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La Route du Rock

Saint-Malo, du 10 au 12 août 2012

Live-report rédigé par François Freundlich le 19 août 2012

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Après ces deux premiers jours d'une grande qualité, nous jetons un œil à la liste des groupes qui vont se succéder ce dimanche : un enchainement de rêve. Si l'on y ajoute le beau temps qui se prolonge finalement après des prévisions menaçantes, nous retournons au Fort de Saint-Père avec grand plaisir pour cette dernière journée de dimanche.

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Judah Warsky est le premier artiste à se produire sur la scène de la Tour. Ces après-midi d'ouverture de festival sont décidément très synthétiques puisque c'est avec chaque main sur un clavier que le parisien impose une ambiance électro-pop grave. Boucles rythmiques et nappes électroniques sont de la partie tandis que Judah fait résonner sa voix légère sur ses quelques titres qui ne sont pas instrumentaux. Il est d'ailleurs dommage qu'on ne l'ait pas entendu plus souvent. Entre les morceaux, il raconte des histoires de train dont on ignore si elles appartiennent aux morceaux ou non. Cet ancien festivalier de La Route du Rock semblait en tout cas ravi de voir cette année son nom à l'affiche.

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Ce dimanche annonce une nuit américaine puisque ce sont sept groupes d'outre atlantique qui se succéderont sur les scènes du fort. Le premier d'entre eux est Cloud Nothings avec au menu un rock lo-fi inspiré du meilleur punk californien. On n'aurait pas pu trouver mieux pour terminer l'après-midi sous le soleil. Le quatuor s'enflamme dès l'introduction sur Fall In prenant son envol avec une power pop dans la lignée de Weezer, pour se terminer dans une déstructuration noisy. Cloud Nothings resteront au final le groupe le plus furieux du festival, délaissant les multiples tubes de leur album éponyme pour se rapprocher du son lourd et bruitiste de Shellac. Le groupe privilégie ainsi les morceaux de leur album Attack On Memory, produit par Steve Albini. Ne s'autorisant quasiment aucune pause entre les morceaux, Cloud Nothings misent tout sur la puissance et la saturation des guitares, tout en gardant une certaine subtilité dans les mélodies. La voix éraillée, juvénile et criarde de Dylan Baldi libère sa saveur grunge sur Stay Useless, titre poussant au jump sur ses multiples silences et reprises. Signalons la performance remarquée d'un batteur chevelu qui ne tape pas pour du beurre, fût-il salé, avec une rapidité impressionnante.
Après une entame durant laquelle les musiciens enchainent leurs nouveaux titres, ils se tournent dos au public pour jouer face à leurs amplis pendant de longues minutes pour un passage instrumental de torture électrique à pédales durant une grande partie du concert. Si le quatuor se fait plaisir dans cette improvisation (et nous aussi par la même occasion), on aurait préféré entendre quelques anciens morceaux comme Should Have par exemple. Il n'en sera rien, et après un long quart d'heure de ce déferlement, Cloud Nothings se calment finalement sur un dernier titre plus léger : No Future/No Past, tout de même bien plus énervé que sur disque. Ce concert aura eu le mérite de lancer la soirée de la manière la plus torride qui soit.

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Un grand moment se prépare puisque c'est le chanteur des cultissimes Pavement, Stephen Malkmus & The Jicks, qui entre en scène avec sa non moins cultissime coupe au bol. Après quelques tests de microphone en français, le mythique son Malkmus ne tarde pas à se faire entendre. Quel plaisir d'entendre sa voix toujours au sommet : nous replongeons dans ce lo-fi adolescent des 90's. Dès les premiers morceaux, on ressent toute la tension du rock indie américain mais aussi toute sa délicatesse pop lorsque Malkmus monte dans les aiguës. Il est l'un des seuls à pouvoir se permettre ces montées dans des chœurs moyennement maîtrisés mais tellement efficace pour enflammer ses chansons.
Quoi de plus indie que ses nouveaux textes qui n'épargnent pas « the indierocker cocksucker » des majors ? Stephen Malkmus & The Jicks auront certainement été les plus loquaces de ces trois jours, Stephen affirmant s'appeler Alan Stivell et habiter à une cinquantaine de kilomètres du fort. Son claviériste se nomme quant à lui Jean Michel Jarre, ce qui fera rire l'ensemble de l'assistance. Les quatre de Portland se libèrent avec les guitares vibrantes du single Senator prenant la forme d'une critique du système politique américain. Stephen Malkmus n'hésite pas à prendre son instrument derrière la tête pour en soutirer de puissantes décharges magnétiques. Les morceaux de son dernier album produit par Beck sont mis en avant, comme la douce Asking Price et son influence Shady Lane de Pavement. Cet intermède calme de milieu de set donne l'occasion de remarquer un orgue rétro prenant plus de place sur de nouveaux morceaux certainement à paraitre. Beaucoup sont en effet encore inconnus, bien que très réussis, à l'image de Independance Street dont l'apparente face paisible n'empêche pas de brusques sursauts de guitare. Tout cela s'emballe sur l'efficace single Tigers, le public se mettant à nouveau à sauter, prouvant que le compositeur arrive toujours à fédérer après toutes ces années. Ce concert entrera dans la légende de La Route du Rock qui aura décidément accueilli les plus grands.

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Alors que la nuit tombe sur le fort de Saint-Père, Chromatics s'apprête à disperser l'ambiance bien plus posée de sa synth-pop glacée. On entre dans un monde de machines après ces deux concerts de pur rock'n'roll. L'introduction se fait sur Tick Of The Clock, extrait de l'album Night Drive, récemment utilisé dans la Bande Originale du film Drive. Ce titre porte bien son nom, se trouvant être un parfait compte à rebours avant l'invasion synthétique qui nous attend. La chanteuse Ruth Radelet fait finalement son entrée après cette introduction instrumentale, alors que le second groupe de Portland du soir évolue au milieu d'une fumée vaporeuse et lumineuse. Sa voix lointaine plane au-dessus de ces synthés vintages résonnant avec une certaine modernité.
Le premier grand moment arrive avec le single Kill For Love et ses échos frénétiques prolongés par la nonchalance vocale de Ruth. Les mélodies attachantes d'une douce guitare en retrait se voient poussées par cette basse omniprésente qui marque obsessionnellement le tempo comme sur l'hypnotique Lady. Les nouveaux morceaux prennent réellement toute leur substance dans des versions live brillamment arrangées à l'image de These Streets Will Never Look Same pour laquelle Adam Miller prend le relai sur la partie vocale. Cette seconde voix masculine au vocoder nous rappelle l'émotion procurée par Archive à leur grande époque, mélangé à un soupçon old school de New Order. Nous repensons également à cette bulle qu'ont su créer The XX la veille.
Le public remue du bassin sur un autre de leurs anciens titres, I Want Your Love, à tendance mélanco-disco. Pour terminer, Chromatics vont pleinement s'approprier deux reprises : Running Up That Hill de Kate Bush est propulsée dans un vortex temporel vers 2012, dans une version bien plus excitante que le remix proposé à la cérémonie olympique londonienne ce même soir. Les basses vibrantes se plient face à la voix angélique de Ruth tandis que Johnny Jewel danse derrière son clavier. Enfin, les guitares résonnantes de Hey Hey, My My (Into The Black) de Neil Young prouvent bien la réalité de ces textes fredonnés du bout des lèvres : « rock'n'roll was here to stay » dans une magie hors du temps, out of the blue. L'enchainement de ces deux titres par les fabuleux Chromatics restera l'un des points d'orgue de la soirée.

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L'envoutement continue : après la fée bleue, la fée blanche Hope Sandoval est de retour à Saint-Malo avec son groupe originel Mazzy Star. Ces derniers évoluent dans le noir complet, uniquement éclairés par des vidéos très expressives illuminant tout l'arrière de la scène. Cette nuit partielle a l'avantage de faire apparaître les étoiles dans le ciel malouin : il n'y a qu'à lever le nez au ciel pour apercevoir les constellations sœurs de celle qui se déploie actuellement sur scène. On remarque clairement Hope Sandoval à l'avant de la scène, son serveur de vin personnel, puis le groupe à l'arrière. Les murmures de la diva sont d'une exquise douceur et glissent dans nos oreilles qui ne font qu'en redemander.
Se retournant de temps à autres pour partager des instrumentaux électriques avec son groupe, elle se saisit également tantôt de maracas, tantôt d'un harmonica pour ramener les chansons à leur base folk. Mais nous assistons avant tout à des versions psychédéliques et rêveuses de leurs morceaux où les guitares acoustiques sont remplacées par de longues divagations sonores aériennes et électrisantes. L'ombre de la chanteuse reflète ses mouvements sur ces vidéos de paysages vertigineux ou futuristes. Tout est fait pour susciter le mystère afin que chacun vive le concert personnellement, sans aucune volonté d'influencer l'auditeur. Ce dernier ne peut que se laisser faire et crier au génie lorsque des excitations shoegaze apparaissent et que le rythme spatial ne se prenne à tout recouvrir. Mazzy Star nous lâchent en chute libre depuis la stratosphère sans que l'on n'atterrisse jamais vraiment. La simplicité acoustique ne réapparait finalement que sur le dernier morceau So Tonight That I Might See, sorti il y a presque vingt ans. On retourne aux sources de la dream pop avec cette berceuse onirique et irrésistible. Nous voilà comblés.

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Après tout cela, on a juste envie de crier notre bonheur la tête dans un coussin mais Colin Stetson et ses saxophones ont déjà investi la scène de la Tour. A l'écouter, on ne peut que se demander comment il peut être capable de mener une telle performance. Armé d'un seul saxophone baryton ou alto, Colin Stetson parvient à produire un son incroyable et déroutant. Si Sonic Youth avaient quatre saxophone, le résultat serait sans doute identique, exception faite que le souffleur n'a que deux poumons et un nez (bouché par un rhume qui plus est). Même sans rhume, la plupart d'entre nous chercheraient un second souffle affalé au sol comme une écrevisse haletante, mais Colin Stetson reste impassible. Ce n'est pas pour rien qu'il tourne parfois avec Arcade Fire ou Bon Iver. La performance a le mérite d'impressionner le public, certains parviennent même à danser sur les rythmes qu'il joue on ne sait comment. On espère qu'il s'agit de boîtes à rythme et non de branchies sur les côtes. Celui qui imitera Colin Stetson n'est pas encore né.

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La Route du Rock touche doucement à sa fin alors qu'il reste encore le groupe le plus attendu de ces trois jours : The Walkmen. Après sept albums dont un dernier que l'on retrouvera certainement au sein des tops en fin d'année, le festival a enfin réussi à attirer les New-Yorkais sur ses terres après moult échecs. Dès les premiers extraits de leur album Heaven joués, on peut affirmer que The Walkmen et leur chanteur en costume Hamilton Leithauser sont en grande forme. Après une calme introduction sur Line By Line, le quintet propose ses nouveaux morceaux plus délicats et pop.
Il faudra attendre les extraits de l'album Lisbon, joués en nombre ce soir, pour entendre un son un peu plus saignant avec une voix plus énervée. Tremblant et hurlant sa rage en saisissant son pied de micro, le chanteur se rapproche de Matt Berninger (The National) sur cette même scène il y a deux ans. Le rythme s'accélère finalement tandis que les guitares électriques sont libérées : on retrouve ce son qui allie urgence et subtilité à une qualité de composition au sommet. Les morceaux calmes de Heaven subissent d'ailleurs ce traitement excitant à l'image de The Love You Love durant lequel le chanteur s'empare de sa guitare en crachant sa gorge (avec classe) sur le refrain. La fin du set est réservée aux morceaux plus anciens avec le moment que l'on attendait depuis que le groupe a été programmé : The Rat. Dès ce fameux riff de guitare d'introduction, on quitte le sol alors que la fosse devient folle en se jetant dans tous les sens. A ce moment précis, on ne peut que s'écorcher la voix en reprenant « You've got a nerve to be asking a favor… ». Ces trois accords de guitares accompagnées par ce synthé vibrant forment le concentré d'énergie qui termine idéalement cette Route du Rock, la rendant inoubliable. Il est enchainé avec un autre titre de leurs débuts, All Hands And The Cook, continuant de nous serrer les tripes avec ce quasi a cappella hurlé, précédant le déchainement final. En dépit des nombreux excellents concerts vus voir pendant ces trois jours, le cœur a parlé et The Walkmen remportent tous nos suffrages. Il s'agit bien là de l'un des rares groupes pouvant encore nous faire sauter à l'avant d'une fosse à deux heures du matin après trois jours de festival.

Nous voilà déjà arrivés au dernier concert du festival alors que les DJs Magnetic Friends marquent le dernier changement de scène par un morceau de rap français assourdissant qui fera fuir les derniers festivaliers. On retrouve le californien Hanni El Khatib, aperçus dans de nombreux festivals cet été. Mais quelque chose a changé depuis son concert aux Eurockéennes de Belfort : ce coquin s'est trouvé une batteuse, bien moins poilue que son ancien acolyte. Une mauvaise surprise pour ses groupies mais une bonne si l'on considère son bon niveau derrière les fûts. Cheveux gominés et voix réverbérée, Hanni laisse parler son rock'n'roll teinté de blues dans un set bien plus énervé que les précédents. Il manquera néanmoins un supplément de fougue, dû peut-être au fait qu'il jouait encore à Pasadena il y a seulement trois jours. Les riffs gras et bouclés de ses morceaux garage rock sont au rendez-vous même si l'on sent sa voix légèrement atteinte. Elle a certainement besoin d'un peu de repos, tout comme une grande partie du public. C'est sur ce dernier sursaut rock'n'roll que nous quittons La Route du Rock, même si voir la scène du fort s'éloigner est toujours un crève-cœur.

Cette Collection Été de La Route du Rock 2012 aura tenu toutes ses promesses en termes artistiques, moins en termes de fréquentation. Seuls 14 500 festivaliers s'étaient donné rendez-vous sous le soleil alors que 20 000 étaient présents l'an dernier malgré la pluie. L'explication est peut-être à chercher du côté des dates du festival, décalées par rapport au pont du 15 août, ou d'une période économique difficile. La perte financière est lourde et nous espérons que le festival parviendra à la surmonter.
Bien loin des autres rendez-vous de l'été arborant tous la même programmation, La Route du Rock est un rendez-vous proposant la meilleure vision artistique en mettant ses groupes en avant sur une seule scène, devant un seul public. Manquait-il cette tête d'affiche qui aurait déplacé 6000 personnes supplémentaires ? On aurait presque envie de dire non en ayant assisté à ces concerts qui avaient tous des niveaux de têtes d'affiche, parfois bien plus que certains considérés comme tels, pour une programmation parmi les plus cohérentes de ces dernières années. De la puissance de The Walkmen et Spiritualized, aux atmosphères vaporeuses de The XX, Chromatics, Mazzy Star ou Lower Dens, à la classe de Mark Lanegan et Stephen Malkmus ou aux découvertes de Alt-J, Veronica Falls ou Cloud Nothings : nous aimons le meilleur festival de France même s'il peut être incompris ou en avance sur son temps. Please tell us that rock'n'roll can never die !
artistes
    Hanni El Khatib
    The Walkmen
    Mazzy Star
    Chromatics
    Stephen Malkmus And The Jicks
    Cloud Nothings
    Colin Stetson
    Judah Warsky
    Jonathan Fitoussi
    Pan European Recording DJ Set