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TSHA

Sad Girl

TSHA - Sad Girl
Chronique Album
Date de sortie : 27.09.2024
Label : Ninja Tune
2
Rédigé par Franck Narquin, le 23 septembre 2024
Dans une interview de 2023 relayée massivement sur les réseaux sociaux, Tyler, The Creator racontait l'anecdote selon laquelle Jimmy Iovine, richissime homme d'affaires américain et poids lourd de l'industrie musicale depuis cinquante ans, aurait demandé à Pharrell Williams s'il aimait la house music. Pharrell répondant qu'il aimait bien sûr ce genre fut tout de suite coupé par Iovine « Non, Pharrell, la house music, la musique qui peut t'acheter une maison ». Suivant ce conseil avisé, plus proche de l'idéologie de Donald Trump que celle de Steve Albini, Pharell, producteur de génie au sein des Neptunes et leader des mythiques N.E.R.D., se contente désormais de sortir des singles avec en featuring Katy Perry ou Ariana Grande ainsi que des musiques de dessins animés. Trop occupé à rendre Bernard Arnault encore plus riche que le plus riche des mégariches en tant que DC de Louis Vuitton, l'homme de Drop It Like it's Hot
ne signe plus que de ersatz de Happy ou des actes de ventes de jolies maisons. On sait depuis ses premiers singles que TSHA possède un sens inné de la house music ainsi qu'un potentiel de star en devenir avec son gros charisme et son petit minois ainsi que son goût de la pop et ses velléités mainstream. Est-ce qu'avec Sad Girl, la londonienne continue de nous régaler autant que McLovin (ndlr : le personnage de Supergrave, meilleur « Judd Apatow Movie » de tous les temps) ou suit-elle la voie du diable tracée par ce maquereau de Iovine ?

Le premier paragraphe de cette chronique ayant été consacré essentiellement à Jimmy Iovine, surnommé le Keyser Söze du rap US pour son look d'américain moyen détonnant avec sa toute-puissance dans le monde de la musique, la réponse se trouvait bien entendu dans la question. Dans notre cahier secret des artistes à suivre, nous avions marqué sous le nom de TSHA : gros talent, premier album encourageant, capable du meilleur (The Light, du niveau de BICEP) comme du pire (Let You Go, aussi informe que du David « Bogdanoff » Guetta). A moins d'un fulgurant renversement de tendance sur son prochain disque, TSHA risque de rejoindre notre petit livre noir intitulé « Après des débuts prometteurs, ces artistes sont passés du côté obscur » ou en version originale « Play it like Calvin Harris – he created disco, then shitdisco ».

Précisons à toutes fins utiles que ce qui nous gêne tant sur cet album n'est pas son virage grand-public. Au contraire, produire une musique de qualité, audacieuse et novatrice tout en étant conçue pour conquérir les charts s'avère un exercice d'une difficulté redoutable. On applaudit même des deux mains quand Rosalia (Motomami), Charli XCX (Brat) ou encore Jamie xx (avec le tout récent In Waves) réussissent avec brio ce tour de force. Ce qui nous hérisse le poil, nous consterne, nous déçoit et finalement nous attriste à l'écoute de Sad Girl, album dont on attendait tant, est le cynisme et la paresse dont il fait preuve. Déroulant mécaniquement le catalogue des tendances en vogue de la dance pop britannique et internationale, TSHA semble vouloir avant tout livrer une oeuvre en forme de CV et de lettre de motivation à l'attention des majors, capable de ratisser une fan base la plus large possible et devenir une chair à sons TikTok en puissance tout en se contentant de reproduire des recettes déjà entendues ailleurs sans y apporter de vraie touche personnelle.

Sur son premier album, Capricorn Sun, TSHA faisait feu de tout bois en mêlant joyeusement house, UK garage, pop, afro-house et breakbeat et parvenait à créer un pont entre musique électronique pointue et pop mainstream. On avait déjà aperçu sa capacité à basculer vers des produits formatés sentant la guimauve et le produit surgelé avec un titre comme Let You Go en duo avec Diplo. Fort de ses quarante millions d'écoutes sur Spotify, le morceau offrait déjà à la jeune anglaise de quoi se construire une piscine et suivant cette logique le principal objectif de Sad Girl semble être de financer la maison allant avec. TSHA ayant du savoir-faire et un indéniable talent, elle réussit par moment à déguiser cette sombre affaire en une œuvre présentable. La tendance actuelle de la musique électronique anglaise marquant un retour de la musique de club, efficace, dansante et poppy lui offre une couverture idéale. Il ne lui suffit plus qu'à soupoudrer le tout d'une petite saveur hype en piochant dans tous les revivals à la mode, un soupçon de drum and bass sur Can't Dance, Drive et Fight, un morceau d'ouverture en spoken word sur nappe électronique à la manière de Barry Can't Swim et Headache, une grosse rasade de house 90's et de UK Garage sur Sweet Devotion et Take, qui forment avecCan't Dance les trois seuls titres réellement convaincants de cet album, sans oublier une pincée de RnB early-2000 sur le court In Bloom avant d'apposer la cerise sur le gâteau avec ce triste Girls qui (b)rate complétement sa cible.

L'impression dominante est celle d'un rendez-vous manqué comme si arrivant souriants, plein d'espoir et un bouquet de fleur à la main, nous nous étions pris un violent coup de tête au thorax de la part de la musicienne. « Oh, non, pas ça TSHA, pas aujourd'hui, pas maintenant, pas avant tout le chemin qu'il nous restait à faire ! ». Pourquoi nous avoir fait saigner des oreilles avec Green, caler d'entrée sur l'autoroute trop balisé de Drive avant de définitivement rendre les armes au son de Fight, morceau qui aboie mais ne mord jamais ? Et si comme le disait Jean Reno, trop de calculs tuent le calcul ? (ndlr : c'était ça ou « TSHA, les calculs ils sont pas bons »). N'aurait-il pas été plus opportun de confirmer les espoirs nés après Capricorn Sun grâce à un second LP plus ambitieux artistiquement venant assoir incontestablement TSHA parmi les acteurs majeurs de la scène électronique UK pour ensuite franchir le Rubicon dance-pop sur un troisième album que l'expérience acquise aurait pu rendre moins lourdingue et permettre de s'offrir des featurings plus prestigieux.

Pas encore assez connue du grand-public et sans invité de marque pour doper les streams tout en proposant un résultat trop lisse et trop basique pour les fans d'électro, TSHA ne risque-t-elle pas de stagner quelques tours sur la case prison alors qu'elle prévoyait d'encaisser la cagnotte du Parc Gratuit ? Et si sortir un album de supermarché ne garantissait pas que celui-ci allait super marcher ? On attendait de TSHA un disque bien plus perché que ce Sad Girl dont on ne peut nier qu'il essaie de coller à son temps (plus de dance) tout en ayant le sentiment qu'il intervient à contre-temps dans le développement de l'artiste (dont l'œuvre n'est pas encore assez dense).

TSHA, mon petit chat, ne nous quittons pas comme ça. Nous avons beau bouder ton nouvel album en vieux matous mal léchés que nous sommes, nous t'aimons toujours et refusons que notre histoire commune se termine ainsi. Nous savons que tu as ce je n'sais quoi que d'autres n'ont pas, cette culture de ninjas qui fait passer les tunes avant les thunes. On attend déjà ton troisième album, celui qui nous fera oublier Sad Girl et qui te fera passer du statut de Good Girl Gone Sad à celui nettement plus enviable de Good Girl Gone Bad.
tracklisting
    01. Sad Girl (feat. Dan Whitlam)
  • 02. Girls (feat. Rose Gray)
  • 03. In The Night
  • 04. Can't Dance (feat. Master Peace)
  • 05. Green 04:05
  • 06. Sweet Devotion (feat. Caroline Byrne)
  • 07. Lonely Girl
  • 08. In Bloom (feat. Abi Flynn)
  • 09. Azaleas (feat. Ingrid Witt)
  • 10. Take
  • 11. Drive (feat. Ingrid Witt)
  • 12. Fight
titres conseillés
    Sweet Devotion - Take - Can't Dance
notes des lecteurs