Mark Pritchard & Thom Yorke

On peut reprocher beaucoup de choses à Thom Yorke, mais pas le fait de s'endormir sur ses lauriers. Alors qu'il pourrait sillonner les routes avec un show « Thom Yorke plays Radiohead » histoire de relever les compteurs, il multiplie les projets divers. C'est ainsi qu'après les albums de The Smile, voici le projet né durant la pandémie covidienne et résultant de sa collaboration avec Mark Pritchard, ci-devant producteur féru d'électronique.

Attention, on est ici, si ce n'est devant un grower, a minima devant un album qui nécessite plusieurs écoutes pour être assimilé. Parce que les deux acolytes n'ont pas fait semblant : douze titres, plus d'une heure de musique, on est sur quelque chose de dense, voire de très dense. Evidemment, aucun Creep ou No Surprises à l'horizon, très peu de complaintes typiquement Yorkiennes, c'est avant tout un disque d'instrumentistes-bidouilleurs, et pas de chanteur.

L'album se décompose finalement en plusieurs catégories de titres : d'abord les deux longs formats, A Fake In A Faker's World et The White Cliffs, qui franchissent tous les deux les huit minutes, et qui prennent le temps d'installer leurs ambiances, très contemplatives, et assez splendide pour le second titre, et qui sont, cela va sans dire, superbement produites tout en ne lassant pas l'auditeur. Si on était taquin, on dirait que c'est Treefingers en réussi. Mais on ne sera pas taquin.
On trouve ensuite les morceaux qu'on pourrait qualifier de difficiles à appréhender, même après plusieurs écoutes, car dépourvus de mélodie, fuyants, tournant parfois à l'exercice de style. Le genre de titres où on se demande un peu ce que le duo a voulu faire ou montrer. Peuvent être rangées ici Ice Shelf, Tall Tales (qui a des allures de Revolution 9 2.0) et Wandering Genie qui, et c'est dommage, constitue la clôture de l'album.

Tall Tales présente également un OVNI total, en l'occurrence Happy Days, qui donne l'impression d'une marche militaire passée au tamis de The King Of Limbs. Irritant ou génial, chacun se fera son opinion. Citons ensuite deux titres très Kraftwerkiens dans leur approche, à savoir Back In The Game (choisi en premier single) et Gangsters. Deux morceaux très réussis et faisant presque office de tubes – enfin tout est relatif bien sûr – mais qui en tout cas offrent des pauses récréatives bienvenues. Seul morceau finalement un peu quelconque de l'album, This Conversation Is Missing Your Voice – excellent choix de titre en revanche ! – sonne assez passe-partout et, d'un point de vue production pure, est assez en-deçà du reste de l'album.
Et puis il y a les très très belles choses, qu'on aurait pu (aimé ?) voir sur un album de Radiohead. C'est ainsi que Bugging Out Again draine un magnifique spleen. Et que dire de The Spirit, sur laquelle la voix de Thom Yorke apparaît naturelle, ce qui surprend car elle est davantage utilisée comme un instrument à part entière tout au long de l'album ? Quant à The Men Who Dance In Stag's Heads, elle monte tout doucement en puissance pour s'achever sur des voix qui s'entremêlent, c'est tout simplement très beau.

Mark Pritchard et Thom Yorke se sont certainement bien amusés à réaliser cet album, et il faut reconnaître que certains passages sont excellents. Peut-être aurait-il fallu élaguer un peu par-ci par-là, car il aurait été possible d'avoir quarante ou quarante-cinq minutes de très bonne musique électronique, et cela aurait évité des moments où l'auditeur pique un peu du nez. Reste à savoir si ce projet restera un one-shot ou s'il débouchera sur une collaboration sur le long terme.