Loyle Carner

Après la fulgurance politique et musicale de hugo, Loyle Carner revient avec un disque plus feutré, presque domestique. hopefully ! est un album d'ambiance, sans esbroufe, qui s'impose lentement par sa sincérité, sa tendresse et sa voix basse. Un virage minimaliste et intimiste, inégal mais touchant. Le plus bel hommage qu'on puisse rendre à hopefully ! est de le rater une première fois, puis d'y revenir, parce qu'on n'avait pas bien écouté, parce qu'on était pressé ou parce qu'on attendait autre chose, parce qu'on avait confondu calme et fadeur et parce qu'un album qui se révèle à la troisième écoute est souvent un disque qui reste.

Cinq singles avaient été lâchés à intervalle régulier, tous marqués par la même teinte folk rock, propres, plats et prévisibles. Une voix qui chantonne, des guitares qui flânent, rien de honteux, mais rien d'électrisant non plus. Et puis l'album est arrivé, d'un coup, en entier et tout a changé. Car hopefully !, n'est pas un album de singles, c'est un disque d'ensemble, un disque d'ambiance. Il ne cherche pas à briller par la diversité, mais par la constance d'un climat. Une lumière douce traverse tous les morceaux et si l'on peut parfois regretter l'absence de ruptures franches, le disque se tient dans une belle homogénéité émotionnelle. On est entre l'album de la maturité (tout est calme, bien fait et ordonné) et l'album live home-made (tout est simple, délicat et sans esbrouffe). Loyle Carner a enregistré avec le groupe qui l'accompagnait sur la tournée de hugo, dans un cadre intime qu'il qualifie de « confortable, doux et propice à la créativité ».

Les fans de hugo, chef-d'œuvre tendu, brûlant et politique, seront forcément un peu désarçonnés voire déçus car hopefully ! est un album à voix basse, un album de jeune père qui préfère parler à son fils qu'au monde entier. Il n'y a plus de sample de gospel, plus de production luxuriante, ni d'envolées soul et si le virage est sincère, il laisse aussi une légère impression d'inabouti. Loyle Carner n'a pas démérité, mais il n'a pas non plus réussi à raviver l'étincelle. Il y manque sans doute un morceau fort, un Nobody Knows ou un Hate, mais il y a autre chose ici, un grain de fatigue et de tendresse, une humanité réelle. Ce n'est pas un disque qui réinvente la roue ou une rupture radicale à la Dean Blunt ou à la Little Simz mais un disque d'apaisement inquiet, qui réussit à se redéfinir sans se trahir.

L'album peut se lire en trois mouvements. Le premier, celui que les singles nous ont donné à entendre, prend des accents folk-rock. Moins marquants, ces morceaux affichent une retenue parfois trop sage, comme in my mind, lyin, time to go ou strangers. On y entend un Loyle Carner apaisé mais un peu convenu, qui tente autre chose sans toujours convaincre. Le deuxième ensemble regroupe les titres les plus solides en tant que chansons, all i need et about time. Tous deux rappellent la finesse mélodique de ses débuts, avec une vraie présence, une belle construction et cette façon si particulière de faire couler les mots sur des nappes mouvantes. Sans révolutionner sa formule, Loyle Carner y trouve un juste milieu entre introspection et impact.

Enfin, le cœur battant du disque, sa partie la plus inspirée, réside dans les titres jazz, soul ou R&B. De l'introductif feel at home au splendide purpose avec Navy Blue, en passant par le très Duval Timothy-esque hopefully, horcrux ou encore don't fix it avec Nick Hakim, c'est ici que l'album prend tout son sens. Moins formaté, plus libre, plus flottant, Loyle Carner ne cherche plus à performer mais simplement à habiter l'espace avec une classe imparable.

hopefully ! est un disque qui se mérite, un slow burner anti-spectaculaire mais sincère et qui malgré ses limites prouve encore une fois que Loyle Carner reste, qu'on le veuille ou non, un des meilleurs rappeurs anglais d'aujourd'hui.