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Home Counties

Exactly As It Seems

Home Counties - Exactly As It Seems
Chronique Album
Date de sortie : 03.05.2024
Label : Submarine Cat Records
2
Rédigé par Franck Narquin, le 1er mai 2024
Repérés en 2020 avec le single Dad bod, pièce maitresse de leur premier EP Redevelopment, Home Counties proposaient alors un post-punk plaisant et enjoué dans le style de Do Nothing époque Lebron James. Mais faisant face à la saturation de cette scène dans l'Angleterre post-brexit et post-confinement et ne pouvant que constater que Yard Act les avaient doublés pour pendre l'oseille et se tirer, armés de l'imparable The Overload, le sextet formé à Bristol a décidé de changer d'orientation afin d'explorer une veine beaucoup plus pop et dansante. Les voici donc quatre ans après avec leur premier album produit par Conor Kearney, le guitariste du groupe et mixé par Andy Savours (Arctic Monkeys, Sorry, Black Country,New Road) intitulé Exactly As It Seems. Avec sa pochette ironique où figure un tableur Excel sur lequel est inscrit le nom du groupe et de l'album et son dos reprenant avec un certain retard l'esthétique post-internet décalée popularisée il y a près de vingt ans par des séries tels que The IT Crowd, ce disque est exactement ce qu'il paraît être, à savoir sympathique, fun et bourré de bonnes références piochées dans la culture pop du début des années 2000 mais déjà-vu, déjà-entendu, caricaturalement scolaire et souffrant d'un sérieux manque d'originalité et de personnalité.

La sortie en février d'Uptight, single prometteur, nous avait pourtant mis l'eau à la bouche. Le groupe y délivrait une indie-disco inspirée et addictive qui parvenait à faire le pont entre l'énergie punk-funk de groupes tels que Le Tigre et la disco groovy de Jungle. Malheureusement Uptight n'était en fait que l'arbre qui cachait la forêt de séquoias. On aurait pu identifier les premiers signaux négatifs quand le groupe présentait le morceau comme « un hymne anti-clubbing et leur réponse aux bangers de boîtes des années 2000s, avec leurs nappes de synthé kitch et des ad-libs à la Britney. Contrairement au mantra "dance all night long" typique des chansons pop de ces mêmes années 2000s, la chanson parle de ne plus vouloir aller en boîte de nuit passé les vingt-cinq ans ». On a envie de leur chanter le tube des années quatre-vingt de Pierre-Edouard : « A ton âge déjà fatigué, répète ma mère complètement alarmée ».

Cette apathie est d'ailleurs pile-poil le sujet du groupe car Exactly As It Seems parle de la routine et des petites galères du quotidien de jeunes adultes issus des « home counties », dénomination commune des comtés anglais situés autour de Londres. Le problème est que la plume n'est ici pas tenue par Mike Skinner et que tout à beau être bien foutu, production propre, sens de la mélodie, refrains accrocheurs, le disque ne cherche pas une seconde à sortir des sentiers battus et récite par cœur tel un parfait élève modèle sa leçon pop-rock UK 2000-2024 sans oublier un mot mais sans jamais penser à mettre la moindre intonation. Pendant ce temps, Yard Act (encore eux !) et Talk Show ont engagé Remi Kabaka de Gorillaz pour produire deux albums de post-punk-dance autrement plus inspirés et novateurs tandis que des groupes comme VLURE, Hallan ou Regressive Left tâtonnent, se vautrent parfois mais cherchent à réunir rocker et clubber sur des pistes qu'ils n'ont pas déjà foulées mille fois. Même les vétérans de Metronomy ont décidé d'arrête de vivre sur leurs rentes en signant chez Ninja Tune afin de s'obliger à repenser leur logiciel. Face à eux, Home Counties font office d'excellents musiciens de pub qui vous joueront sans fausse note votre tube préféré. Le groupe ne cherche même pas à cacher son manque de caractère et d'ambition, le principal souci de Lois Kelly (clavier, chant) est « que le public ne s'ennuient jamais à leur concert ». « Nous voulons que les gens écoutent, regardent et repartent en se disant qu'ils se sont bien amusés ».

On pourrait descendre le tracklisting de l'album, mais vous avez déjà entendu ailleurs tous ces titres, ils sont ici simplement passés au filtre feelgood. Le communiqué de presse cite comme influences LCD Soundsystem, The Slits, Talking Heads, Gang Of Four, Devo et Wire et on ne saurait leur faire un procès en désinformation mais il eut été plus juste de préciser au préalable « musique à la saveur des groupes suivants ». On prendra donc un seul exemple assez représentatif avec You Break It, You Bought It. Outre son passionnant récit nous narrant les mésaventures du groupe avec un méchant propriétaire sur des paroles que même Angèle aurait jugées paresseuses, la musique du morceau n'est qu'un calque mollasson d'Elastica qui eux même n'hésitaient pas à plagier de manière parfois éhontée Wire. La mention idoine du communiqué aurait donc dû être « peut éventuellement contenir des traces de Wire ».

Le pire dans l'histoire est que Exactly As It Seems est un album cohérent, varié stylistiquement, qui s'écoute même avec un certain plaisir, sans véritable creux (ni sommet) et qui s'inspire d'impeccables modèles. Le groupe n'a pas non plus l'air de se prendre pour ce qu'il n'est pas et les six membres ont tous des bonnes petites bouilles de common people anglais à qui ont ne veut aucun mal. On aurait préféré qu'ils soient affreusement arrogants comme l'était le moindre tâcheron de la Britpop ou que leur musique soit aussi insupportablement prétentieuse que celle d'Erotic Secrets of Pompeii. Mais le mal, fût-il involontaire, est bien plus profond et sournois. Derrière ses apparences d'album de pop indé, ouvert à la pluralité des genres, érudit mais jamais élitiste et qui pourra plaire autant aux fans d'IDLES que de Lilly Allen, Exactly As It Seems est un disque qui se contente de recycler des recettes du passé sans la moindre nouvelle proposition, qui parle de sujets sociaux sans aucune conviction, ni angles affirmés et qui n'a d'autre ambition que de divertir son audience en l'incitant à adopter une position aussi passive qu'eux. Home Counties offrent tous les signes apparents d'un groupe de pop-rock bien sympatoche, véhicule toujours bienvenue de vulgarisation du rock indépendant, mais ce qu'ils nous proposent est candidement mais absolument et abjectement réactionnaire.

Pire que nul, Exactly As It Seems est faussement bien. Pire car derrière l'écran de fumé et la poudre de perlimpinpin, il n'offre que du vide emballé dans un joli emballage culturel cool et festif permettant à tous de passer sans aucun effort trente-sept minutes aussi agréables et inutiles qu'un long scroll de réels sur son téléphone. Trente-sept minutes que vous auriez pu passer à écouter l'album d'English Teacher, à regarder La Jetée de Chris Marker ou aller vous inscrire sur les listes électorales. Courage, fuyez car on tente encore de vous refiler un produit de contrefaçon.

On n'aura donc qu'un seul conseil à vous donner: « Take the money and run ! ».
tracklisting
    01. Uptight
  • 02. Bethnal Green
  • 03. Funk U Up
  • 04. Dividing Lines
  • 05. Push Comes to Shove
  • 06. Wild Guess
  • 07. You Break It, You Bought It
  • 08. Cradle, Coffin
  • 09. Exactly As It Seems
  • 10. Posthumous Spreadsheet
titres conseillés
    Uptight
notes des lecteurs