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Matt Elliott

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 9 janvier 2012

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Étrange, indépendant mais totalement attachant, Matt Elliott est un personnage dans le monde du rock. Un pur et dur dans son genre, et même dans ses genresen réalité, aussi variés qu'un plateau de fromages Français !

Un des rares artistes de la scène Anglaise à avoir débuté avec un side-project, The Third Eye Foundation, Matt Elliott poursuit quinze ans de tripatouillages synthétiques et d'expérimentations technologique par un pied de nez à l'expérimental et au noise où il fit ses classes. Il office dorénavant sur une scène folk sombre et mélancolique, à la limite des ballades acoustiques gothiques de la scène post-punk Anglaise des années 80.
À l’instar d'un technicien du spectacle qui pense avec sérieux à sa reconversion après avoir fait le tour des cintres, Matt, sans rejeter son passé qui reste actuel, en est venu à la conclusion ultime qu'il lui fallait maintenant prendre à bras le corps les armes légendaires de sa profession : une guitare, un basse et une batterie.

Attablé au bar de l'hôtel Crowne Plaza de la place de la République à Paris, Matt Elliott enchaîne les interviews avec une patience religieuse et une esprit planant du coté de Berkeley dans les années Kerouac...

En France, on te connaît bien pour ton side-project, The Third Eye Foundation, officiant depuis déjà 15 ans et, finalement, un peu moins en tant que Matt Elliott. De The Third Eye Foundation ou Matt Elliott, lequel est réellement un side-project, finalement ?

En 1995, j'ai démarré le projet The Third Eye Foundation et, étrangement, c'est en déménageant en France que j'ai ressenti une certaine limite et fatigue dans ce style électro expérimental auquel j'ai consacré plusieurs albums. J'ai alors décidé d'apprendre à jouer de la guitare de façon professionnelle et de me concentrer sur des mélodies et des textes plus personnels. Maintenant, je dirais que, The Third Eye Foundation, malgré ses 15 ans d'existence, est le side-project parmi mes deux casquettes !

Justement, comment fait-on pour expérimenter aussi longtemps des sonorités synthétiques plutôt sémillantes et passer aux titres folk sombres et mélancoliques de Matt Elliott ? N'y a-t-il pas une influence de l'un sur l'autre ?

Non, pas tant que ça. J'ai beaucoup appris avec The Third Eye Foundation mais nous étions très portés sur la production et la technologie, ce genre de choses... J'ai joué l'ingénieur du son, j'ai appris à maîtriser les samples et les machines d'alors mais je n'étais pas vraiment un musicien au sens noble du terme. Puis, je me suis lassé à faire le programmateur de machines ou à ne jouer que de simples mesures que je faisais boucler ensuite. C'est là que j'ai décidé de me perfectionner sur un instrument de musique et de laisser la technologie de côté pour un moment. Tout doucement, Matt Elliott est né de ce besoin de changement.

Matt Elliott, c'est toi mais, sur scène ou en studio, qui t'accompagne ?

Au départ, j'étais vraiment dans l'optique de tout contrôler moi-même et j'avançais seul, ou du moins c'était ce que j'essayais de faire. Avec le temps, de plus en plus de musiciens sont venus se greffer au projet. Avec The Third Eye Foundation, nous sommes quatre sur scène parce qu'observer un seul type qui s'agite avec son ordinateur portable comme seul instrument, je trouve que c'est vraiment ennuyant pour le public. Avec quatre personnes, nous prenons une autre dimension : un est en charge des sons des basses, l'autre est plus sur les sonorités expérimentales et le dernier n'a plus qu'à boire jusqu'à être saoul et faire n'importe quoi sur scène (rires) ! Sous le nom de Matt Eliott, chaque note est écrite et je joue tous les instruments au plus près de la composition, mais avec The Third Eye Foundation ce sont des versions différentes de nos titres à chaque concert, ou presque.

J'essaie juste de positionner mes différentes compétences et aptitudes le plus distinctement possible sur mes deux formations.

Justement, comment procèdes-tu pour obtenir l'équilibre entre ces deux façons de faire de la musique ?

J'essaie juste de positionner mes différentes compétences et aptitudes le plus distinctement possible sur mes deux formations. Quand on a commencé The Third Eye Foundation, il m'aurait suffi d'appuyer sur la barre espace de mon Mac et de le laisser jouer. Aujourd'hui, les logiciels et les machines te permettent un énorme choix d'options en temps réel et la musique synthétique, par définition, automatique, deviendrait presque une science musicale à part entière. Ce qui, paradoxalement, me permet d'être très indépendant sous mon propre nom car ce qu'on peut faire avec des sons synthétiques à travers des machines, on peut également le faire pour des instruments traditionnels et ça rend les choses plus simples pour un musicien.

Finalement, la technologie qui t'a poussé à aller explorer d'autres contrées te permet d'être aujourd'hui un musicien plus classique ! Ironique non ?

C'est exactement ça. Et, au final, je me réconcilie avec la technologie car elle me permet de travailler des sons classique comme ma voix ou ma guitare.

Tu mènes donc les deux projets de front ?

Comme les deux derniers albums de Third Eye Foundation et de Matt Elliott sortent à peu près au même moment, cela dépend en fait de mon humeur. Je me suis retrouvé avec une infection du rein pendant leurs enregistrements et j'ai été mis sous Corticoïdes. As-tu déjà essayé cette drogue ? 'est fantastique ! Je t'assure que c'est la meilleure drogue que j'ai pu tester dans ma vie. En plus, c'est légal, nul besoin d'aller faire des plans de rue... J'ai d'un coup été capable de penser plus vite, de faire plus de choses – je n'ai d'ailleurs pas dormi pendant quatre jours ! - et j'ai finalement pu boucler l'enregistrement des deux albums presque en même temps !

Je peux écrire tout ça ?

Bien sûr. Je suis un fanatique des drogues de toute façon, je l'ai toujours été et je le serais toujours. Surtout quand ce sont des drogues auxquelles tu ne t'attends pas, légales et qui te font composer plus vite ! Bizarrement, j'ai retenté de prendre des corticoïdes après ça et ça n'a pas eu le même effet... c'est dommage (rires) !

Avec Matt Elliott tout est calculé et précis, avec The Third Eye Foundation il peut se passer des choses auxquelles on ne s’attend pas.

Comment es-tu parvenu à maintenir un certain équilibre entre ton groupe et ta carrière solo ?

Aujourd’hui, mon cheval de bataille c’est Matt Elliott. Bien que je prenne toujours plaisir à composer et jouer pour The Third Eye Foundation, Matt Elliott est un projet tellement plus personnel et émane de mes sentiments les plus profonds. Évidemment, la portée des textes de Matt Elliott prend le pas sur le coté électronique de The Third Eye Foundation et lui donne un coté plus humain. Mais, je continuerais The Third Eye Foundation parce que c’est une approche plus fun. Avec Matt Elliott tout est calculé et précis, avec The Third Eye Foundation il peut se passer des choses auxquelles on ne s’attend pas. Tu appuies sur un mauvais bouton et tout marche encore mieux que tu ne l’avais imaginé ! C’est une expérience quasi magique parfois... il y a un côté mystique qui me fait souvent penser : mais d’où vient ce son ? Comment en suis-je arrivé à enregistrer cette séquence ? Me considérant comme quelqu’un d’ésotérique, tu peux comprendre l’importance de ce voyage musical qui, parfois, semble sortir de nulle part et surtout pas de ma tête... l’opposé total du process de Matt Elliott !

Tes trois derniers albums avaient constitué une trilogoe. Sur quelles bases es-tu parti pour ce nouvel album ?

Cet album n’a plus rien à voir avec la trilogie Drinking Songs, Failing Songs et Howling Songs que constituaient mes précédents albums. The Broken Man qui sort en janvier n’aura lui non plus rien à voir avec le prochain album dont j’ai déjà composé la moitié et qui sortira sûrement fin 2012. Cette trilogie correspondait à une époque de ma vie mais, si je passe trop de temps à regarder en arrière ou à écouter avec complaisance mes anciens disques, j’ai l’impression de ne plus avancer. Il n’est donc pas rare que je haïsse un album précédent ! Ça me donne des coups de pied au cul et ça me fait progresser.

Une trilogie est nécessairement une création ambitieuse, penses-tu être revenu à plus de simplicité pour The Broken Man ?

Absolument. Sur The Broken Man, j’ai voulu être plus concentré sur des ingrédients musicaux essentiels et, par certains cotés, sur une simplicité dans l’écriture et la composition. Une fois l’épine dorsale du titre créée, j’ai posé de petits détails très simples sur ma composition que les auditeurs ne remarqueront peut-être pas mais qui font de cet album un projet très intimiste. Pas question de poser des riffs de guitare électrique sur ces titres ! Cet album est tout sauf une ode au bruit. J’ai d’ailleurs trouvé une grande satisfaction à travailler de la sorte. Je crois que l’âge m’apporte une certaine résignation dans le bon sens du terme. Je me contente d’un résultat épuré parce que je sais que je l’ai travaillé du mieux possible.

Un peu de sagesse peut être ?

Oui, de la sagesse, tout en étant conscient que j’ai sûrement répété les mêmes erreurs que j’ai commises tout au long de ma putain de vie ! Mais c’est cela aussi la résignation. Je suis comme je suis, cela ne changera jamais et je l’accepte mieux qu’auparavant. J’aurais dû apprendre à écouter mes semblables il y a longtemps mais je ne l’ai pas fait. Ainsi soit-il !

C’est ce qu’on appelle le rock & roll ?

C’est surtout très humain ! Nous fonctionnons tous comme ça. Tu constates tes erreurs ou tes défauts mais, souvent, tu continues sur la même voie...

Dans cet album, tu as donc mis un peu plus de toi et moins d’artifices ?

J’avais beaucoup moins de choses à cacher ou à laisser derrière moi. Peut-être que ma pudeur s’est enfin trouvée exposée et c’est une bonne chose. Avec The Third Eye Foundation il était facile pour moi de me cacher derrière les beats et le bruit des machines électroniques. Là, je me suis senti beaucoup plus libre de m’exprimer avec mes tripes que ce soit musicalement ou dans les textes. D’ailleurs, ce sont les textes qui me posent le plus de problèmes à chaque fois. Composer est un exercice assez facile et naturel pour moi. Écrire de bons textes est un exercice incroyablement difficile car tout a déjà été dit et redit. Il faut trouver une nouvelle façon de le dire ou exprimer quelque chose qui ne l’a pas déjà été. Pas facile !

Dans ton processus de création, la musique vient donc en premier ?

Je commence toujours avec la guitare. Puis, les paroles commencent à venir mais jamais en totalité et je me retrouve souvent dans le studio d’enregistrement avec des textes qui ne sont pas encore écrits !

Le titre de cet album, The Broken Man, est-il un peu autobiographique ?

Je crois que tous les titres de mes albums le sont ! À mon sens, tu ne peux bien écrire que sur les sujets que tu connais par cœur ou qui t’habitent. J’aurais du mal à écrire sur la vie d’une prostituée car je ne pourrais qu’imaginer, sans le vivre, enfin je crois (rires) ! J’ai besoin de connaître mes sujets. Cela mène parfois à des situations extrêmes, dans ma situation en tout cas. Tu as besoin de toucher le fond ou de te sentir un sale con esseulé pour savoir ce que ça fait vraiment et rebondir en exprimant toute cette détresse par des textes et des chansons. C’est également une thérapie qui te fait avancer car tu te questionnes et analyses ces situations. C’est une situation sans fin car au fur et à mesure que tu avances tu continues à faire des conneries, que tu blesses les autres ou que les autres te blessent il te faut te poser des questions à ces sujets et ça durera aussi longtemps que je vivrais je crois...

Grâce a ce projet, j’ai pu mesurer tout le le talent de Yann Tiersen et nous avons tout de suite compris qu’il nous fallait faire quelque chose ensemble.

L’album a au final été mixé par Yann Tiersen, comment est née cette collaboration ?

Nous étions tous les deux impliqués dans le projet This Immortal Coil (ndlr : projet regroupant des reprises du groupe expérimental et culte Coil, formé par Jhonn Balance et Peter Christopherson dans les années 80, et proposé par le label nancéen, Ici D’Ailleurs). Nous connaissions nos travaux respectifs mais ne nous étions jamais vraiment rencontrés. Grâce a ce projet, j’ai pu mesurer tout le le talent de Yann et nous avons tout de suite compris qu’il nous fallait faire quelque chose ensemble. Ensuite, il m’a demandé d’enregistrer des voix sur son album The Dust Lane. Je l’ai rejoint lui et ses ingénieurs du son dans son studio de Paris. Yann, qui n’ était pas impliqué dans la création de The Broken Man m’a dit qu’il aimerait beaucoup en faire le mix. J’ai été très touché et son travail m’a encore un peu plus impressionné. Si moi je suis naturellement un peu fainéant, Yann est tout l’inverse ! Il passait 12 ou 14h par jour à travailler sur mon disque, même le jour de son anniversaire. Quand moi je me contente de quelques textes ou compositions avant de sentir le besoin de me retirer pour boire quelques bières, lui reste au studio pour travailler et parfaire le mix. C’est un grand musicien et quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’affection.

Ta musique a toujours comporté une importante part d’explorations et d’expérimentations, que penses-tu en avoir tiré au fil du temps ?

J’ai travaillé chez un disquaire indépendant quand j’avais seize ans. J’ai quitté l’école et je me suis tout de suite retrouvé dans ce monde-là. Le type qui tenait le magasin à Bristol était une bible de la musique indépendante de tous les styles. Jazz, reggae, indie, rock... je me rappelle y avoir entendu My Bloody Valentine et m’être dit : « Putain c’est quoi ça ? ». J’ai su alors que c’était ce pour quoi j’étais fait, la musique. Puis, j’ai écouté Psychic TV, Coil, Current 93... et beaucoup de groupes expérimentaux. J’ai alors compris qu’il n’y avait pas que les instruments de musique pour en faire ! J’ai donc commencé à vouloir écrire des chansons d’une façon qui n’avait peut-être pas été expérimentée avant. Pour moi, m’ennuyer en faisant de la musique serait pire que tout. C’est pour cela que j’expérimente dès que je le peux. Tout en gardant à l’esprit que le confort ou les moyens disproportionnés peuvent tuer l’exploration musicale. Combien de groupes ont réalisé un premier album incroyable puis, une fois signés sur un gros label avec des moyens quasi illimités, ont oublié d’innover ? Il y a un bel exemple de cela dans le film documentaire Dig ! Tu y vois deux groupes (ndlr : The Dandy Warhols et The Brian Jonestown Massacre) qui sont filmés pendant leurs ascensions respectives. The Dandy Warhols suit une route toute tracée vers le succès et les gros contrats en enregistrant disque après disque avec un label qui lui donne tous les moyens mais, le groupe se perd, entre en crise et n’arrive plus à créer. Pendant ce temps, The Brian Johnston Massacre va de galère en galère, de bagarre en bagarre mais arrive à produire trois albums de manière indépendante. Finalement, même si le narrateur du film est Courtney Taylor (ndlr : leader de The Dandy Warhols) c’est bien The Brian Johnston Massacre et son leader charismatique et cyclothymique Anton Newcombe qui sont portés aux nues. Comme quoi, le succès commercial et les labels ne sont pas toujours bénéfiques dans une carrière !