aya

Mesdames et messieurs, ceci est un message d'alerte. Quelque chose est entré dans le système. Un corps étranger, ni tout à fait humain ni tout à fait machine. Elle s'appelle aya, et elle est déjà à l'intérieur. C'est un parasite magnifique, une alien électro venue hacker nos nerfs, puisant sa matière première dans ce que la techno ne digère pas. En 2021, l'anglaise lâchait im hole, sorte d'entité bionique rampante dans le paysage électronique, glitchée, sexuelle et inclassable. Trois ans plus tard, la métamorphose est totale. Avec son nouvel album hexed!, elle ne cherche plus à se glisser dans les lézardes du club : elle vient en détruire les fondations à coups de sonorités extraterrestres et de vocaux possédés. Dix titres, trente-quatre minutes, cinq idées à la seconde. Faites le calcul, il est trop tard. Le grand remplacement du dancefloor, c'est maintenant.

Après le raz de marée BRAT l'an passé, cet album s'impose comme un nouveau sommet de la musique de club actuelle. Deux façons opposées mais complémentaires de repenser le dancefloor — l'une par l'affirmation pop, l'autre par la désintégration noise. Charli XCX bombait le torse alors qu'aya expose les entrailles mais on retrouve chez toutes deux le même geste, à savoir prendre les codes rave, les détourner, et y injecter une subjectivité violente, féminine et moderne. hexed! est un disque punk dans l'âme, électronique dans le corps, sorcier dans l'intention. Une techno cabossée qui épouse le spoken word, le trip-hop malade, l'electroclash sous acide, la noise incantatoire. Squarepusher s'y réveille au fond d'un cauchemar de SOPHIE, pendant qu'Arca chuchote à l'oreille de Mica Levi dans une salle d'interrogatoire éclairée au néon vert. Ça n'a pas de forme fixe et c'est peut-être ce qui en fait une œuvre unique.

L'ouverture, I am the pipe I hit myself with, laisse planer une question (« Where to begin ? Where were we before ? ») comme si le disque refusait toute chronologie. Puis tout explose. Sur off to the ESSO, la machine est lancée, le piège se referme. Beat assassin, voix mutante, tension maximale : on ne revient pas vivant de ce dancefloor-là. C'est aussi dans the names of Faggot Chav boys qu'aya atteint une intensité inédite — entre effronterie queer, pulsions robotiques et sidération sonore. Chaque morceau est un changement d'état. Heat Death cogne comme un uppercut de béton, pendant que peach caresse pour mieux mordre : intro veloutée, rave indus à la sortie. hexed! (le morceau) se replie dans une ambient anxieuse, quelque part entre bande-son de cauchemar post-punk et désintégration mentale façon Mica Levi. droplets étonne par ses éclats mélodiques, voix cristalline sur rythmique décomposée, trip-hop pour corps désynchronisés. navel gazer rugit, comme si Aphex Twin s'était fait greffer un mégaphone riot grrrl. The Petard is my Hoister replonge dans l'obscurité, avant l'explosion finale de Time at the Bar, hurlement ultime de rave cramée, du Mandy, Indiana qui aurait copulé avec Atari Teenage Riot.

Tout au long de hexed!, aya ne propose pas un style. Elle propose un corps sonore — douloureux, rapiécé, hurlant. Un corps queer qui n'en peut plus de se contenir. Elle convoque Arca, SOPHIE, Autechre, Tirzah, Klein, Loraine James... mais aussi l'Angleterre ouvrière, cabossée, laide et sublime. Le glitch ici n'est pas une esthétique : c'est un symptôme. Ce disque brûle, sidère, blesse mais il s'impose comme une évidence : hexed! n'est pas seulement l'un des plus grands albums électroniques britanniques de l'année, c'est une œuvre manifeste. Une version déchirée, hallucinée, post-club de BRAT, la fusion rêvée entre Aphex Twin et Charli XCX : un cri dans la machine, un corps dans le câble, un exorcisme au BPM variable.

Alea jacta hexed!, le sort est jeté, vous êtes déjà sous son emprise.