. Je repense à Véranda. Un autre gars bourré, qui perd un peu son pantalon, monte sur scène. Le tour manager n'a pas l'air content. Il vire le gars qui perd son pantalon. Le gars s'explose par terre sur le public. C'est marrant. Oh j'adore cette chanson ! Force 10 From Navarone, c'est une nouvelle, je reconnais ! Ça fait voum vou-vou-voum voum, et puis di-dou-di-dou-di-di-dou comme un clavecin, gavé bien cette chanson. Néon vert. Flash. Oh mais ça sent la beuh là nan ? Et pourquoi en plus de rapper le mec il pousse des cris d'animaux ? Genre il fait croisse. Ah, on me dit qu'il rappe pas, il sprechgesang. Sprechgl... sprich... sprrr... sprecheuu... En bref, il chante-parle. Le mec bourré qui perd son pantalon remonte. Il se fait virer par le manager. Encore. Des barres. Le chanteur s'accroupit sur le ventilo pour se rafraîchir les couilles. Attention à ne pas en perdre une, mec ! Le gars bourré qui perd son pantalon remonte. La sécurité le chope et l'emmène backstage. Il va finir attaché à un radiateur, lui. Néon rouge.

Flash. C'est le bordel ! Pourquoi tout le monde est bourré ? Une mère qui dit à sa fille de faire attention. La fille s'en fout et fonce dans le pogo. La mère s'en fout aussi et danse. Smash Each Other Up, la bombe ! Sur Mork n Mindy, tout le monde est ouf ! En plus, c'est Billy Nomates qui chante. C'est marrant, ils l'ont faite rentrer dans les haut-parleurs ? Comment elle fait pour chanter alors qu'elle est pas là ? Mais elle est où ? Pas là ! Le gars sur scène crie « Fizzy ! Fizeï ! Fizeï ! Fizeï ! Fizeï ! Fizeï ! ». C'est rigolo. « Fizeï ! ». « Fizeï ! ». C'est cool, mais c'est un peu tout le temps pareil là, non ? En plus, Andrew n'a que deux moves de danse. Elle est où Véranda ? Véranda, c'est ma photographe, mais chut, faut pas le dire. Je reprendrais bien un verre. Je vais leur dire que la presse c'est moi. Ça vaut bien une conso.

Oh, c'est la dernière ! Eh ça fait déjà une heure et demie ? Pas le temps pour le sixième verre, snif. Tout le monde fait crie avec la voix grave, et la basse fait a-dou-doum, a-dou-doum, a-dou-doum, a-dou-doum, a-dou-doum. Oh et maintenant tout le monde reprend Tweet Tweet Tweet : « All you zombies tweet, tweet, tweet ». Pourtant zombie à l'envers, ça ne fait même pas oiseau, ça fait bison !