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La Route du Rock

Saint-Malo, du 14 au 17 août 2013

Live-report rédigé par François Freundlich le 19 août 2013

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Telle la mouette audacieuse attirée par l’onctueux kouign-amann, tout féru de rock indépendant est irrésistiblement attiré par Saint-Malo aux alentours du 15 août. La 23ème édition de La Route du Rock nous réserve une programmation de rêve avec quelques-uns des meilleurs groupes de la scène actuelle accompagnés de légendes à s’en pourlécher le bec. La formule a quelque peu changé puisque la soirée d’ouverture des désormais quatre jours a lieu dans la salle de La Nouvelle Vague dont s’occupe à présent l’association organisatrice, remplaçant les après-midi au Palais du Grand Large. Ce sont trois groupes du label Domino Records qui vont se succéder sur cette scène où se tient également l’édition hiver du festival en février.

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L’énigmatique Julia Holter a le privilège d’ouvrir la soirée, imposant une atmosphère intimiste et glacée. La belle attire les regards derrière son clavier duquel s’échappe de discrètes notes vaporeuses et autres boucles délicates de piano. Elle est accompagnée de son groupe composé d’un violoniste et violoncelliste faisant crisser de lentes harmonies tortueuses, d’un batteur amateur de crescendo et d’un saxophoniste baryton, l’instrument de l’angoisse. La musique de Julia Holter qualifiée de « new weird » est donc complexe à tout point de vue et on peut vite s’y perdre tant les couches d’arrangements se superposent à une mélodie à géométrie variable et souvent insaisissable.
Tout cela est nécessaire pour aboutir à un rendu minimaliste et très apaisé. La voix est souvent parlée lorsqu’elle ne monte pas dans d’aigus chœurs rejoignant le violon plaintif. Les titres se rattachant à une inspiration pop sont rares et on lorgne du côté d’un jazz arty parfois soporifique. Notre esprit s’évaporera sur le même espace-temps que les instrumentaux planants : assez loin de Saint-Malo et de ses mouettes rieuses. L’ouverture fût calme mais la suite risque de déstabiliser une oreille interne pas encore au diapason.

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Les chirurgiens aux scalpels saturés de Clinic reviennent affoler le tensiomètre, six ans après leur premier passage dans le festival. Notre cerveau était déjà entourloupé par de bizarres violons, voilà que le quatuor de Liverpool va le liquéfier avec de lancinantes et psychédéliques boucles de guitares, évoluant lentement pour s’échouer sur des déferlements de décibels saturés. Habillés de leurs traditionnelles tenues d’infirmiers, leurs bouches sont cachées par des masques, nous rappelant l’obscure période où la grippe A a décimé la moitié de la population mondiale.
Les anglais feraient peur au plus téméraire des Scouts de France mais ces derniers sont heureusement restés chez eux, même si le public a répondu présent pour ce second concert de la soirée. Autre raison de se réjouir, Adrian Blackburn a un petit trou dans son masque pour laisser s’échapper sa voix plus tendue que les élastiques de slip du Dr Shepherd. On est de fait obligé de sur-tendre chaque muscle, comme si chaque riff ou chaque notes de clavier post-punk avait des effets convulsivant. Les titres de Clinic sont emplis d’électricité s’échappant au ralenti d’une forêt noire et dont l’amplitude grandit de plus en plus jusqu’à d’intenses explosions finales. Les extraits du derniers album Free Reign revêtent des habits plus expérimentaux et moins abrasifs, ce qui fait que l’on se prend moins au jeu. La boîte à rythme y remplace la batterie tandis que les claviers stridulants sont mis en avant, comme sur King Kong ou l’obnubilante Miss You. On s’excitera bien plus sur un extrait de leur album culte Walking With Thee dont le morceau éponyme à la rythmique bien plus binaire mais tellement jouissive nous fera crier « No ! » sur les silences correspondants. D’une manière générale, les morceaux plus directs comme Lion Tamer ont un effet immédiat sur un public bien plus réceptif. Clinic terminent sur un dernier capharnaüm noise pour laisser un souvenir frémissant à nos tympans qui ont bien compris qu’il fallait se placer en mode festival. Voilà une première tête d’affiche qui n’a pas fait dans la dentelle.

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Premiers représentants d’une tripotée de groupes canadiens programmés à La Route du Rock cette année, Austra clôturent la soirée sur des notes plus gaies. Place à la danse avec une synth-pop colorée de boucles électroniques parfois hypnotiques mais simplement entrainantes. La blonde chanteuse Katie Selmanis a des allures de Zola Jesus autant dans sa voix planante que dans sa tenue de prêtresse hippie. On pense également à Björk dans ces cris étirés jusqu’à l’apoplexie. La rythmique s’accélère fortement par rapport aux précédents groupes, la boîte à rythme étant prolongée par la batteuse à lunettes Maya Postepski qui s’excite comme une abeille post-épileptique sur des fûts prenant une part importante dans le son d'Austra.
Les torontois enchainent les morceaux aux allures de tubes dancefloor, se plaçant dans le haut du panier de cette nouvelle vague électro-pop féminine allant de CHVRCHES à London Grammar. Katie s’installe au piano pour l’introduction en douceur de Home et son refrain addictif avant que les beats ne reprennent les devants pour exciter la Nouvelle Vague. Ce son synthétique 80’s revenu à la mode ces derniers mois trouve ici un échappatoire bien plus contemporain. Les chœurs de Lose It s’élèvent dans des aigües de cantatrice alors que la chanteuse se dresse à l’avant de la scène, esquissant quelques pas de danse tribale tout en déhanchés ventraux. Austra tirent leur dernière cartouche avec Beat And The Pulse et ses boucles de basse bouillonnantes, le sommet du show.

Cette soirée d’ouverture s’est révélée être une mise en bouche d’une excellente facture avec trois groupes étourdissants, chacun dans leurs styles propres. On retiendra la prestation brute de Clinic qui fût à la hauteur de leur réputation ainsi que les envolées magnétiques d’Austra. Et maintenant, la fête peut commencer.
artistes
    Austra
    Clinic
    Julia Holter