Black Country, New Road

En 2019, alors que le monde de la musique gravitait encore autour des prestations live et que black midi étaient de toutes les conversations, on commençait déjà à attendre fiévreusement l'annonce du nouveau groupe qui prendrait la relève dans le difficile rôle de « Ceux qu'il ne faudra pas manquer ». Au printemps de cette même année, sur la plage de Brighton, sous un chapiteau surpeuplé, la surprise est venue d'un tout jeune groupe composé de sept musiciens aussi exceptionnels que banals : Black Country, New Road. Une découverte bouleversante, déstabilisante, qui nous aura demandé beaucoup de patience avant de voir la concrétisation de ses lives viscéraux en un premier album studio sobrement intitulé For The First Time.

Comme ils aiment à le répéter lors des nombreuses interviews qu'ils ont pu donner, Black Country, New Road ne sont pas du genre à vouloir mettre en avant ce qu'ils sont en tant que personnes mais souhaitent plutôt expliquer ce qui confère le caractère unique à leur musique. En effet, le groupe, composé de sept jeunes musiciens à l'aube de la vingtaine, n'a de prime abord rien de bien passionnant : un style un brin nerdy, visiblement pas très à l'aise devant l'objectif, arborant saxophone, violon mais aussi guitare et claviers, bref, rien de « vendeur » en apparence. Pourtant, Black Country, New Road est probablement le groupe le plus passionnant, imprévisible et complexe que l'Angleterre ait enfanté depuis bien longtemps.

Il n'aura pas fallu beaucoup de sorties pour attirer la curiosité des maisons de disques. En effet, la réputation de leurs lives ensorcelants les précède et dépasse toutes les espérances et il paraît ainsi naturel que Ninja Tune, maison de disques aux artistes aussi éclectiques qu'audacieux, ait décidé de donner sa chance à la formation.
For The First Time est vu par ses géniteurs comme une « Phase 1 » retraçant les dix-huit premiers mois de la vie du groupe, un documentaire musical en quelque sorte. Enregistrés live sur une période de six jours en mars 2020 avec le producteur Andy Savors (Sigur Rós...), les six titres qui le composent seront par la suite réarrangés pendant le confinement afin d'apporter aux pistes déjà jouées en live une nouvelle dimension tout en gardant ce côté viscéral si caractéristique. For The First Time révèle un monde claustrophobe et dérangeant où le chant se fait l'écho d'une écriture quasi spontanée ; les compositions y sont narratives, même en dehors des textes, notamment grâce à des enchaînements inattendus et des progressions singulières. Comme sur scène, on ressent une véritable alchimie entre les sept musiciens, chacun laissant la place au talent individuel pour créer un talent collectif improbable.

Musicalement, Black Country, New Road s'aventurent là où personne n'attend un groupe en 2021 : dès l'entame, on est quelque peu déconcertés, bousculés, mais rapidement, la mélodie se met en place, vient flirter avec le klezmer, cette musique instrumentale folklorique des Juifs ashkénazes, garde une tension qui ne faiblira jamais jusqu'à la dernière seconde de cet album. Par un tour de force qui nous échappe, nous sommes désormais aux frontières du free jazz. On retrouve également (Athens, France) ce chant d'outre-tombe, nous rappelant Xiu Xiu et un Jamie Stewart tourmenté. Le parallèle ne s'arrête d'ailleurs pas à la voix puisque cette musicalité bancale et dérangeante rappelle aussi le rock expérimental des Américains. Le panache de cet album réside également dans le mélange des styles : si les influences post-rock 90's sont bien présentes (sur Sunglasses, par exemple), le post-punk, voire même le punk, n'est jamais très loin.

Se libérant du carcan des genres, Black Country, New Road nous proposent, tout au long des six titres qui composent For The First Time, un condensé de ce que représentent l'art et la musique pour ces sept musiciens qui nous promettent déjà un second album palpitant, loin de là où on les attend.