Chronique Album
Date de sortie : 03.07.2025
Label : YEAR0001
Rédigé par
Franck Narquin, le 5 juillet 2025
On les a connus mystérieux, rares et énigmatiques, refusant toute interview et cultivant une distanciation d'apparence hautaine, mais peut-être finalement saine, avec le tourbillon médiatique du music business et des réseaux sociaux. Mais ça, c'était avant. Désormais, le crew bar italia s'impose partout et ne cesse d'occuper le terrain avec ses side-projects, albums solo, concerts à tout va et même un showcase acoustique dans un café parisien à l'occasion de la dernière Fashion Week.
On vous épargnera la genèse du groupe ainsi que l'énumération de ses nombreuses descendances, déjà contées maintes fois dans ces pages, pour nous consacrer pleinement à notre sujet, Shakedown, le nouvel album de Double Virgo, projet de Sam Fenton et Jezmi Tarik Fehmi (les deux tiers de bar italia). On y retrouve certains collaborateurs habituels, Liam Toon à la batterie, Eterna au mixage et un invité de poids pour le mastering en la personne de Denis Blackham, vétéran du son ayant travaillé sur des albums de Kraftwerk, Lou Reed, Jimi Hendrix ou Depeche Mode. Autant dire qu'ils ont troqué leur esthétique bricolo lo-fi pour un rendu bien plus précis et ambitieux et réalisent enfin tout leur potentiel.
Après une poignée d'EPs sortis entre 2020 et 2022, suivis d'une mixtape de vingt minutes (Foolish Narratives), de trente-six démos foutraques regroupées sous le titre Hardrive Heat Seeking et d'une compilation de singles malicieusement nommée Greatest Hits, Double Virgo livrent avec Shakedown ce qui ressemble pour la première fois à un "vrai" album. Douze titres, quarante-deux minutes, une dynamique, une architecture, un souffle. On n'est plus dans l'expérimentation jetée sur bande, mais dans un disque pensé, équilibré et parfaitement réalisé.
Sorti chez YEAR0001, label suédois défricheur (Viagra Boys, Yung Lean), Shakedown conserve la sécheresse du son Double Virgo tout en gagnant en ampleur et en chaleur. Dès bemused, premier single aussi joyeux qu'inattendu avec ses chœurs en "wah oh ah", le duo donne le ton, celui d'un disque plus lumineux où la désinvolture s'appuie sur une rigueur nouvelle. Les refrains sont accrocheurs, les mélodies affirmées et les harmonies assumées. Mais rien n'est linéaire, red card change trois fois de forme en moins de trois minutes trente. alarm bells in central plaza commence folk et finit hymnique. Vis a Vis glisse une simple note de piano entêtante comme pour perturber la surface et coi boi, long morceau final, conclut sur un spleen qui prend son temps.
Ce qui frappe ici, c'est l'équilibre entre ambition et dépouillement. Là où bar italia cultivent parfois une posture arty, Double Virgo se montrent plus direct. Le chant est davantage exposé, flirtant souvent avec la sortie de route, et les émotions sont moins filtrées qu'auparavant. Le duo reste fidèle à ses fondamentaux, voix fragiles, envolées grandiloquentes, guitares anguleuses et production râpeuse, mais il y injecte une maîtrise nouvelle. Le contraste entre l'apparente simplicité du son et la richesse des compositions devient le nerf du disque. La production, signée Fenton et Fehmi eux-mêmes, est sèche mais jamais plate. Elle regorge de ruptures, de micro-effets, de détails glissés comme en douce. Derrière l'allure dégingandée, c'est un savoir-faire affirmé qui s'exprime, celui de musiciens qui savent désormais où ils veulent aller. La dynamique vocale entre les deux, Sam, haut perché et rêveur, Jezmi plus brut et tendu, trouve ici son point d'équilibre. Une tension permanente, entre douceur et rugosité, qui donne à l'album tout son relief.
Plus accessible que leurs précédents travaux, Shakedown n'en est pas moins singulier. Moins ténébreux, plus immédiat, mais non moins retors. Comme Daniel Johnston, Double Virgo bricolent l'air de rien des pop songs parfaites puis s'amusent à les saccager, comme Sonic Youth, ils cachent leur travail derrière la dissonance et la distorsion. L'album a beau déborder d'influences rock 90's et piocher allégrement dans la pop déviante de Jonathan Richman ou le chant théâtral de Robert Smith, toutes ces références sont filtrées par une sensibilité propre, un goût des contrastes et un refus du clinquant et de la facilité.
Avec cet album réussi de bout en bout, Double Virgo sortent du cocon pour livrer une musique plus ouverte mais sans jamais renier leur étrangeté. Ils conservent leurs structures éclatées, leur humour discret et leur attitude de slackers mais s'autorisent plus de souffle et plus de lumière. Le disque surprendra ceux qui les prenaient pour une simple esquisse de bar italia et ravira ceux qui attendaient cette mue, un pas de côté devenu pas en avant. Shakedown s'impose comme un disque joyeusement alambiqué, tendrement dissonant et fièrement singulier.