Chronique Single/EP
Date de sortie : 21.07.2023
Label :underplay
Rédigé par
Franck Narquin, le 20 juillet 2023
En Angleterre, elles s'appellent FKA twigs ou Biig Pig, aux États-Unis Caroline Polachek ou Eartheater, en France OK Lou, en Espagne Rosalia ou encore en Russie Kate NV. Qu'on se le dise, aujourd'hui, ce sont les filles qui renouvellent la pop. Le second EP d'Alexa Povay, aka CIRCE, n'échappe pas à la règle et nous propose ainsi vingt-deux minutes de musique passionnante entre mainstream et underground, un pied chez TikTok, l'autre dans l'avant-garde, définissant ainsi le girl-power d'aujourd'hui.
Si Riot Of Sunlight, morceau de dream-pop girly au crescendo aussi efficace que pompier, a été placé en ouverture de cet EP, c'est sûrement grâce à son aspect facile et fédérateur. En routarde tactique, CIRCE fait mine de se placer dans le ventre mou du peloton, l'auditeur endormi se disant qu'il n'a rien à craindre de cette petite pop convenue, avant d'accélérer subitement pour s'emparer du maillot jaune dès la deuxième étape pour ne plus jamais le rendre. Going Down, sorti en 2021, n'est pas vraiment ce qu'on appelle une nouveauté, mais ce titre de haute volée alliant la fraîcheur candide d'une Biig Pig à l'inventivité formelle d'une FKA twigs, n'a toujours pas perdu une once de sa superbe et de sa modernité. Aussi mélodique que lubrique, la chanson ne cesse de changer de braquet sans jamais se perdre dans les routes de montagnes. Vous l'aurez compris, CIRCE s'apparente plus à une poule aux œufs d'or qu'a un Poulidor.
Sur Undone, l'influence de l'artiste précédemment connue sous le nom de Grimes semble évidente. Malheureusement cette dernière a décidé de lâcher la rampe de la pop moderne pour s'offrir une assurance vie sur sept générations en donnant naissance à un petit A-440 en s'accouplant avec l'homme le plus dangereux du monde (croyez-moi sur parole car ce sont de bons potes, mais à côté de ce psychopathe, Vladimir Poutine, Kim Jong-Un ou Gérald Darmanin paraîssent aussi équilibrés qu'une semaine de menus « Comme J'aime »). A l'inverse, CIRCE ne compte que sur son talent, ou plutôt ses talents (auteure, compositrice, interprète, multi-instrumentiste, productrice, manager de label), pour s'accomplir pleinement.
Je sais que je vous ai bien spoilés et que vous savez désormais que CIRCE est la blondinette la plus sympathique à s'imposer en juillet sur les Champs-Élysées depuis Laurent Fignon. Son triomphe, grandiose et sans appel, en mode Indurain 1992, intervient dès la quatrième étape grâce à Glow [You Always Tell Me I Have This Glow], véritable chef d'œuvre post-moderne avec son cuti abyssale, un blanc de cinq secondes en pleine extase pop, duquel surgit un renversant final porté par un violon mélancolique. Le morceau se trouve alors frappé par une gueule de bois aussi dévastatrice que langoureuse. Ce qui ne pourrait être qu'un effet de manche ou un simple gimmick épate-bourgeois, révèle en fait un talent hors norme de productrice et un sens inné du spleen, un peu comme si Britney Spears avait lu tout Baudelaire.
Alexa clame haut et fort que plus que musicales ses influences sont cinématographiques, de E.T à Blade Runner en passant par Twin Peaks. C'est justement l'univers de David Lynch, et plus précisément de la diaphane et sublime Julie Cruise et de l'immortel Angelo Badalamenti qu'on retrouve sur My Boy Aphrodite dont l'aspect flottant, rêveur et vaporeux contraste avec ce tonnerre qui gronde en arrière-plan. C'est peut-être ça qui nous fascine tant chez CIRCE, elle nous crache au visage l'arrogante beauté juvénile de Laura Palmer, la reine du lycée dont on voit que Bob (représentant le mal absolu ou pour les étudiants en première année de philosophie, le refoulement, passage du système préconscient au système inconscient) la ronge déjà de toute part.
Sur Mess With You Head et son electro-pop mutine sous haute influence 80's, l'anglaise n'hésite pas à enfiler crânement les babouches de Kate Bush. Au jeu des sept familles, la tante serait The Knife et la cousine les épatants LUNGE (c'est comme ça, en cas de duo, le féminin l'emporte). Chez CIRCE on pense et on pleure, mais on n'en oublie pas pour autant de se la coller sur le dancefloor. Le septième et dernier titre de cet EP cinq étoiles luxe, I'm Still Not Sorry For What I Said, opère un virage à 180 degrés. Ce morceau arty et minimal composé de nappes cotonneuses et d'un vocoder chevrotant vient marcher sur les plates-bandes de Oneothrix Point Never, producteur génial à la pointe de l'avant garde électronique depuis plus de quinze ans avec ses albums sortis sur Warp et ses B.O impeccables pour les films de frères Safdie (peut-être les meilleurs réalisateurs américains actuels) et qui n'hésite pas à se mettre au service de The Weeknd, et ce non pas pour payer ses impôts ou se construire une piscine à débordement, mais pour faire avancer la pop music au sens le plus mainstream et le plus noble du terme.
Si Vikidia, l'encyclopédie de 8-13 ans, nous rappelle que dans la mythologie grecque, Circe est redoutable tant par sa beauté que par ses sortilèges, cette formule s'applique tout autant à la musique envoutante de la belle anglaise. On attend donc avec impatience son premier album car s'il arrive à se hisser sur la longueur au niveau de ses plus belles réussites actuelles, celui-ci risque bien d'être tout simplement mythique.