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Sziget Festival

Budapest, du 5 au 12 août 2013

Live-report rédigé par Olivier Kalousdian le 31 août 2013

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Il existe au moins deux lieux où détendre ses muscles et son esprit au Sziget Festival, information capitale en ces lieux de démesures sensorielles. L’un est proposé par des masseuses et masseurs hongroises sur fauteuils ergonomiques et l’autre est assuré par des femmes d’origine Thaïlandaises, spécialistes en la matière s’il en est, allongé sur des matelas à la fraicheur d’un coin de forêt et enivré par l’encens se consumant lentement. Après trois à cinq jours de présence au festival, l’idée séduit les corps courbaturés et l’attente devant ses stands s’en ressent.

La tempête attendue la veille s’est levée tôt dans la matinée : une pluie diluvienne accompagnée de vents violents réveillent le Sziget en ce premier jour de week-end. Surpris par les éléments, les dormeurs à la belle étoile, les campeurs légers et le service presse du village des artistes courent dans tous les sens se mettre à l’abri, protéger leur garde-robe soigneusement rangée à même le sol depuis cinq jours et sauver ce qui peut encore l’être. Le tempo du climat continental, c’est hardcore.

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Enter Shikari débutent les festivités de ce samedi venteux, mais climatiquement beaucoup plus supportable que les jours précédents. Sur la scène principale qui a retrouvé ses bâches de structures, rangées la veille au soir, un maigre public ouvre difficilement les yeux. Adolescents tout juste entrés dans l’âge adulte, Enter Shikari et leur musique post-hardcore mêlée à la jungle la plus rude relèguent, petit à petit, la pluie et la fatigue au rang de souvenirs. Encore enfarinés de la veille, le réveil sera un tantinet violent (Sssnakepit) ! La plaine est encore clairsemée, mais c’est pour mieux pouvoir sauter et lancer le pogo monstre que provoquent les titres Ghandi Mate, Ghandi ou Destabilise. Mixant, parfois de manière indigeste, des sonorités empruntées aux jeux vidéos et au rock ou à l’électro-hardcore, Enter Shikari renferment autant d’énergie qu’une citerne de Red Bull dont l’abus provoque, inévitablement, quelques migraines en ce début de journée de concerts...

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Dix-sept heures quarante-cinq sonnent à l’horloge humaine du Sziget située en face de la grande scène : un doute s’installe sur la scène principale. Annoncés depuis de longues semaines à cette date et cet horaire-là, Editors ne sont visiblement pas le groupe qui entre en piste... Ils officieront finalement à l’heure du groupe surprise du Sziget Festival, sans l’être vraiment. Tout aussi acclamés, The Fratellis entrent en scène alors que le soleil et la chaleur ont déjà repris leurs droits. Un peu perdus sur une si grande scène, Barry, Mince et Jon, les trois faux frères, accompagnés de Will Foster aux claviers, occupent avec brio l’espace sonore à coup de british beats empruntés au Mods, impeccables et un rock mélodique sans fioriture qui font revivre les corps les plus fatigués. De liens de famille chez les trois des The Fratellis, il n’y en aurait donc aucun... Silencieux depuis de trop nombreuses années, les Ecossais sortiront le 7 octobre prochain un nouvel album intitulé We Need Medecine. Ça tombe bien, nous aussi !
Avec Chelsea Dagger ou Whistle For The Choir, les refrains entêtants, la batterie nette et les guitares surf voguent à fond sur l’esprit d’Elvis Costello (le premier album du groupe ne se nomme-t-il pas Costello Music ?) et l’urbanité des Jams. Efficaces, avenants et enjoués, The Fratellis auraient largement mérité le titre de groupe star de cette journée.

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Après le magnifique lâcher de ballons (dix mille) du mercredi 7 août devant la scène principale, c’est au tour de la fête des couleurs de marquer les esprits – chemises ou pantalons blancs Armani s’abstenir ! Une tradition venue d’Inde et qui semble contaminer de plus en plus de festivals... A dix-neuf heure et des poussières, et bien avant que l’organisation n’en donne le top départ, des milliers de sachets de poudre colorée distribués au public de la grande scène sont déchirés et lancés à la tête de la voisine et du voisin, comme une gigantesque guerre chimique pacifique armée de produits évidemment non toxiques. Tel un affrontement de paintball, toutes les couleurs de l’arc en ciel sont bientôt saupoudrées au-dessus et sur la foule surexcitée qui, pour un moment, ne pense plus à la musique mais à teindre en jaune, en rouge, en bleu... son camarade le plus proche. Des cheveux aux vêtements en passant par les visages, les craies multicolores réduites en poussières envahissent jusqu’au village des artistes et ce n’est plus qu’une multitude clowns qui s’extirpe joyeusement de là pour aller, à minima, tenter de reprendre son souffle et un peu d’air, loin du champ de bataille.

C’est sur ces entrefaites qu’Editors, groupe surprise sans l’être vraiment, pénètrent sur la grande scène. Le groupe de Birmingham mené par Tom Smith est à l’opposé de l’évènement qui vient de se dérouler : sombre et pessimiste. Cold wave dans l’apparence, post-punk par références et inclassable par l’écoute, les cinq corbeaux Anglais refroidissent en quelques mesures les ardeurs d’un public joyeux, un peu perturbé par ce choix à cet horaire là...
N’ayant jamais pu se rapprocher de la noirceur des The Horrors ni de la classe des REM et de son chanteur Micheal Stipe dont Tom Smith partage souvent le timbre de voix, Editors naviguent avec nonchalance sur des titres sans intérêt tout en ayant deux disques de platine à leur actif ! Trois-cent-mille acheteurs anglais peuvent-ils avoir tort ? Avec un quatrième album, The Weight Of Your Love, sorti en juin 2013, Editors déroulent des titres déjà anciens (Bullets, Papillon...) comme les plus récents (Sugar, A Ton Of Love...) au cours d’un set d’une heure et demie où Tom Smith jouera à merveille son rôle de pisse-froid animé d’une voix caverneuse surjouée, le tout sur des beats et des sonorités synthétiques aussi passéistes qu'un solo d’Alphaville aux MTV awards 1985 ! Un concert terne qui ne recueillera jamais ferveur du public.

Également sujet de sa gracieuse majesté de par sa nationalité australienne, le beatboxer Dub FX est un phénomène à lui seul. Sur la scène de la Party Arena, cet artiste urbain au sens le plus noble du terme – il démarra sa carrière en beatboxant seul dans les rues d’Angleterre – est capable des plus incroyables sonorités à la seule force de ses cordes vocales et des muscles de sa bouche, mis en boucle dans ses machines qui l’accompagnent partout.
Avec un flow à faire pâlir d’envie Akhenaton ou Eminem, Benjamin Stanford aka Dub FX est un artiste minimaliste. Pour lui, le mieux est l’ennemi du bien et ce qui compte avant tout, c’est la communion avec ce public qu’il trouve aussi bien dans les festivals que dans les rues du pays dans lequel il se voyage. Totalement libre artistiquement et indépendant des réseaux de production ou de distribution habituels, son prochain album sera produit par ce public qui, en se connectant sur son site Internet, aura l’occasion de financer, à la hauteur souhaitée, la prochaine galette du jeune rappeur Australien. Animé d’une telle énergie qu’elle pourrait sembler artificielle si on ne la disait initiée par son alter égo et fiancée, Flower Fairy et sa ligne de conduite draconienne en terme de nutrition et d’abus en tous genres, Dub FX replace l’art là où il doit être : dans la rue et à la portée du plus grand nombre.

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Si Dizzee Rascal est un des maitres du grime Anglais, les Hadouken! sont les initiateurs du pendant électronique de ce mouvement : bienvenue dans le son grimecore ! Sur un flow quasi identique mais avec l’ajout de nappes synthétiques qui s’étalent lourdement sur toute la surface du chapiteau A38 où ils se produisent à 21h30, Hadouken! auraient toute légitimité dans la bande son d’un jeu vidéo de baston futuriste ou celle d’un énième blockbuster hollywoodien relatant une guerre des Aliens contre les Marines. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont tiré leur patronyme du jeu Street Fighter, Hadouken étant le nom d’une attaque combo de ce jeu de baston devenu culte.
Le plus jeune public ne s’y trompe pas et a envahi, bien avant le concert, les premiers rangs pour aller en découdre avec leurs congénères aux sons guerriers de Get Smashed Gate Crash ou encore Mecha Love dont le vidéo clip est un ode aux consoles de jeux vidéo à lui tout seul. Flirtant avec la furie des Rage Against The Machine, notamment dans leur capacité à exciter leur public, Hadouken! manquent de vraies compositions qui se retiennent ou se démarquent (le titre As One et son refrain de mauvaises discothèques tirent le groupe vers le bas), mais font preuve d’une vrai originalité musicale et scénique accueillie avec ferveur en ce samedi soir qui ne fait que démarrer.

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A la même heure, l’ex-phénomène pop anglo-libanais, Mika, enchante, comme à son habitude, un très large public sur la scène principale. A la manière d’un industriel de l’agro-alimentaire dont les recettes de plats préparés ne sont pas les plus fines ni les plus diététiques mais qui, de par leurs simplicités et rapidité d’exécution, sont plébiscitées par des millions de consommateurs dans le monde, le chanteur pop Michael Holbrook Penniman, Jr, dit Mika, aura vendu plus d’un million et demi de son premier album Life In Cartoon Motion au son de titres préfabriqués, mais bien produits, comme Grace Kelly ou le très publicitaire Lolly Pop. Véritable show man formé à l’école des plus grands puisque sous label Casablanca depuis ses débuts (Donna Summer, Village People, Kiss...), Mika peut ne pas plaire, mais laisse difficilement indifférent.

A l’image des concerts du jour, le Sziget 2013 aura été surprenant, déroutant, fatiguant, enrichissant, multicolore et totalement dépaysant. On ne peut s’empêcher de penser au travail que représente une telle organisation, même désorganisée, selon nos modèles de l’ouest. Faire manger, boire, dormir et danser trois cent soixante mille Szigotos isolés sur une presqu’ile, n’est pas une mince affaire.
Un festival où l’on peut vivre en autarcie une semaine durant, aller au cirque, à la piscine ou à la plage, se laisser enchanter par les multiples spectacles de rue, où l’on peut manger Français, Turc, Hongrois, Chinois, Japonais... et finir la soirée les fesses collées dans une grande roue ou une catapulte digne de la Nasa !

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Un festival parmi les plus colorés dont il faudra retenir les immenses prestations de Blur, Nick Cave & The Bad Seeds ou Franz Ferdinand – qui, pour la petite histoire, a failli ne pas avoir lieu pour cause d’empoisonnement d’Alex Kapranos aux arachides juste avant de monter sur scène ! – et les confirmations de groupes plus récents tels que Biffy Clyro, The Joy Formidable ou The Fratellis.
On pourra regretter une programmation un peu en retrait par rapport aux autres années mais cette constatation est si subjective qu’elle ne saurait rentrer en ligne de compte à l’heure du bilan. Le Sziget Festival ne compte pas pour supplanter le SXSW ou Coachella et leurs programmations concurrentielles tailles XXL. Au-delà des concerts proposés, le Sziget représente la diversité culturelle, sociétale et même alimentaire d’une Europe, voire d’un monde dont la musique reste la convergence principale et vitale.
Reste la fréquentation en constante baisse depuis quelques années. Celle-ci peut se comprendre dans un pays récemment dominé par un parti politique parmi les plus conservateurs et réactionnaires qui a rendu les retraités miséreux et les plus jeunes pessimistes dans une Europe qui aime se dire en crise depuis 1976.
Un passeport du Sziget Festival est remis à chacun à son arrivée, une photo d’identité, un coup de tampon et même de sexy douanières en uniformes pour imiter des contrôles informatifs et voilà trois-cent soixante-mille Sziticens de la République du Sziget lâchés sur une ile de liberté de plus de soixante-dix-huit hectares. En dehors du temps, de l’actualité extérieure et des soucis politiques, le Sziget est surement le seul festivacances du monde : un festivacances qui, définitivement, entérine l’idée qu’il vaudra mieux être aoutien que juillettiste en 2014 !
artistes
    Cankisou
    Daily Bread
    Editors
    Emiliana Torrini
    Enter Shikari
    Gesaffelstein
    Guy J
    Hadouken !
    John Digweed
    Jozif
    Leningrad
    Mika
    Mokoomba
    Nneka
    Noisia
    Parov Stelar Band
    Söndörgő
    The Fratellis
photos du festival