logo SOV

Pitchfork Music Festival

Paris, du 31 octobre au 2 novembre 2013

Live-report rédigé par Xavier Turlot le 6 novembre 2013

Bookmark and Share
vendredi 1er
La seconde soirée du Pitchfork Music Festival s’ouvre dans un froid polaire avec le premier groupe français du festival, Petit Fantôme, projet solo du claviériste de François and The Atlas Mountains, Pierre Loustaunau.

Arborant deux nattes de fillette et accompagné de son groupe homogènement vêtu, il nous propose une pop aérienne et soignée, issue de son album Yallah de 2011 et de sa toute dernière mixtape intitulée Stave. Les morceaux sont lancinants et éthérés, supportant la voix très haut-perchée du chanteur qui sautille de ci de là entre deux couplets. Le groupe a son propre univers fait de lentes nappes de clavier et de batterie retenue, un son très froid qui colle à la saison, et des chansons efficaces comme notamment Peio et Dans le Vent.

SOV

Rebelote, le premier groupe tranquille est relayé par une formation antagoniste ultra violente. Ce soir ce sera au tour de Deafheaven, groupe de black metal/post-rock de San Francisco, de prendre la relève en déchirant les amplis. Longs accords faits de bouillie de saturation, double pédale quasi permanente et chant évoquant des cris de fauves hanteront la Halle pendant quarante minutes de déluge sonore. Le chanteur George Clarke aux allures de néo dictateur hipster hurle de sa voix suraiguë les hymnes du groupe, lesquels ont quelque chose de vraiment symphonique et solennel, bien qu’incompréhensibles pour un néophyte du genre. Là encore il y a fort à parier que le hiatus entre la programmation et le public sera dur à colmater.

SOV

La suite sera nettement plus calme avec un groupe parisien, Wall Of Death, qui officie un savant mélange de rock psychédélique et de blues. Difficile de ne pas penser à Jim Morrisson lorsque le chanteur attrape son microphone, et les compos du groupe sous forme de longs jams plus ou moins expérimentaux nous ramènent à toute la ribambelle de formations qui sévissaient à la fin des années 1960. L’orgue omniprésent, les longs solos joués sur une guitare vintage à douze cordes et les parties de batterie font inévitablement penser aux premières expériences orientales de Pink Floyd, brouillant tout comme eux les pistes en mélangeant les influences et les continents, nous donnant à nous qui sommes nés trop tard la possibilité de vivre cette musique qui hante et transgresse...

SOV

Tout comme hier la programmation nous propose un quatuor féminin, plus sage mais tout aussi sombre : Warpaint. La formation de Los Angeles regroupe des amies d’enfance réunies autour de leur passion pour un rock noir et désabusé, et l’influence du mixage par l’ex-Red Hot Chili Peppers John Frusciante de leur premier EP Exquisite Corpse peut se faire sentir dans l’aspect dénudé et froid qu’a pris leur discographie. Le chant délicat et drapé de résonances que se partagent Emily Kokal et Theresa Wayman glace presque le sang. Basse sourde, riffs de guitare sinistres recouverts de chorus, section rythmique sûre et puissante sont la signature des quatre Américaines qui nous offrent un bel assortiment des pistes de leur disque The Fool et de celui qui verra le jour en janvier prochain. Des compositions comme Love Is To Die ou Composure laissent présager quelque chose de très correct !

SOV

Place à l’OVNI absolu du festival, le bug informatique, le musicien inclassable et inclassable : Colin Stetson. Ce saxophoniste américain diplômé en musicologie à l’Université du Michigan et qui a enregistré et tourné avec une bonne douzaine de groupes de renom international se produit ce soir seul. La scène est entièrement vide, ne siègent en tout et pour tout qu’un saxophone ténor et un saxophone basse (plus grand que son propriétaire). Colin Stetson est réputé maîtriser la respiration circulaire, ce qui signifie qu’il peut ne jamais s’arrêter de jouer d’un instrument à vent. Il rentre dans le vif du sujet en entamant des arpèges au tempo fulgurant et à la beauté ineffable ; on est à des années-lumière du jazz, le son qu’il arrive à produire se rapproche plus d’une électronique expérimentale qui resterait fortement ancrée dans des mélodies en boucles. Parfois sirupeux, parfois complètement écorché, ce son est indescriptible et semble avoir ouvert une brèche dans l’espace-temps.
Concentré, yeux fermés, sourcils froncés, l’Américain paraît parfois au bord de la syncope tant il donne tout son souffle à sa musique qui oscille entre mélopées célestes et sortes de barrissements angoissants. Il donnera au public quatre morceaux de dix minutes qui auront subjugué et amené à repenser la notion d’originalité.

SOV

La suite est assurée par une formation plus policée et moins conceptuelle menée par le Suédois José Gonzalez : Junip. Le premier concert acoustique du Pitchfork est à la hauteur de ce qu’on pouvait en attendre, des instrumentations propres, des arrangements soignés qui élèvent la voix douce et chaude de Gonzalez. L’emploi parcimonieux d’instruments électroniques au sein d’une formation folk évoque Tunng ou Django Django et prouve que le tour de la question est loin d’être fait. Le batteur aux rythmiques subtiles et effacées donne un côté fragile à la musique du groupe, accentué par des solos d’orgue fins et soyeux. Junip invite à l’évasion en nous plongeant dans son atmosphère paisible et méditative, à l’aide notamment de l’entêtante Walking Lightly, de la triste Without You ou de la tubesque Line Of Fire.

SOV

Arrive alors l’une des grosses têtes d’affiche de la soirée, les Australiens de Jagwar Ma. Leur disque Howlin les avait classés à juste titre dans la catégorie « pop indé », mais leur prestation en fut très éloignée. Le trio arrive sur une instrumentation électro brute à la puissance décuplée, tous les potards sont dans le rouge et les samples sont assourdissants. Les boîtes à rythmes en surchauffe noient les relents de pop psychédélique du chanteur qui hurle ses phrasés recouverts d’échos. Le groupe a fait le choix d’un set exclusivement orienté vers le dancefloor et transforme durant cinquante minutes la Halle en club. Le public déchaîné apprécie la tournure des événements et accompagne le trio dans ses délires et dans sa transe musicale jusqu’à plus soif. Le bassiste saute en permanence de tous côtés, quand le chanteur lâche sa guitare pour effectuer une danse endiablée tandis que l’homme machines continue son headbanging imperturbable. La symbiose avec la foule est totale et les Australiens laissent à contrecœur leur auditoire se remettre dans la sueur et l’hystérie fébrile.

SOV

Il est 22h et un autre phénomène débarque de l’autre côté de la salle : le Néo-Zélandais exilé à Londres Connan Mockasin. Le moins que l'on puisse dire est qu’il possède un univers personnel, fait de longs morceaux pop psychédéliques introspectifs et mystérieux, servis par des clips barrés. Sa voix aiguë et souvent malaxée par toute une batterie d’effets ne prend jamais la direction à laquelle on s’attendrait. Le chanteur à la chevelure blonde platine, accoutré d’une redingote étrange, arrive sur scène accompagné par un batteur, un bassiste et deux filles qui s’occupent d’une section synthés/chœurs. Les ballades rétro puisées dans Forever Dolphin Love et Caramel à la lenteur démesurée s’enchaînent, arborant solos à la wah-wah, lignes de basse qui groovent, synthétiseurs planants et batterie légère.
Connan Mockasin ne cesse à aucun moment de dialoguer avec le public, il présente chaque chanson longuement, exprime sa joie d’être ici, demande aux gens comment ils vont, s’assoit sur le bord de la scène... La communion est totale et c’est presque un prodige de rallier une foule aussi imposante à sa cause musicale quand les morceaux interprétés sont à l’opposé d’une musique de stade. Tout est volontairement hésitant, malléable, changé en temps réel suivant l’humeur du leader qui redonne au concept de « performance » toutes ses lettres de noblesse. Pas question ici d’interpréter ; les chansons servent tout au plus de squelette à de longs délires frisant souvent avec les dix minutes. Quand Mockasin croit le temps imparti écoulé, on lui signifie qu’il reste encore dix minutes de disponibles, et il décide alors d’appeler l’intégralité du public à s’asseoir pour assister au dernier morceau, qu’il entame en s’allongeant intégralement sur scène. Il ne faudra que quelques secondes aux plusieurs milliers de personnes présentes pour s'exécuter et profiter de l’ultime piste dans une ambiance immédiatement beaucoup moins hostile et traditionnelle. Chapeau.

Il est temps pour le seul et unique rappeur du festival d’entrer en scène. L’Américain Danny Brown; lequel a déjà sorti trois albums en trois ans, suscite la folie chez ses admirateurs, et il leur suffit de l’entendre sans même le voir pour entrer en délire. Son DJ n’appelle pas au calme avec des instrumentations démembrées à la limite de la jungle, et M. Brown surgit sous un projecteur, lunettes de soleil et baggy en cuir, assaillant instantanément l’auditoire avec son flow supraluminique.

La place est chaude pour Disclosure, duo anglais nominé au Mercury Prize. Les deux frères d’une vingtaine d’années, protégés de SBTRKT et Joe Goddard, avaient buzzé cette année avec leur album Settle. Avec une house old school greffée de mélodies pop accrocheuses, la salle est vite prise par un feu qui ne s'éteindra pas avant une bonne heure.
artistes
    Disclosure
    Danny Brown
    Connan Mockasin
    Jagwar Ma
    Junip
    Colin Stetson
    Warpaint
    Wall of Death
    Deafheaven
    Petit Fantome