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Fat White Family

Interview publiée par Adonis Didier le 25 avril 2024

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Un nouvel album de Fat White Family, Forgiveness Is Yours, à paraître le 26 avril chez Domino Records, et un nouveau passage à Paris pour Lias Saoudi, le chanteur et un peu leader de la formation avec son frère Nathan, d'autant plus depuis le départ du guitariste historique Saul Adamcziewski. Un départ au cours de l'écriture d'un album marqué par une reconnexion avec les racines kabyles de la famille Saoudi, par l'introspection profonde de Lias durant des mois de confinement à Londres, et par un tout petit peu moins de drogues que d'habitude. De quoi faire parler, mais pas que, alors si vous voulez savoir pourquoi Leonard Cohen est un petit con, quelle est la meilleure drogue pour écrire, ou encore pourquoi on en arrive à sexuellement désirer une chèvre, n'hésitez pas à lire cet article jusqu'à la fin, car la deuxième réponse pourrait bien vous surprendre !

Tu es de passage à Paris aujourd'hui, que t'évoque cette ville ?

Quand je pense à Paris, je pense à de la viande rouge. A ces endroits où on mange de la viande, où on boit du vin rouge, c'est un peu le consensus à propos de Paris, c'est ce que les gens font ici, c'est pour ça qu'ils viennent. D'ailleurs, j'ai habité ici quelques temps, à Ménilmontant. En 2019, la dernière année avant la fin du monde. J'ai commencé à écrire certaines des chansons de ce nouvel album, les parties en spoken word, dans ce petit appartement cliché que j'avais. Parce que si tu vas écrire de la poésie, la meilleure chose à faire c'est de bouger à Paris, non ? J'ai adoré ces mois passés ici, et le souvenir irradie de plus en plus à mesure qu'il dérive dans le passé. Mais maintenant je me suis posé, là où je vis avec ma partenaire, et c'est super, ça t'offre tellement, je n'avais jamais vraiment fait ça avant, mais à partir de la pandémie je me suis dit « OK, si le monde est parti pour être comme ça, je ferais mieux de démerder un peu ma vie ». C'est quelque chose qui a énormément amélioré ma vie, mais maintenant je peux plus partir trois mois à Paris comme ça, ce serait difficile pour ma partenaire, elle serait pas mal énervée ! Sinon, je me souviens être venu à Paris quand j'étais plus jeune, j'avais un oncle qui y vivait... Mais tout ça c'est loin, je me souviens plus de grand-chose !

Quand j'écoute ce nouvel album, Forgiveness Is Yours, je le vois presque comme une comédie musicale, avec une trame narrative, un début, une fin. C'est quoi l'histoire que tu voulais raconter dans cet album ?

C'est toujours un peu accidentel ce genre de choses. J'ai toujours vu le groupe comme une performance en temps réel, de l'art expérimental, comme une télé-réalité avec une bande de junkies éclatés, et de la musique jetée dedans. C'est comme ça que je le voyais, et je pense que ça s'est délité quand tout le monde a atteint la trentaine, et a continué à s'envoyer des drogues à la pelle. Personnellement, j'ai remarqué qu'autour de moi, à ce moment-là, les gens partent d'un côté ou de l'autre de tout ça. La fête est finie, mais certains d'entre nous sont toujours là, et les lumières se rallument, les gens sont partis, la musique va bientôt s'arrêter, mais tu es là, et tu restes là, le visage grimaçant et horrible, et tu as perdu tes potes, et tu as pas chopé cette meuf, ni cette autre meuf, tu sais que tu vas pas te sentir normal jusqu'à mercredi, mardi si tu as de la chance, et il y aura toujours cette trace, cette radiation suicidaire le weekend prochain, que tu vas essayer d'oblitérer en faisant exactement la même chose, encore et encore. Tu finis bloqué dans cette boucle, et tenter de tomber amoureux de tout ça, c'est ça l'histoire. Essayer de célébrer ça, trouver une manière de l'affronter avec, sinon de l'héroïsme, une certaine forme de stoïcisme. Parce que c'est ma maison, et même si ça pue ça reste ma maison. Toutes les choses que j'ai faites et dites, elles ne sont pas toutes justes, elles ont souvent pu être fausses ou mauvaises, mais je suis là, et je suis juste un être humain au final.

Tu as eu beaucoup de temps pour réfléchir sur toi-même pendant la pandémie, tu as beaucoup écrit dans The Social, plus d'une dizaine de chroniques... que j'ai toutes lues d'ailleurs, même si j'ai dû chercher la définition de certains mots !

Oui, quand tu commences à publier, tu essayes d'utiliser des mots qui te donnent l'air d'avoir lu quelques livres ! (rires)

Et dans ces chroniques, tu parles de plein de choses, mais notamment du fait d'avoir perdu, au moment du confinement, les illusions que tu avais vis-à-vis de toi, de réaliser que tu avais vraiment un problème de drogue...

Oui, la pandémie, quand j'y repense, pour moi ça a été un bordel social. Parce que j'aime vraiment être entouré de gens, mais je trouve aussi totalement insupportable d'être entouré de gens, c'est un véritable oxymore, ces deux choses à la fois, et à cause de cette dissonance j'avais besoin de me foutre en l'air. Mais quand il n'y a plus eu de fêtes, et plus de gens avec qui être, l'option a disparu de la table. Donc j'ai arrêté de boire, et de prendre des trucs, parce que quel intérêt d'être éclaté un mardi chez toi dans ton micro-appartement ? J'avais envie de lire, d'écrire, d'étudier, ce genre de choses. Parce que quel intérêt de prendre de la cocaïne à la maison, sans perspective d'aventures sexuelles, ou de concert, ou d'après-concert, sans rien quoi. Donc j'ai juste plus ou moins arrêté, et je me suis rendu compte que tellement d'années de ma vie ont été jetées comme ça, parce que ça avait toujours été ça depuis que j'ai attaqué la came à dix-huit ans. Donc j'avais un problème de drogue, mais en même temps je n'avais pas un problème de drogue. J'avais plutôt un problème de « moi » ! (rires)

C'est drôle, parce que je vois aussi cette dissonance vis-à-vis du public. Ce public qui te fait peur, mais qu'en même temps tu vas tout le temps chercher, en écrivant des chroniques, en écrivant une autobiographie de Fat White Family avec Audrey Stripes, en faisant un album avec Decius, tout ça pendant la pandémie...

Il y a encore une forme de dichotomie, de moi qui fais continuellement des esclandres, et qui suis en même temps très timide. C'est un mécanisme que j'ai appris il y a très longtemps, où la chose qui me fait le plus peur est la chose que je devrais vraiment faire, tu vois ? Et je pense qu'aujourd'hui écrire est la chose qui m'effraye le plus. Ecrire, publier, plus que faire des disques, tourner, ou quoi que ce soit. Mais à la base, rien ne pouvait être plus terrifiant que d'être sur scène. Et si tu demandes à ma famille quelle est la chose la plus improbable que j'aurais pu devenir en grandissant, ils répondraient probablement « devenir chanteur dans un putain de groupe ». Je ne sais pas ce que c'est, ou pourquoi c'est comme ça, mais c'est une manie, j'ai des hauts et des bas, et ça a toujours été ma personnalité depuis que je suis tout petit, avec cette timidité maladive.

En parlant de hauts et de bas, Forgiveness Is Yours a eu une gestation compliquée qui remonte aux divers confinements, avec des sessions en Norvège, puis d'autres trucs... Comment ça s'est passé jusqu'à l'album fini ?

Hum... Il n'y a pas franchement d'occurrences spécifiques, on a juste fait des trucs. On fait des trucs, on met plein d'idées sur la table, elles se mélangent, et j'essaye de ramener ça à un tout cohésif. A la base il n'y avait pas spécialement de grande idée derrière cet album, et puis on s'est séparés de Saul (ndlr : Saul Adamcsewski, ex-guitariste et co-fondateur de Fat White Family) très tôt dans le processus, ce qui a créé beaucoup d'anxiété, parce qu'il était une grande part du groupe pour les précédents albums. Moins du troisième que des deux premiers, mais il restait quand même une part importante du groupe. Donc il y avait une ombre qui planait, qui a amené un sentiment de crise, de drame personnel, ce qui, pour quelqu'un comme moi, toujours à créer des histoires, peut devenir plutôt utile j'imagine. Tout est utile à mon sens, les échecs, les embarras, l'humiliation, tout ça peut devenir très utile. (rire jaune)

Et donc, cet album c'est beaucoup de toi, ou toi et Nathan (ndlr : Nathan Saoudi, claviériste et frère de Lias), ou...

En grande partie Nathan et moi, mais Adam (ndlr : Adam J Harmer, guitariste) a écrit Polygamy Is Only For The Chief, et Alex (ndlr : Alex White, multi-instrumentiste) a écrit plein de parties de Visions Of Pain ou Bullet Of Dignity, et la mélodie de You Can't Force It, donc ça reste un album de groupe.

Fat White Family serait donc toujours une famille ?

Il y avait une vibe un peu plus familiale qui a commencé à émerger, et puis avec mon frère on s'est un peu battus, ce qui était dommage au fond. Mais ça devient quelque chose comme un groupe normal, même si je ne suis pas bien sûr de savoir ce qu'est un groupe normal. J'ai toujours pensé qu'on était une bande de types qui jettent des idées dans un pot, et que j'allais écrire les paroles pour ça, et chanter par-dessus, pour rendre ça cohérent... C'est aussi loin que j'ai réfléchi la chose, tu sais.

Et si je te dis qu'il y a des chansons qui me font de plus en plus penser à Warmduscher sur ce disque ?

Eh bien, ça fait du sens, c'est un peu la même bande de gens, donc il y a clairement de ça. Même si je dirais que c'est plutôt Warmduscher qui sonne comme Fat White Family ! (rires)

Si on suit cette direction musicale, ça devient de temps en temps dansant, disco, et plus ça le devient plus tu prends le contrepied en étant toujours plus cynique et pessimiste. Est-ce que je peux tenter une comparaison avec Serge Gainsbourg ?

J'imagine que c'est une comparaison très flatteuse. Mais c'est toujours le truc, plus la mélodie est douce et sucrée, plus tu deviens sombre et psychotique. J'essaye toujours de compenser une chose avec une autre, sinon tout devient mielleux et bizarre. Il faut toujours avoir une dose de détachement ironique, quoi que tu fasses, ne pas se prendre trop au sérieux, sinon tu développes une forme de solennité. La solennité c'est une chose à laquelle tu peux aspirer, mais même dans le plus solennel, même chez Leonard Cohen, il y a toujours un genre d'humour à un moment. Bon, le Leonard Cohen des débuts est insupportable, et c'est seulement quand il arrive dans les années 80 que ça devient fantastique, et drôle d'une certaine manière. Ça reste tanné, profond, sexy, mais il y a comme des blagues dedans, ça va trop loin volontairement. Il devient conscient qu'il est ce petit con de poète chiant, il est au courant de ça. Ses premiers albums, ça veut toujours dire de grandes choses, c'est tellement plein de sens, de grandes idées, et les paroles sont un peu fuyantes, indulgentes envers lui-même, ce qui ne rend pas si bien finalement. C'est quand ça arrive à l'album I'm Your Man qu'on commence à discuter, parce qu'il y a enfin des clichés et un peu de stupidité là-dedans. Pour moi c'est important d'avoir le bon dosage de philosophie froide et de références, mélangé avec juste la bonne dose de pop, de sensibilité, de cliché. De donner un peu dans l'idiotie, dans la sauvagerie.

Tu parles de Leonard Cohen fuyant et indulgent envers lui-même, quand de ton côté quand tu écris, tu donnes souvent l'impression d'être la pire version de toi-même, de presque personnifier tes péchés et tes démons intérieurs au maximum. Et ça me fait penser à ce que tu avais écrit sur IDLES, la deuxième partie de la polémique...

Oui, la deuxième partie ! C'est mieux ! Ne lisez pas la première ! (rires)

Et dans cette partie tu écris qu'IDLES ne prennent en fait pas trop de risques, à donner à leur public exactement ce qu'ils veulent entendre comme message, ce que moi je considère comme une bienveillance malsaine, qui ne s'applique qu'à ceux qui sont à 100% d'accord avec eux, avec ce côté "si vous n'êtes pas avec moi vous êtes contre moi". Et quand j'écoute Fat White Family, il y a presque un exact opposé, de représenter tout ce que les gens ne veulent pas voir ou entendre...

Eh bien, si tu sors quelque chose, et que ça n'engendre pas de division, de critique, je pense que quelque chose a mal tourné. Si tu ne fais que continuer une mouvance, qu'il n'y a pas d'interruption, de débat, quel est le but, ça va où ? Tu génères de l'esthétique, mais sans rien au bout, s'il n'y a pas une forme d'intrusion dans l'instrumentalisation, dans le corporatisme, dans ce flux mainstream systématique. S'il n'y a pas un genre de contusion qui se crée, si tu ne vas pas tacher ou salir le truc d'une manière ou d'une autre, c'est quoi le but ? Taylor Swift, par exemple, ça me dérange pas, j'aime bien un peu de pop de temps en temps. C'est de la pop bubblegum, ça dit « pop bubblegum » sur l'étiquette, et c'est cool. Mais quand ça se donne un genre dans la contre-culture, c'est une perversion plus subtile, parce que ça se met à imiter ce que c'était venu contrarier, d'une manière bien plus sinistre que tous les Justin Timberlake et compagnie. Ça détourne le problème, et ça donne des munitions, ça continue à nous flinguer algorithmiquement sans qu'on comprenne qui jette les dés. Cette merde ça ne me rend pas malade, mais ça me gagne pas mal. Et ils gagnent bien plus d'argent que moi, ce qui est obscène. Ce serait bien pour une fois de ne pas avoir à se soucier du loyer et de la thune. Ce n'est pas juste.

En parlant d'argent, j'ai trouvé drôle d'avoir une chanson qui s'appelle Work...

Oui, mon frère a écrit celle-là.

A propos de lui justement, tu avais écrit que ton frère n'avait jamais réellement travaillé, en dehors de la musique, jusqu'à la pandémie, où il a essayé de trouver du boulot, mais même là il a fini sans boulot...

Non, au final il a bossé un peu ces derniers temps. Mais oui, d'une certaine manière, il est dédié au non-emploi.

Même dans le groupe, quand on vous suit, personne n'a jamais l'air de se poser quelque part, tout va de situations improbables en situations improbables...

Ça fait sens. Tout le monde dans le groupe a l'air d'être dans l'archétype du post-punk. Enfin, post-punk, ce qui est en fait déjà du post-post-post-post-post-punk, parce qu'on ne fait que régurgiter. En vrai, on pourrait aussi bien prendre des trucs des années 20, ou n'importe quoi d'autre de cool.

Si on revient à l'album, la plus grosse nouveauté, et la plus intéressante, c‘est l'usage de la musique kabyle à beaucoup d'endroits, et l'apparition de la culture kabyle aussi, comme dans Today You Become Man...

Oui, ça c'est l'expérience anglo-berbère totale ! C'est l'histoire de mon grand frère, et je la trouve tellement drôle. Je ne peux pas m'empêcher d'en rire. Je l'ai entendue tellement de fois que c'est juste... C'est tragique, mais aussi vraiment drôle. C'est un peu la racine du groupe, tout commence à ce moment-là. L'immigration inversée, quand tu multiplies ton aliénation par deux. Tu es déjà un petit algérien en Angleterre, et soudainement tu deviens un petit anglais en Algérie, et il y a ce truc très étrange qui arrive à ton pénis. Ça laisse une cicatrice, pour toujours. Je veux dire, qu'est-ce que tu es censé faire de ça, à cinq ans ? Je suis pas sûr qu'il ait trouvé depuis, Nathan. Pas sûr qu'il le comprenne un jour tout court.

Et toi, comment tu te sens vis-à-vis de cet héritage culturel ?

La partie berbère ? Je reviens tout juste d'Algérie, et j'ai envie de m'immerger plus profondément là-dedans, j'aimerais écrire plus à propos de l'Algérie, de la Kabylie et de sa culture. Je l'apprécie beaucoup, mais c'est le mystère d'une vie pour moi, parce que je suis un étranger là-bas, mais je suis aussi un étranger ici, et tu ne dépasses jamais vraiment ça. Et en même temps, c'est un privilège, sous certains aspects.

Tu as fait beaucoup d'efforts pour découvrir cette part de toi, comme cet appel avec ta grand-mère kabyle que tu racontes, où ton père est obligé de faire la traduction en même temps. D'ailleurs, ta grand-mère est toujours en vie ?

Non, malheureusement elle est partie vers la fin de la pandémie, mais elle avait cent-un ans, donc son départ était acceptable. Ma grand-mère du côté anglais n'a atteint que cinquante-deux ans, presque exactement la moitié. Mais le côté algérien c'est rugueux, c'est comme ça. Sur ce côté rugueux, tu avais écrit que parfois c'était compliqué de comprendre cette culture, comment les hommes se comportent, et que ça avait été compliqué entre toi et ton père, en grandissant... Tu sais, ce sont des hommes des montagnes, le genre que tu ne vas trouver que dans ces régions extrêmes du monde. J'ai grandi un peu là-dedans, ce n'était pas très plaisant, de ce que je m'en souviens, et ça a fini par déchirer ma famille dans un divorce assez horrible. Cette espèce d'expérience sociale, ces deux cultures, anglaises et berbères, ensemble ça n'a pas bien marché, et il y a eu beaucoup de ressentiment qui en a découlé. Mais ensuite je suis retourné en Kabylie, et ça a commencé à faire un peu sens. C'est juste leur manière de vivre. Intrinsèquement, c'est repoussant du point de vue d'une sensibilité occidentale, parce qu'en ville il n'y a que des hommes, dans les cafés il n'y a que des hommes, et il n'y a pas de femmes qui travaillent, sauf à la maison. Mais aussi, ils ne sont pas submergés par les problèmes sociaux que l'on a, l'unité familiale existe toujours, il y a toujours de la force là-dedans, et une vraie organisation. Et en même temps, il y a mon petit cousin Mendes, il est fauché, il n'a pas de boulot, il a merdé à l'école, et là il a vingt, vingt-et-un ans, et il ne peut pas s'envoyer en l'air. Je veux dire, c'est un truc impossible, il ne peut pas se marier parce qu'il n'a pas de travail, et il est coincé. Il n'y a pas beaucoup de boulot en Algérie, donc il ne peut pas trouver de boulot, et donc pas trouver de femme. L'autre jour je racontais qu'il en était presque au point où il commence à penser à baiser des chèvres (rires un peu nerveux). C'est un sentiment difficile, il y a beaucoup de freins à sa vie. Il est plutôt beau gosse comme gamin, on dirait un jeune Elvis un peu, avec un teint indien américain. Pauvre Mendes, quoi !

En dehors des chèvres et tout le reste, il est intéressant que cet album sonne comme si toi et ton frère vous aviez essayé de réconcilier le post-punk électronique occidental avec ta musique kabyle ancestrale...

Oui, j'aimerais faire plus de ça. J'aimerais retourner là-bas et faire un album, à Oran, Alger ou Béjaïa. J'aimerais bien y aller quelques mois, avec une petite équipe, et essayer de créer un genre de collaboration entre musiciens là-bas, voir où ça mène. C'était un peu le plan avec cet album, mais la pandémie a tout niqué. Mais je suis motivé pour tenter le coup à nouveau.

Comme tu t'es pas mal calmé avec la pandémie, cet album c'est le premier sans drogues ?

Sans drogues ? Oh non ! Clairement moins de drogues pour moi, mais tout le monde en consommait quand même pas mal. Il y avait beaucoup moins d'héroïne sur scène, mais ce n'était pas sans drogue non plus. On va dire que le côté business était bien moins drogué, parce que je bossais avec mon pote Liam (ndlr : Liam May) de Trashmouth Records, le mec avec qui je fais Decius. Son studio est dans le sous-sol de sa maison, il a un jeune gamin, donc ce n'était vraiment pas l'endroit pour ça. Quelques fois ça m'arrive encore, pour épicer un peu les choses, mais honnêtement je me fume plus la tête autant qu'avant, parce que je peux plus, ça me fait péter un câble, ça m'envoie dans les pires dépressions. Je le fais encore de temps en temps, mais à trente-sept ans, je n'ai plus la constitution pour, psychologiquement.

Et donc, c'est quoi le mieux pour écrire, avec ou sans drogues ?

Je pense qu'il y a des drogues qui peuvent être utilisées comme un outil pratique. Je trouve que la kétamine est un très bon outil pour s'évader, si tu as besoin de nouvelles idées, de changer de scène. La cocaïne c'est complètement inutile, parce que même si tu penses que tu vas rester debout encore trois heures, et ça va marcher, tout ce que tu vas enregistrer ça va être de la merde. Les champignons c'est pas mal pour les concerts, pour la performance, mais ça peut mettre du temps à redescendre. Un petit verre ça peut aussi aider à se dérider de temps en temps. Donc pour répondre à la question de base, oui et non. Mais la kétamine c'est ma préférée, je trouve que c‘est une drogue très créative. Tu n'as jamais pris de kétamine ?

Non, jamais ! Mais qui sait, y aura peut-être l'occasion un jour ! (rires) En parlant de ça, la tournée qui arrive avec Fat White Family, ça va encore partir en sucette ?

Ça va dépendre de qui part avec nous. Pour le moment on essaye de voir qui est assez stable mentalement pour prendre la route et qui ne l'est pas. Donc je sais pas. Je sais que je finis toujours par partir en vrille... Je deviens très déprimé parfois, un genre de burn-out, il me reste plus aucune énergie à la fin.

Et tu arrives à voir autre chose que des loges et des backstages maintenant, ou c'est toujours la même routine en concert ?

Pas vraiment, c'est à peu près tout ce qu'on connaît en tournée. Quand tu l'as déjà fait quelques fois, tu sais pourquoi tu es là. Ceci dit, il y a quelques trucs que j'attends beaucoup, comme venir à Paris, aller à Glastonbury, ce genre de choses. J'adore être sur scène, mais je regarde aussi ça avec une forme d'inquiétude, clairement, parce que je n'ai pas envie de me blesser encore plus. J'ai eu de la chirurgie des cordes vocales, des merdes comme ça, une pneumonie, des dommages aux nerfs, je suis éclaté de partout, mais maintenant j'ai conscience qu'il faut que je fasse plus gaffe à moi-même.

Une autre comparaison un peu facile pour Fat White Family, ce sont les Libertines. Parce que du point de vue du “grand public”, vous êtes totalement bordéliques, bourrés de drogue, et sans plan de carrière. Comme si le groupe était incapable d'être stable, économiquement et mentalement...

Oui, parce que ça ne l'est pas. Ce n'est pas stable, ça n'a jamais été stable. J'ai essayé de rendre ça stable, oh mon dieu ce que j'ai essayé... Et ça aurait dû l'être, parce qu'il y avait assez de talent, et assez de public pour que ça le devienne, mais ça l'a jamais fait en fin de compte. Donc j'ai quelques autres groupes, j'écris, je fais des trucs par-ci par-là, c'est comme ça que je me débrouille de mon côté.

Et donc, après cette tournée, tu seras quoi ? Ecrivain, musicien solo, autre chose ?

Je verrai comment je me sens. Je veux finir d'écrire un autre livre d'abord, j'ai une collection d'essais, à moitié finis, sur la partie de moi entre la jeunesse et l'âge mûr. J'aimerais bien finir ça d'ici l'hiver. Je ne sais pas combien de temps va durer la tournée, ni si des concerts vont suivre après. Il y a un nouvel album de Decius qui est prêt à sortir, et un autre Moonlandingz que j'ai quasiment fini, donc j'ai assez de choses à venir au niveau musique, et je pense que je vais me concentrer sur les mots écrits pendant un moment. Jusqu'à ce que je me sente de nouveau de faire de la musique, et on verra ce qu'il reste de Fat White Family à ce moment-là, s'il en reste assez pour se remettre au travail.

Ce qu'il en reste, parce qu'aujourd'hui avec Saul c'est fini, ou ça resterait possible de bosser ensemble sur d'autres projets ?

Je ne pense pas qu'on bossera à nouveau un jour ensemble sur quoi que ce soit. Non, je pense pas. Je pense même qu'on ne peut pas encore être dans la même pièce que l'autre, pour être honnête. Je crois que c'est bien fini.

Tu dis ça maintenant, mais tu as réussi à recoller les morceaux avec Alex (ndlr : Alex Sebley de PREGOBLIN, qui faisait partie de The Saoudis, le premier groupe de Lias et Nathan, et avec qui il y a eu brouille suite à une critique de Lias sur le fait que The Saoudis c'était pas terrible) !

C'est vrai qu'on s'est reconnectés avec Alex. J'aimerais bien retravailler avec lui, sur des chansons, c'est un bon gars. Il a juste du mal avec la production et l'auto-discipline. Mais peut-être que je pourrais l'aider un peu... Peut-être.

J'ai écouté son album qui vient de sortir, c'est vraiment bien...

Oui, c'est bon ! Il est vraiment trop sous-coté, et sous-médiatisé.

Ceci dit, c'est dommage qu'il n'ait pas un vrai groupe avec lui en live, parce que je l'avais vu en première partie des Libertines, et ça faisait très vide sur scène, malgré les chansons très réussies, assez funky et rock. C'est dur de faire bouger les gens quand tu es une première partie, et que tu es tout seul avec ta guitare et ton ordinateur...

Oui, parfois c'est trop peu, effectivement. C'est vraiment dommage que Jess (ndlr : Jessica Winter) ne soit plus là, c'est dommage que leur relation ne soit plus au beau fixe, quoi qu'il se soit passé. C'était un bon combo. Et si on parle d'autres groupes, je cite le doc de presse dans lequel c'est noté pour décrire la scène actuelle : « une morne monoculture de carriéristes pop qui la jouent safe ». C'est ce que tu penses de la scène rock en ce moment ? Hmmmm… en vrai je n'en pense rien. Je n'ai aucun intérêt dedans. Je suis pas trop ce qu'il se passe, je vais juste au Windmill des fois, parce que c'est en bas de chez moi, et que j'aime bien l'endroit. Mais je ne suis rien, rien ne m'excite vraiment… je suis plus intéressé par les livres que par les groupes ces derniers temps. Ah et la musique dance, la techno, ce genre de trucs, si jamais je veux me péter la tête, c'est sur ça que je le fais ! (rires)