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La Route du Rock

Saint-Malo, du 12 au 14 août 2011

Live-report rédigé par François Freundlich le 18 août 2011

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Après des débuts énervés, la pop reprend ses droits à la Route du Rock avec un samedi à la programmation remarquable. Il n’a plu qu’une seule fois sur le fort ce soir, mais malheureusement cela a duré des heures, le temps de transformer le sol en une marre de boue. Après tout, nous y sommes habitués, seule la musique compte.

La pop planante des londoniens de Still Corners ouvre ce bal humide. Après l’écoute attentive de leur émouvant EP, on ne peut qu’être impatient de voir à qui appartient cette douce voix en apesanteur. La jolie Tessa Murray s’accompagnant de son synthé est entourée de ses partenaires de scène, faisant raisonner des boucles de guitares se perdant dans des passages instrumentaux prolongés. Parfois peut-être un peu trop puisqu’on a l’impression que le groupe essaye de remplir son temps de set comme il le peut et l’ennui gagne lorsque le chant se tait.
A l’inverse, quelques lumineuses chansons émergent, nous redonnant l’espoir en un futur album. On retiendra Wooden Birds et sa guitare hypnotique où Tessa lâche son synthé pour investir le devant de scène. Une chanson toute en intensité qui rompt avec le coté statique du groupe. L’adaptation profonde de Cuckoo est également intéressante. Mais la peur de jouer sur une si grande scène ou le manque d’expérience rend le tout poussif et la voix à la limite de la rupture. La qualité de composition est au rendez-vous, on restera pour l’instant sur les livraisons studio de Still Corners.

 

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Après s’être replié sous un chapiteau quelques minutes à cause de l’eau, on attend la venue de Low à Saint-Père. Faisant suite à un passage à l’édition hiver 2007 du festival et à la sortie de l’un des plus beaux albums de 2011, l’enivrant C'Mon, le trio est très attendu. Avec des mélodies douces amères et down tempo mais transportées par des guitares lourdes et lancinantes, le trio s’en prend à nos fonctions vitales les plus fragiles.
Tout en délicatesse, la voix d’Alan Sparhawk nous déchire de part en part. Elle est relevée des doux chœurs féminins de Mimi Parker, debout derrière sa mini batterie. Après Nothing But Heart qui a donné le ton de leur slowcore, sorte de mélange de folk songs sombres jouées en mode grunge, on atteint des sommets dans la qualité des compositions. Ces tortures électriques de guitares dérivant sur ces voix profondes et limpides émerveillent autant qu’elles émeuvent. La pluie semble au final correspondre à l’atmosphère dégagée par les américains : le visuel du groupe caché derrière les gouttes serait parfait sans la sensation glacée. On oublie tout cela lors de la sublime Nightingale, instant de grâce majeur de cette édition du festival. Cette douce mélopée surmontée d’un refrain mélancolique à faire pleurer un rossignol s’étend dans une intemporalité rarement entendue. Alors que Mimi prend la voix de tête pour Especially Me, on s’attarde sur cette batterie grave évoluant au fil de variations de synthés avant une accélération finale sous l’impulsion d’une guitare qui avait presque disparu. Le léger refrain de guitare de Try To Sleep raisonne comme une berceuse plongeant le public du fort dans un rêve éveillé. Jouée au xylophone sur la version studio, cette chanson s’en trouve sublimée par un clavier doublée d’un écho électrique apporté par Alan. Le sentiment ralenti d’immensité spatiale se dégageant de la musique de Low fût un moment particulier dans cette Route du Rock, et sans conteste son moment de plénitude. Low, l’air, la vie.

Tout somme Suuns la veille, deux membres de Cults sont déjà venus en février à la Collection Hiver du festival mais pour un autre projet : Guards. Ce dernier était celui de Richie James Follin, chanteur et guitariste de The Willowz. Il était accompagné de sa sœur Madeline Follin qui opère cette fois au chant tandis que Richie est relégué au second plan. Après avoir signé l’album pop de l’été, Cults débarquent sur la scène du fort de Saint-Père plein d’entrain mais néanmoins impressionnés d’évoluer pour la première fois ensemble devant autant de monde. C’est avec leur single Abducted qu’ils débutent ce concert qui tente d’apporter le soleil, tout du moins musical. La voix de Madeline se fait un peu plus grave et subtile que sur disque où elle a tendance à pousser dans les aiguës. Tenant sa robe blanche avec des allures de poupée de porcelaine qui fait « aya ya », elle y va de toute sa voix pour crier le refrain de ce premier morceau au son plus rock pour cette adaptation live. Richie lui répond d’une voix grave totalement différente de sa voix habituelle. Le tout est saupoudré d’une reverb plutôt bien sentie.
On n’en n’oublie pas le coté rétro dans le style des girls group 50s, à l’image d’un Most Wanted au piano agrémenté d’un xylophone des plus rafraichissants. You Know What I Mean marque l’instant slow de la soirée, beaucoup plus guilleret que le slowcore de Low et avec de vraies montées de batterie sur le refrain. Le charme de la petite brune agit et sa voix s’énervant subitement fait le reste. Le titre Responsorial Bumper est légèrement différent de l’album : on a cru un temps ne pas profiter des addictifs cris de Madeline mais elle les enchaine avec délice sur la fin. L’autre single entrainant de l’album, Go Outside, est accueilli par les hourras des festivaliers. Ça chante et ça danse dans les allées et en plus ça réchauffe. Le refrain déclamé de Rave On prend toute sa saveur dans une version live enlevée avant que Oh My God ne clôture le set. Ce dernier morceau est peut-être le meilleur d’un album pourtant criblé de tubes. Cette version portée par une basse fuzz pimentée de xylophones laisse la Route du Rock dans une joie collective. Il s’est passé quelque chose au sein du groupe durant ce concert qui les a visiblement renforcés pour la suite. Après avoir passé l’été à écouter ce disque presque culte, entendre ces versions live fût un plaisir à la hauteur des attentes. On promet un bel avenir à Cults qui sillonnera le pays cet automne.

 

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Il est l’heure de faire un détour par New York avec le trio vraiment culte Blonde Redhead. Après leur prestation avortée de 2004 qui avait abouti à un chaos général pour cause de tempête orageuse, on ne peut pas dire que ce groupe porte chance au festival malouin. Toutefois cette prestation sera différente, d’abord puisqu’elle ira jusqu’à son terme, ensuite parce que Kazu Makino a trouvé le moyen de contrôler la pluie. La sensualité des danses de la japonaise n’a d’égale que sa beauté : la robe blanche a encore frappé.
Plus la guitare se fait noise, plus Kazu danse et plus la pluie redouble. Il suffit de se calmer pour cesser le déluge. C’est elle qui débute au chant avec essentiellement des titres des deux derniers albums tandis que les jumeaux italiens Amadeo et Simone Pace restent en retrait mais assurent en livrant un son planant et hypnotique. A l’image de Dr Strangeluv, les débuts sont fidèles à l’évolution pop entamée sur les derniers albums. Amedeo prend le relais à la voix sur Spring By Summer Fall avec cette intensité et cette maîtrise parfaite caractérisant son organe au timbre si particulier. Les guitares se mélangent et on commence à s’énerver légèrement. Petit détour vers les anciens albums avec Messenger, extrait de Melody Is A Butterfly, enveloppée par les légères touches du piano de Kazu et la voix plaintive d’Amedeo.
Le plaisir du concert se fera avec In Particular, seul extrait de Melody Of A Certain Damaged Lemon. Kazu reprend les devants avec une voix toujours à la limite de la rupture, comme si ses cordes vocales allaient se déchirer en même temps qu’elle lorsque la frêle demoiselle s’assoit près de la batterie en précisant qu’elle est fatiguée. La guitare vibre à l’avant de la mélodie tourbillonnante et citronnée tandis que Kazu récite ses « X. X. Alex ».
Sous forme d’outro reposante, elle berce lentement Silently jusqu’à ce point de rupture qui annonce le grand moment du concert. Amedeo reprend les devants et entame un Falling Man d’une rare intensité, accompagné d’une guitare déchirante qui se perd dans la nuit pluvieuse du fort. L’un des plus beaux textes de Blonde Redhead sous forme de constat universel d’un homme moderne depassé « I am just a man still learning how to fall » est sublimé par une terreur dispersée dans le sillage d’Amedeo. Pour clôturer le set, Kazu force sa voix pour un Equus faisant ressortir la base pop de ce single sur sa batterie entrainante. Blonde Redhead n’a livré que peu de moments d’énervement noise qui étaient leur marque de fabrique à leurs débuts pour une évolution toute en subtilité. Une heure durant laquelle le fort s’est élevé vers les nuages sous la voix de la déesse Kazu Makino.

Il est temps de laisser de coté la subtilité et de revenir au coté brut des choses. The Kills sont attendus le pied ferme depuis leur prestation en demi-teinte de 2009 suite à la maladie d’Alison Mosshart. Cette fois-ci le duo est en place, en forme, bien planté devant sa toile géante en peau de léopard et cramponné à ses guitares. Le rythme saccadé de No Wow retentit alors que VV débarque comme une furieuse sur scène et fait ses aller-retours de tigresse en cage. Jamie Hince, très classe à gauche de la scène, fait grincer sa guitare. Le crescendo des « No Wow Now » est plus extatique que jamais, le duo est bien décidé à en découdre avec la Route du Rock.
La tension s’accroit de plus en plus avec l’enchainement des titres du dernier album Blood Pressures, Future Starts Slow et The Heart Is A Beating Drum, déclamés par la voix sèche et grave d’Alison. La bluesy Kissy Kissy n’est pas laissée de coté, même si on aimerait parfois qu’elle soit remplacée dans la setlist par quelques pépites oubliées des premiers disques. Les deux derniers tubes en date sont enchainés. DNA déroule sa guitare se transformant presque en basse tandis que la voix d’Alison se fait suave. Hotel utilise une bouteille de vin comme archet sur sa guitare. Les chœurs entêtants de Satellite sont repris par la foule, on aurait envie qu’ils se répètent encore et encore à l’infini.
Leur reprise à l’unisson a un effet inattendu, la pluie cesse enfin pour Tape Song : une acclamation générale salue la remarque d’Alison à ce sujet. La chanson extraite de Midnight Boom est propice aux mouvements de tête et voit un rapproché des deux protagonistes balançant négligemment leurs guitares tandis que VV lâche des cris de fureur. The Last Goodbye signe le moment d’émotion du concert avec une Alison dont la voix n’a jamais été aussi belle. Hotel s’installe derrière pour torturer un synthé qui essaye de faire dérailler VV sans jamais altérer la pureté de son organe. Comme un Georgia On My Mind qui aurait subi une opération à cerveau ouvert, cette chanson prouve qu’Alison serait également grandiose dans un domaine plus acoustique.
Fin du repos, il est temps de se défouler une bonne fois pour toute lorsque les premières notes de Fried My Little Brains retentissent. En fan absolu de Keep On Your Mean Side, on ne peut qu’enfin laisser évoluer ses cheveux longs et trempés sans capuche dans des sauts jouissifs tout en déclamant le refrain jusqu’à plus soif. Voilà le moment pour lequel on n’a pas craqué avant pendant la pluie, un bon vieux tube sur lequel on pogote depuis 2003. Électrifiants au possible, The Kills n’ont pas raté le rendez-vous malouin. Alison Mosshart aura arrêté la pluie que Kazu Makino domptait : voir les deux demoiselles dans la même soirée relevait d’un rêve caché enfin réalisé.

 

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Beaucoup sont partis, les guerriers sont restés jusqu’au bout puisque désormais le temps est plus clément et Battles s’apprêtent à investir la scène en ce milieu de nuit. Les New Yorkais ont donné l’illusion d’être des géants avant leur entrée en scène puisque les micros sont placés très hauts, tout comme la cymbale du batteur. Au final, les trois musiciens n’entrent pas sur des échasses mais sont bien des géants dans la maîtrise du son. Les débuts instrumentaux permettent d’introduire un son complexe et relevant d’une précision mathématique. Les couches de guitares, samples de synthés, rythmes de batteries ou de percussions se superposent pour qu’on ne sache au final plus ou donner de l’oreille. Le tout reste dans une cohérence millimétrée comme une boucle de cheveux soulignant une équation à trois inconnus.
La surprise qu’on espérait survient dès la deuxième chanson avec le retour de Kazu Makino qui a enfilé veste et casquette pour interpréter son featuring sur Sweetie & Shag. On découvre un aspect plus brut de la voix de la japonaise qui suit la cadence infernale imposée par le refrain du synthé débridé. Une petite exclusivité mondiale, ça ne fait jamais de mal, surtout pour cet excellent titre. La part belle est faite aux extraits de leur dernier album Gloss Drop à la pochette représentant un cerveau rose à demi explosé. C’est bien ce qu’ils cherchent à faire en nous perdant dans les méandres de leur son labyrinthique dont on ne sort pas indemne.
Les passages expérimentaux succèdent à d'autres math-rock plus entrainants avec un fond électro. Les adaptations live sont généralement centrées sur la batterie, au cœur du dispositif Battles. John Stanier est complètement fou derrière ses fûts, se déchainant à une vitesse incroyable avec la régularité d’un métronome. Le DJ chanteur Matias Aguayo apparaît sur les trois écrans à l’arrière de la scène pour assurer son featuring sur la chaotique Ice Cream. Le britannique Gary Numan et sa voix aux relents new wave apparaît de la même manière pour My Machine, durant laquelle Battles apporte une touche 80s à leur son. Le groupe va même jusqu’à offrir un quart d’heure de concert supplémentaire avec Sundome et ses entrelacs bizarroïdes. On n’a pas tout compris mais on a essayé, Battles ont malgré tout réussi à enflammer un fort lassé et détrempé.

Des enchainements de concerts comme ça, on en redemande. De la magie de Low à la pop entrainante de Cults, du vol plané Blonde Redhead aux énervement The Kills pour terminer avec Battles en apothéose : la soirée fut sans conteste la plus réussie du festival, n’en déplaise à Evelyne Dhéliat.
artistes
    The Kills
    Blonde Redhead
    Battles
    Low
    Cults
    Still Corners
    Dirty Beaches
    Turzi Electronique Expérience
    Cheveu