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Sziget Festival

Budapest, du 5 au 12 août 2013

Live-report rédigé par Olivier Kalousdian le 18 août 2013

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Au camping français du Sziget Festival – dont l’importance est en rapport avec le nombre de participants hexagonaux et les liens culturels indéfectibles qu’entretiennent la Hongrie et la France depuis longtemps – une Tour Effel de bonne taille réalisée en fil de fer accueille le campeur et les visiteurs qui viennent goûter à cette étrange coutume que l’on nomme l’Apéro français. Cette année, ces Français sont au nombre de quatre mille au Sziget ; ce qui marque une baisse significative (huit mille en 2011), ressentie dans la fréquentation générale du festival.

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Dans ce havre de paix tout relatif (camping le mieux organisé et le moins exposé aux décibels du festival), la direction du Sziget France a élu domicile sous la houlette d’Anita Foldes et son mari, Andras. Elle assure le relais entre la presse française, les artistes et l’organisation centrale du festival. Elle a convié les journalistes Français à une conférence de presse sous les coups de 13h30. Un soleil de plomb dont l’intensité est exponentielle avec le nombre de festivaliers débarquant chaque jour un peu plus sur l’île, inonde l’espace jadis verdoyant. Le co-fondateur du festival, Károly Gerendai, est notre hôte pour une heure de questions réponses sur l’organisation de l'événement. Quand, en 1993, il entreprend de créer ce festival de musiques diverses et cultures variées, la Hongrie est encore un pays du bloc de l’est et le pari semble un peu fou. Vingt ans plus tard, les chiffres sont éloquents : des festivaliers issus de 69 pays, des artistes provenant de 52 pays, 54 sites d’animations sur 76 hectares, 7500 personnes qui travaillent pendant trois semaines, 30 kilomètres de chemins éclairés, 20 hectares de forêt illuminés, un service médical de 400 personnes, 1200 agents de sécurité, plusieurs centaines de policiers en provenance de Hongrie, mais aussi d'autres pays...
Question budget, le Sziget Festival annonce douze millions d’euros. Soixante-dix-huit pour cent proviennent des ventes (tickets et stands), dix pour cent des sponsors et le reste des aides Européennes. Si le Sziget est un des seuls festivals équipés d’un système de paiement à puce RFID (cartes sans contact), c’est pour deux raisons : cela évite aux festivaliers de transporter de l’argent sur eux en se procurant une carte qu’ils rechargent au gré de leurs besoins auprès d’hôtesses situées dans toute l’île. Et, surtout, cela permet à l’organisation qui ne demande aucun droit de location aux stands présents sur le site, de centraliser tous les achats effectués sur son festival avec, à la source, une coopérative leur appartenant et qui fournit chaque stand en aliments, boissons et autres biens... Une belle opération pour eux, l’économie locale et, au final, des tarifs qui, même s’ils sont plus élevés qu’en ville, restent très attractifs pour les festivaliers venus de pays dits riches. Mais, s’il est facile de manger correctement pour environ six euros (boisson comprise), le prix du forfait festival, lui, est totalement inaccessible aux Hongrois. A deux cent quatre vingt neuf Euros pour sept jours (ce qui donne un tarif journalier a plus de quarante Euros) et avec un salaire moyen de trois cent soixante Euros par mois, impossible pour les locaux de participer au festival autrement qu’en y travaillant ou en étant bénévoles.

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Car le Sziget c’est aussi une machine bien huilée où les salaires horaires n’excèdent pas trois Euros pour ceux qui travaillent dans les stands et qui exige que chaque employé ait un forfait festival payé par son employeur. Dans l’est non plus, on ne perd pas le nord ! Mais, à trop vouloir ressembler à certains voisins qui embrassent un libéralisme incontrôlable, on perd parfois la boussole : cette année, l’organisation avait exigé des voyagistes que leurs bus paient deux cent quatre vingt Euros uniquement pour stationner non loin de l’île pendant la semaine de festival. La protestation qui s’en est suivie et le risque de perdre un certain public a heureusement renvoyé cette nouvelle taxe aux oubliettes... Dans ce pays qui a vécu une grave crise des subprimes avant l’heure – il y a vingt ans, les banques suisses ont financé à tour de bras l’accès la propriété des hongrois puis, quand ils n’ont plus pu rembourser, l’état s’est substitué à eux et a quasiment fait faillite pour honorer la dette suisse – et qui a coupé dans tous ses budgets, notamment sociaux et culturels, la vie est souvent difficile. Et pourtant, ce pays compte encore trois mille festivals en tous genres pour dix millions d’habitants ; un record dont le Sziget Festival est le sommet national et une fierté dans l’esprit des Hongrois les plus ouverts.
Quant arrivent les inévitables questions concernant l’environnement et l’écologie, les traits du co-fondateur se durcissent un peu et Anita Foldes surveille de prés les questions et réponses faites à ces journalistes français qui ne dérogent pas à leurs réputations de vigilants grogneurs. Pour Károly Gerendai, s’il reconnaît que l’absence totale de signalisation invitant au respect des lieux, au tri des déchets ou tout simplement à leurs rejets ailleurs que sur le sol ou les rives du Danube, est une faute à laquelle il faut remédier, il affirme que cette île était un dépotoir avant 1993 et que le Sziget Festival la rend plus propre qu’elle ne l’est quand ils en prennent possession, une fois l’an. Il y a quelques mois, Budapest a connu de graves inondations et l’île d’Óbudai a dû être protégée de la montée des eaux par l’organisation sous peine de voir le festival dans de mauvais draps l’été venu...
Espérons que la pression des journalistes et des festivaliers habitués à d’autres méthodes engageront l’organisation du festival sur de nouvelles pistes de protection de l’environnement dans les années à venir avec, notamment, des gobelets consignés et une meilleure communication sur la gestion des déchets ; aucune armée de volontaires, si nombreuse soit elle, ne peut venir à bout de ces déchets reposant trop souvent à même le sol, une fois piétinés par plus de trois cent soixante mille personnes, une semaine durant !

Mais revenons à cette journée du 8 août. Réveil dans une étuve pour les « Szitizens » qui ont pu fermer l’œil en cette radieuse matinée. Au camping Français, où l’accueil a été transformé en dortoir improvisé sur les rares poufs encore libres, les fêtards ronflent parfois à même le sol et le petit-déjeuner est très prisé car accompagné de vrais pains au chocolat encore chauds, le tout sous les premières balances de la scène World située à quelques mètres de là.
Aujourd'hui, Michael Kiwanuka programmé à 21h40 sur la scène A38, a déclaré forfait pour cause de problèmes de santé. Toute la programmation du jour sur cette scène s’en trouvera décalée.

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Sous les brumisateurs indispensables, disposés tout le long du par terre des scènes ouvertes, un groupe polonais, tel qu’il n’est possible d’en voir que dans un lieu comme le Sziget Festival entame le marathon des concerts de la journée. Le Warsaw Village Band et son folklore typique agrémenté d’une pointe de rock font danser des inconditionnels et des curieux sur un accordéon crissant et des refrains gutturaux.
Le premier Anglais du jour se nomme Dizzee Rascal et anime la scène grime anglaise depuis 2003. Mauvais garçon rangé des voitures après avoir failli y laisser la peau plusieurs fois par le passé, Dizzee Rascal se présente aujourd’hui au Sziget Festival avec des airs assagis qui tiennent plus d’un Jay-Z que d’un 50 Cent. Il est épaulé par Daniel Pearce (co-auteur de Dirtee Disco) et un comparse de la scène grime qui semblerait être Frisco, le tout mis en son par MC Scott aux laptops de la marque à la pomme ; la même configuration qu’il avait offerte au Cabaret Sauvage à Paris en juin dernier.
Dizzee Rascal met les festivaliers en condition pour leur journée en introduisant le show sur le titre Superman, puis son nouveau single, Need A Reason, lesquels précédent son hit au refrain contagieux, Bassline Junkie dans lequel il affirme en sautillant de long en large : « Pas besoin de cocaïne, pas besoin d’héroïne, pas besoin d’alcool, je suis un junkie de la basse ! ». Contrairement à ce que l’on pourrait penser de ce pays de l’est, situé à un carrefour des routes du moyen orient de l’Asie mineure, le Sziget Festival est plutôt un festival drug free où la bière, les cocktails et les energy drinks suffisent à la bonne humeur et à la forme quotidienne... Dizzee Rascal voit juste et entraîne avec lui vingt mille amateurs dans son refrain en forme de message préventif. Même si – les rappeurs ne sont plus à un paradoxe prés – le tee-shirt noir qu’il arbore fait la promotion de la marijuana ! Instruments de musiques vivant, les trois chanteurs sur scène enchaînent des titres plus ou moins convaincants comme le très marqueté Ass Like That (les US ne sont jamais loin dans ce genre-là ; les « Jump » ordonnés à la foule sur de nombreux titres en rappelant inévitablement un autre) ou l’incompréhensible Going Crazy qui, sorti de ses contextes studio (featuring Robbie Williams pour une parodie de lui-même) et vidéo clip (où les Mods anglais sont mis à l’amende) perd de son impact en live. Il faudra attendre la fin du set et le hit radio teinté d’électro qu’il a concocté avec Calvin Harris, Dance Wiv Me ou la reprise de Florence And The Machine, You've Got The Dirtee Love pour retrouver le flow connu et reconnu de Dizzee Rascal.
Avec son nouvel album, The Fifth, Dizzee Rascal a créé la discorde chez ses fans et chez les critiques musicaux ; d’autres choix, d’autres sons... moins brutaux. Un peu perturbants pour ceux qui le suivent depuis le début et attendent à chaque nouvel opus un fac-simile du grime ou du UK garage qu’il a contribué à inventer. Il n’empêche, la mise en bouche du jour est loin d’être de mauvais goût et l’énergie et la sincérité laissées sur la plaine de la grande scène transcenderont les festivaliers tout au long de leur longue nuit du jeudi 8 août.

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Alors que Balthazar vient de terminer un show dont la mélancolie rageuse aura surpris les festivaliers à un horaire aussi avancé de la journée, le groupe de drum & bass londonien Nero anticipe de ce que sera la nuit sous le chapiteau de l’Arena. Sans Alana Watson qui leur prête sa voix sur des titres comme Promises, le duo Daniel Stephens et Joseph Ray, perché sur un promontoire représentant un cabine de DJ et illuminée de leds dont l’affichage synchronisé sur le beat n’est pas sans rappeler les sets de Deadmau5, envoie une décharge de dix mille volts sur un festival à peine sorti de sa gueule de bois de la veille et mixent, une heure durant, des titres comme Doomsday ou Me And You, ravissant les amateurs de mangas et les fans de dubstep techno énervé.

Sur la scène principale, les Espagnols de Ska-P (qui n’officient pas du tout dans le « 2 Tone », comme on pourrait s’y attendre) sont un véritable phénomène dans leur pays, quelque part entre The Pogues et un Didier Wampas ibérique. Attendus comme un point d’orgue bestial du Sziget par le public Français, notamment, ils vont transformer la morne plaine autrefois recouverte d’herbe en champ de bataille poussiéreux ! Au sens propre comme figuré car, si les joutes sont ici dansantes, les textes et les messages colportés par Ska-P sont parmi les plus engagés politiquement de la scène rock (cannabis, Intifada...). Leur dernier album en date, 99% en est la preuve sonore, à 120 bpm.

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Alors que la nuit est tombée sur la Hongrie, le feu de la journée ne s’éteint pas. Sous des torchères, qui sont tout sauf des trompe-l’œil, Biffy Clyro, autre phénomène, mais anglais celui-ci, donnent le concert principal de ce jeudi huit août. Torses nus aux cotés des flammes de trois mètres crachées par les torchères placées au devant la scène, Simon Neil, James et Ben Johnston, les trois guitariste, bassiste, batteur et chanteurs du line-up sont en nage. Ils sont accompagnés en live par le claviériste Richard Ingram et le guitariste additionnel Mike Vennart. Ramenant à la vie une certaine idée du grunge de Seattle, ces Ecossais qui se réclament autant de Metallica que des Pixies jouent avec le feu et les textes sombres, voire sataniques. Avec un look travaillé et des têtes de rock stars, l’alchimie est parfaite pour faire chavirer les filles comme les garçons, nés après 1990.
Avec un nom à coucher dehors, ce qui dans le contexte du Sziget ne choquera personne, Biffy Clyro (hommage lointain à Cliff Richard) allient puissance et rage tout en sachant composer avec des accords mélodiques qui donnent à leur musique l’âme supplémentaire qui a toujours manqué à des groupes comme Foo Fighters et qui se rapprochent, toutes proportions gardées, de légendes comme Nirvana (les deux étant des références revendiquées par le groupe). Avec dix-neuf titres – un long set pour un live de festival – comme Glitter And Trauma ou Who's Got A Match? (cinglés et pyromanes donc !) Biffy Clyro donnent là une des meilleures prestations du Sziget Festival que les VIP du club Mercedes jouxtant le village des artistes et accueillant le gratin de Budapest auront un peu de mal à assimiler.
Mountains clôt le set et le rappel des Biffy Clyro, après une heure et demie de musique supersonique, pendant que coulent à flot les cocktails les plus courus du VIP club, à base de Jägermeister, alcool de prune allemand réputé plus sucré qu’alcoolisé.

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Quand Rachid Taha – l’enchaînement est presque innocent – termine son set sur la scène dédiée à la world music, titubant comme à son habitude après avoir enchanté ses fans (comme à son habitude également) avec son rock oriental déglingué, c’est au tour des jamais retraités de Bad Religion de prendre le relais. Sous le chapiteau A38, les papys du punk rock californien s’appliquent à en remontrer aux jeunes générations qui n’auraient pas eu le temps ou l’envie de se plonger dans les disques de leurs aînés. Depuis 1979, ce groupe n’a quasiment jamais arrêté de tourner ou d’enregistrer malgré les multiples conflits et changements de membres et même de leader. Avec seize albums depuis 1982, soit pratiquement un tous les deux ans, Bad Religion est entré au panthéon du classic punk (si tant est qu’il existe !). Déjà présents au festival de Budapest en 2010, le groupe a laissé de coté son emblème, la crossbuster, pour un nom affiché en imposantes lettres de néon derrière la scène. Ce n’est que grâce à des titres courts, urgents et aux tempos dignes des Ramones que les Bad Religion dépasseront les dix-neuf titres de Biffy Clyro en offrant vingt-deux chansons à des festivaliers qui ressortent des premiers rangs amochés par une heure et demie de pogos déjantés sous une chaleur épuisante. À un euro cinquante la pinte de bière hongroise partout sur l’île, les Bad Religion ont fait le bonheur des bars qui entourent leur scène.

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Au Hungarian Music Stage, la scène proposant les groupes rock locaux les plus en vues, Anna And The Barbies entament, à 1h10 du matin, un tour de chant en langue locale qui électrise un public acquis à leur cause. Le Hongrois... une langue dont le rock international n’est pas souvent l’ambassadeur mais qui prouve, une fois de plus, à quel point la musique est une source d’énergie, de libertés et de communions universelles.
artistes
    Afterhours
    Bad Religion
    Balthazar
    Biffy Clyro
    Chuckie
    Dizzee Rascal
    Donots
    dOP
    Dub FX
    Michael Kiwanuka
    Nero
    Nicky Romero
    Pannonia Allstars Ska Orchestra
    Parno Graszt feat Latcho Drom
    Rachid Taha
    Regina Spektor
    Ska-P
    Triggerfinger
    Warsaw Village Band
    Wax Tailor
photos du festival