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One Of A Million MusikFestival

Baden, du 4 au 11 février 2012

Live-report rédigé par François Freundlich le 16 février 2012

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vendredi 10
Un beau matin, on se lève pour découvrir avec surprise un festival à la programmation pointue et variée, mais qu’on ne connaissait pas vraiment. Il paraît qu’il n’y a pas de star, pas de hype et que Steve Shelley de Sonic Youth l'aurait qualifié de « one of the most loveable festival i've ever played ». Sur ce bon conseil, on débarque à Baden, Suisse, entre Bâle et Zürich, pour le One Of A Million MusikFestival. Après avoir accueilli Noah And The Whale ou Disappears l’an dernier, la petite cité et son mignon centre ville accueillent pour cette 3ème édition la fine fleur de la pop et du rock venue des quatre coins du monde : de Lanterns on the Lake à Dirty Beaches, de Baxter Dury à Grouplove. On pense soudainement à un cousin suisse de La Route du Rock, la hype en moins, les montagnes en plus.

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Après quelques visites touristiques valant le détour dans la vieille ville, on échappe aux -16°C glaçants pour se réfugier dans la salle du Nordportal. Deux scènes, seulement 800 personnes qui ne se bousculent pas trop, la soirée s’annonce bien. Le festival a accueilli dans plusieurs lieux Radical Face ou Nils Frahm durant la semaine, mais ce vendredi débute avec la petite islandaise Sóley qui semble un peu perdue face à l’ingénieur du son suisse qu’elle appelle Jacob du nom de son défunt grand-père (humour islandais).
Qu’importent les quelques problèmes de son, la belle lance la soirée de son icelandic pop aux multiples facettes, avec cette touche particulière ne pouvant venir que d’un seul pays au monde. Le chant en anglais enjolivé de ce délicieux accent rappelle Emilíana Torrini dans le rythme ou Björk pour les envolées lyriques (et pour le cliché inévitable). Si la voix est envoutante et impose une atmosphère flottante et gracieuse, Sóley n’est pas contente d’elle même et affirme chanter comme un alcoolique à un concours de karaoké, provoquant l’hilarité générale.
Elle supplie le public de ne pas filmer ce concert en faisant sa moue derrière ses grosses lunettes, mais parvient à le charmer en superposant des boucles enregistrées de sa voix avec un piano parfois inquiétant. Ses compositions glacées s’accordent parfaitement avec la météo locale. Sóley aime travailler différents aspects de ses chansons se voulant minimalistes à la base, mais évoluant sur plusieurs couches qui les complexifient. Se saisissant d’une guitare sur certaines compositions plus folk, elle est accompagnée d’un batteur en retrait. Sa musique est néanmoins basée sur le rythme, à l’image du titre I'll Drown dont elle enregistre la rythmique à la voix, à base de « cachu-cachuca ». Une très belle découverte : Takk Sóley.

Changement de salle pour découvrir la petite scène ou l’on se tient un petit peu plus serré, dans une ambiance de bar bruyant pour un groupe suisse venu de Lugano : The Lonesome Southern Comfort Company. Évoluant entre americana et country folk, le quartet s’enrichit d’une touche européenne grâce à des arrangements au violon qui emportent les compositions dans un certain onirisme. Ce dernier est en fait teinté d’Histoire puisqu’une voix rocailleuse et tremblotante propose des textes inspirés de Charles le Téméraire ou de la première guerre mondiale.
Ces thèmes sont plutôt surprenants lorsque l’on manie le banjo avec une telle dextérité et que l’on propose des chansons lorgnant du coté des entrainants Mumford & Sons. La voix grave du chanteur, s’ajoutant à un violon pincé sur Train Song #3, réchauffe l’atmosphère après les fraiches expériences physiques à l’extérieur ou musicales avec Sóley. Nous voilà transportés au bord des rivières de l’Utah avec une reprise d’une chanson traditionnelle basée sur un banjo des plus entrainants : I Got To Cross The River Jordan. On ne pensait pas voyager autant en à peine deux concerts...

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La suite se déroule en terrain plus connu puisque nous retrouvons notre dandy british préféré : Baxter Dury. L’auteur de l’un des albums de l’année passée harangue déjà la foule de son accent charmeur, nous demandant d’applaudir même si nous n’aimons pas, car lui et ses musiciens viennent d’Angleterre juste pour nous. Voilà qui promet un concert des plus torrides.
On en a la confirmation avec les deux chansons féminines d’ouverture, Claire et Isabel. Elles donnent le ton d’une brit-pop dans toute sa splendeur avec ces touches de synthés dansantes mais pas trop. On sent le groupe très en forme, Baxter susurrant des mots doux mélancoliques de tout son organe tandis que l’effrontée Madelaine Hart assure des chœurs so sexy en s’émoustillant derrière son clavier. Le show devient beaucoup plus rock que lors des dernières prestations au fur et à mesure que le concert s’intensifie. Les plages instrumentales et autres solos de guitares voient le groupe et notamment le guitariste se déchainer.
Le One Of A Million MusikFestival s’est finalement réchauffé au point de se déshabiller : Baxter déboutonne sa chemise, se justifiant par un osé Sweatzerland... Le tube Trellic arrive à point nommé avec sa basse qui remue les hanches des filles et sa guitare twee malicieuse. Baxter Dury nous transperce avec son regard et sa voix parlée irrésistible, puis entame un Cocaine Man pour une fin de concert complètement déchainée qui libère le public suisse. Le groupe a vraiment gagné en assurance sur les morceaux de Happy Soup, Baxter Dury et les siens ont réussi à enflammer le festival.

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Pour continuer sur cette lancée rock, les belges de Tommigun s’installent sur la petite scène. Les bruxellois s’affirment comme les dignes héritiers de cette scène rock du plat pays dès leur premier titre Moonshine Moon et son introduction à la guitare rappelant les meilleurs moments de 16 Horsepower ou dEUS. Sombres, mélancoliques et électriques, les Tommigun entretiennent un certain mystère dans le mélange ou l’alternance des voix du charismatique Thomas Devos et de la jolie Kaat Arnaert, petite sœur de Geike Arnaert (Hooverphonic).
On ressent une grande cohésion entre ces cinq musiciens provenant de différents groupes mais parvenant à écorcher la pop pour n’en laisser que l’essentiel : une inquiétante vibration. Tommigun s’affirment autant dans le défoulement électrique que dans la subtilité de parfaites balades comme Cage Aux Ours, titre en français pour un duo de voix en anglais. Pour terminer le concert, ils proposent une reprise de Fodder On Her Wings de Nina Simone, s’adaptant parfaitement à leur univers tout en noirceur et sublimé par la voix un brin enfantine de Kaat. L’avenir du rock belge passe forcément par Tommigun, on en frémit encore.

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Après toutes ces émotions, on a peine à croire que le meilleur reste à venir. Et pourtant, ce sont les auteurs de l’album britannique le plus complet, et certainement le meilleur de 2011, qui sont appelé à se produire. Les six musiciens de Lanterns On The Lake vont clôturer la soirée de la plus belle des façons avec leur cinematic folkgaze : une manière de dire que leur musique est indescriptible. Leur premier titre, Lungs Quicken, se manifeste par une accélération du rythme cardiaque lorsque la voix de la chanteuse et guitariste Hazel Wilde raisonne de toute sa profondeur. Les légers xylophones qui s’enchevêtraient dans nos têtes à l’écoute de l’album Gracious Tide, Take Me Home prennent toute leur consistance dans une version live sublimée. « Please Breathe For Me », répète Hazel : on s’apprête effectivement à respirer pour elle dans la prochaine heure.
La force de ce groupe est de composer des balades folks classiques et d’y injecter en live une puissance post-rock ou shoegaze. L’utilisation de l’archet sur la guitare électrique pousse le son vers des déchirements que l’on peut entendre dans les live de Sigur Rós, même si Lanterns On The Lake se sont pourtant réellement forgés une identité propre et reconnaissable. La violoniste Sarah Kemp apporte un coté traditionnel dans les harmonies, relevant doucement l’essence des compositions comme sur Keep On Trying. La légère Ships In The Rain est jouée en duo guitare acoustique/voix dans un intense moment de grâce, tandis que A Kingdom prend des allures d’hymne à la Arcade Fire avec ce violon survolant le tambour que le bassiste se met à frapper de toutes ses forces. Les chœurs d’Adam Skyes complètent fragilement le tout.
Des plages instrumentales sous forme de déchainement post-rock viennent conclure les morceaux comme des explosions (in the sky) finales. L’envoutante I Love You Sleepyhead, surmontée par ce mélange de piano et de violon mélancolique, coupe le souffle de chaque festivalier. Acclamé par le One Of A Million MusikFestival, le sextet de Newcastle revient pour un rappel. Le doux murmure de la ravissante Hazel se fait entendre une dernière fois sur une version prolongée de Not Going Back To The Harbour que l’on aurait souhaité ne jamais voir s’arrêter. Les époustouflants Lanterns on the Lake ont confirmé en live tout le bien que l’on pensait d’eux sur album. « Y'a pas le feu au lac » dit-on en Suisse, mais il aura fallu attendre 2012 pour enfin avoir la réciproque de l’équation.

Nous n’étions pas un million ce soir à Baden mais avons au moins vu un million de choses avec ces cinq groupes des plus réjouissants. Sóley nous a donné envie de la rejoindre sur son île perdue et Tommigun d’aller s’en boire une devant la Janneken Pis. Le meilleur de la scène british était là : Baxter Dury nous a remué, mais que dire des sublimes Lanterns On The Lake ?
artistes
    Sóley
    The Lonesome Southern Comfort Company
    Baxter Dury
    Tommigun
    Lanterns On The Lake