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Pitchfork Music Festival

Paris, du 31 octobre au 2 novembre 2013

Live-report rédigé par Xavier Turlot le 7 novembre 2013

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L'ultime et la principale soirée du festival ne promet pas moins que treize groupes en guise de clôture.

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La soirée s’ouvre par un trio de Brooklyn emmené par la jeune Lorely Rodriguez : Empress Of. L’Américaine s’est spécialisée dans un chant mi anglais mi espagnol qu’elle allonge sur des instrumentations électro-pop très soignées. Un peu gênée sur scène mais d’une bonne humeur très communicative, elle nous fait don de ses plus belles chansons : Tristeza, Realize You, Hat Trick... en alternant entre manipulation de séquenceur et danse improvisée. Sa timidité s’efface immédiatement lorsqu’elle vit sa musique qui a des côtés très pulsionnels, et la demoiselle s’engouffre vite dans des vocalises qui frisent parfois avec délice le dépaysement d’une comédie musicale indienne. La batterie synthétique et les arrangements électro-ambient nous rappellent quand même vite qu’elle officie dans l’un des quartiers les plus branchés de la planète... Une belle découverte promise à confirmation !

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Le relai électro-pop est pris par une institution nantaise, Raphaël d’Hervez, ancien membre de Minitel Rose venant ce soir dans le cadre d’un nouveau projet nommé Pégase. Le Nantais s’est entouré d’une formation classique (guitare, basse, batterie, clavier) qu’il a empruntée à un groupe qu’il produit, Rhum For Pauline, pour donner corps à ses compositions personnelles. Son but affiché est de coller au plus près du son qu’il produit en studio, et le projet est plutôt réussi.
Une dream pop très travaillée où les parties vocales aériennes sont scandées en boucles, soutenues par un synthé omniprésent et une batterie musclée. La guitare électrique légère sur les couplets sait se faire plus agressive sur les fins de morceaux, qui parfois prennent des tournures très rock. La symbiose des cinq garçons saute aux yeux et on peut palper les longues heures de travail qui ont dû être nécessaires à ce résultat probant ; leur dernier EP Dreaming Legend est une réussite et pouvant enfin prendre forme sur scène. Les Nantais nous ont aidés à nous élever et c’est un coup de pouce bienvenu pour le groupe qui suit.

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Majical Cloudz est un duo très étrange. Matthew Otto sample des instrumentations électro soul conçues avec pianos, violons et basses puissantes, quand Devon Welsh y pose sa voix grave et triste avec une touche très personnelle. Au début le public ne comprend pas vraiment, Devon a l’air mal à l’aise, il n’a pas l’air de savoir où se placer et comment se tenir, faisant des mouvements étranges et désordonnés. Pour en rajouter, le Canadien dit des choses affreuses et bizarres pour présenter ses chansons (« Cette chanson parle de la mort d’un ami. Non en fait elle parle du bonheur... »). Le personnage est insaisissable, on ne sait pas s’il s’agit d’humour noir ou de profonde dépression, mais une chose est sûre, la musique des deux Montréalais est belle et profonde.
Toujours empreints d’une tristesse qui semble inconsolable, les morceaux offrent de lentes sonorités chaudes et dépouillées qui invitent au recueillement. Childhood's End est un bijou glacé au refrain soul enivrant, tout comme Bugs Don't Buzz et son piano suspendu ou Turns Turns Turns chez laquelle on peut ressentir avec beaucoup de volonté un début d’espoir dans ses chœurs qui s’essayent à la tonalité majeure. Le duo ne fait aucune concession et n’écoute que lui-même pour tracer sa route solitaire dans le fourmillement des musiques actuelles, il possède le saint-graal du talent : un style.

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Changement de style et d’ambiance : la suite du programme est assurée par une Californienne de 21 ans, mais qui a presque dix années d’expérience dans la chanson, Sky Ferreira. Cours de chant précoces, participation à des clips, poses pour une flopée de magazines de mode, la très jeune Américaine s’inscrit dans cette lignée de superstars qui n’ont jamais eu le loisir de connaître autre chose que le star system.
Vêtue d’un blouson de cuir, perruque blonde et énormes lunettes de soleil rétro, elle arrive sur scène en caricature de starlette américaine. Attrapant sensuellement le pied de micro, elle attaque d’une voix d’abord susurrante puis vite envoûtante son set électro pop. Ses chansons sonnent de manière très différente de ce que l’on avait pu entendre sur son disque puisqu’elle est accompagnée de musiciens et non d’un DJ ; le côté rock qu’elle donne à ses morceaux est plutôt bien vu et évoque vite ce que faisait Courtney Love au sein de Hole dans les années 1990. Pour qui adhère au concept, des pop songs comme Boys ou You're Not The One font leur effet, on se prendrait presque à penser à Cindy Lauper tant les envolées de sa voix claire sont kitsch et passionnées. Il y a beaucoup de fans devant elle et Sky Ferreira tente plus ou moins de dialoguer d’un air désabusé avec eux entre deux chansons, ce mélange de timidité et de suffisance renforce l’aura du concert qui verra son paroxysme dans l’interprétation d’un 24 Hours étincelant.

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C’est en revanche un groupe bien indépendant qui prend la suite des opérations. Youth Lagoon, nom de scène de l’Américain Trevor Powers, est un projet de pop solennelle, brillante et introspective. Il a posé en deux albums les bases d’une musique des grands espaces dont les développements sont lents et pensés, puisant dans le psychédélisme et la longue tradition du rock américain. Sur scène, le groupe présente bien plus que ce à quoi on aurait pu s’attendre compte tenu de leurs enregistrements assez intimistes : le bassiste balance de longues et puissantes notes sur lesquelles rebondissent une batterie imposante et une guitare aux sonorités légèrement sixties. Puis arrive Trevor Powers qui s’installe à son clavier pour en tirer des arpèges radieuses, à mi chemin d’un piano et d’un synthé. Sa voix presque nasillarde si haut perchée s’élève avec majesté dans l’immense salle et parachève le tableau peint par chaque morceau : des paysages abstraits immenses et beaux.
Les singles de son dernier disque Wondrous Bughouse sont violemment accrocheurs ; des titres comme Dropla, Raspberry Cane ou Mute s’impriment à vie dans les tympans en y instillant leur magie. Le groupe s’attarde sur des longs passages instrumentaux, répétant inlassablement les plus beaux phrasés ou soutenant les plus beaux solos de guitare, épiques et essentiels. On a l’impression de voir un groupe qui tourne depuis vingt ans et nous propose son Best Of, mais non, la quasi-totalité des titres viennent du disque publié cette année par un musicien de vingt-quatre ans venu d’Idaho. Youth Lagoon a déjà l’étoffe des grands et va sans doute encore imprimer nombre de mélodies ravageuses dans l’inconscient de ses fans.

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La barre est placée haute mais pas de panique car le flambeau est récupéré par un garçon du même âge qui a un talent au moins équivalent. Will Wiesenfeld, alias Baths, a déjà sorti trois disques sur le label Anticon, trois bijoux taillés dans une électronique soyeuse et complexe, empruntant à la 8bit pop et à l'IDM pour créer un univers complètement novateur. Si son premier album Cerulean reprenait les codes de l’abstract hip-hop, il a vite accordé une place prépondérante au chant, complexifiant les structures de ses morceaux pour éviter tout risque de sur-place. Son dernier disque Obsidian a été pensé et conçu lorsqu’il a frôlé la mort, infecté par une maladie bactérienne, impuissant durant de longs mois. Et cela peut expliquer la dose inépuisable d’énergie que le jeune Californien déploie sur scène.
Arrivé en marcel et short de sport, accompagné d’un ami aux samples, Baths ne s’arrête jamais : il s’assoit à un clavier, se lève pour bidouiller un sampler, attrape un micro pour y distiller un mélange de doux falsetto et de cris graves surpuissants... Il ne tient pas une position plus de dix secondes, et son corps est incessamment parcouru de pulsions et de spasmes, il est le seul à suivre au millimètre une musique qui a des contours insaisissables, alternant entre sons graves et chauds de synthés, mélodies presque mielleuses, et expérimentations glitch hardcore survitaminées aux rythmes totalement déconstruits. Ses grands titres sont tous là : Worsening, Ossuary, Miasma Sky, sans oublier des reprises du premier album qui l’avait lancé : Lovely Bloodflow, Apologetic Shoulderblades... Mais le sommet de sa prestation est l’interprétation de No Eyes, morceau prodigieux qui révèle de la manière la plus éclatante les talents d’orfèvre de Baths : quand la rythmique impeccable du couplet s’efface pour laisser place au pont, il nous offre alors avec son acolyte une démonstration implacable de ses talents de chimiste du son, triturant, transformant et portant à ébullition toutes ses étonnantes textures pour mettre en forme les idées biscornues qui lui passent par la tête.
Baths est un génie et arrive à transposer avec grandeur ses compos intimistes sur la scène, leur insufflant une âme supplémentaire : on lui prédit un très grand avenir.

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La salle est comble pour accueillir Omar Souleyman, musicien syrien suivi par un certain buzz après avoir été repéré par le label américain Sublime Frequencies. Ayant collaboré avec Caribou ou Damon Albarn, s’étant permis de remixer des titres de Björk et s’étant fait offrir les services de Four Tet pour l’enregistrement de son nouvel album Wenu Wenu, on peut dire qu’il a la cote et ses entrées chez la crème de la hype. Un seul musicien sur scène, Rizan Sa'id, pour créer ce mélange de debka (musique festive proche-orientale) et d’électro hypnotique. Des harmonies dépaysantes sur fond de boîtes à rythmes syncopées et dansantes, le public est en délire pour acclamer le paisible Syrien, qui marche tranquillement d’un côté à l’autre de la scène, frappant des mains, chauffant le public avec un calme et une sagesse auquel il n’est pas habitué.
Les singles Warni Warni et Wenu Wenu font mouche, et le Syrien tient pendant une heure le micro sur cette musique entraînante qui ne laissera aucun répit au public qui de toute façon n’en aurait pas voulu.

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Place après ce délire dansant à un groupe bien moins dancefloor : les vétérans de Matador Records, Yo La Tengo. Le trio du New Jersey officie depuis 1992 dans un mélange équilibré de noise pop, de folk et de country, ayant déjà sorti la bagatelle de treize albums. La scène est occupée par trois arbres en bois peint qui ne manquent pas de créer une ambiance enfantine et relâchée. Chacun des membres prend l’instrument qui n’est pas le sien pour la première chanson, Stupid Things, puis revient à son rôle de prédilection pour enchaîner le set fait d’un brassage de ballades folk et de shoegaze couvert de distorsion. Les schémas sont toujours très linéaires et répétitifs, dispensant une batterie imperturbable et très classique, une ligne de basse solide et diverses élucubrations guitaristiques assurées par Ira Kaplan. Certains morceaux sont presque plats tant ils se déroulent sans créer de surprises (Big Day Coming, The Point Of It...), d’autres sont plus provocateurs, couverts de larsens et de batterie tribale (Super Kiwi, Sugarcube...). Le concert s’achève par un énorme solo magistral d’une dizaine de minutes (Blue Line Swinger) durant lequel Ira Kaplan brandit sa guitare au ciel et finit accroupi face à la batterie dans un déluge de saturation qui prend des dizaines de directions différentes.

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Arrive sur scène un échappé d’Animal Collective, Panda Bear, nom de scène de Noah Lennox. La filiation avec sa formation initiale reste très forte : pop psychédélique, chant réverbéré légèrement dissonant, instrumentations expérimentales et bruitistes... Les morceaux sont joués un peu fort, on a l’impression que les balances manquent de basses, peut-être volontairement.
Panda Bear crée pourtant des ambiances originales avec ses harmonies vocales si particulières qui ont l’air de puiser leurs caractéristiques sur à peu près les cinq continents. On ressent une réelle créativité qui cherche à s’affranchir de tous les codes, évoluant au gré des rêveries. Le Marylandais avoue aimer composer en à peine quelques heures, mettant en relief des idées brutes, et cela s’entend sur tous ses phrasés qui paraissent interminables. Il semble difficile de discerner quand commence et finit une mélodie. Son dernier disque Tomboy est à l’honneur, un bric-à-brac d’intuitions, d’incantations et de profanations, qui en live ne passe pas forcément extrêmement bien, notamment par la quasi absence de boîtes à rythmes et un recours poussif à l’écho dans la voix.

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Il est minuit et l’une des énormes têtes d’affiche du Pitchfork Music Festival entre : les londoniens de Hot Chip. Le sextet aux cinq albums et aux dizaines de festivals validés arrive à l’heure la plus chaude de la soirée devant une masse compacte qui s’étend uniformément jusque derrière la régie son. Le groupe annonce immédiatement la couleur en entamant un How Do You Do d’anthologie, au côté dance décuplé. Le riff de synthé identifiable en une fraction de secondes amène la voix stylée d’Alexis Taylor qui rapidement arrive au refrain grandiose, l’un des sommets de leur dernier album In Our Heads. S’en suit la très rétro Don't Deny Your Heart et sa ligne de synthétiseur ultra kitsch, la sinistre et entêtante Night & Day, Flutes et ses curieux chœurs d’enfants buggés, et aussi des chansons un peu plus anciennes comme One Life Stand et Over And Over.
Hot Chip est une machine infernale qui ne s’arrête jamais. L’aspect dance de leur pop synthétique est ici démesurément exploité, tout est orienté vers le rythme, la syncope, le déhanchement. Leur notoriété est bien assise, les cinq anglais sont devenus des prescripteurs de tendances en remettant au goût du jour des sonorités kitsch que plus personne n’osait manier. La seule accalmie du concert sera la reprise d’un titre du Velvet Underground, Pale Blue Eyes, à l’occasion de laquelle le couple de Yo La Tengo revient brièvement sur scène. La prestation exemplaire s’achève par la symphonique I Feel Better qui achève le public.

La place est bouillante pour la fin de soirée électro qui clôt le festival : le duo américain électro-pop Glass Candy, le Norvégien montant Todd Terje et le Dj A-Trak, spécialiste de la fusion électro hip-hop.
Pour cette troisième édition parisienne du festival importé de Chicago, la programmation a été très éclectique, balayant un large éventail de styles, sachant prendre des risques souvent avec réussite, nous permettant d’avoir un bon aperçu de la crème des musiques actuelles anglo-saxonnes.
artistes
    A-Trak
    Todd Terje
    Glass Candy
    Hot Chip
    Panda Bear
    Yo La Tengo
    Omar Souleyman
    Baths
    Youth Lagoon
    Sky Ferreira
    Majical Cloudz
    Pégase
    Empress Of