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Midem - Lundi 28 janvier 2013

Dossier réalisé par Olivier le 15 février 2013

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Il pleut sur la Côte d’Azur et Cannes, que Lord Brougham and Vaux, un des premiers à populariser l'endroit en 1834, avait qualifié comme une annexe de l'Eden. Et puis, Gucci, Vuitton et Rolex sont arrivés...

À 10h pétantes, la conférence de presse du Record Store Day annonce les prochaines dates de son action, mondialement suivie. Pour la France, le 19 avril 2013 pour une veillée d'armes faite d'émissions radio et TV annonçant l'événement et, le 20 avril 2013 pour le D Day. Pour les Etats-Unis, ce sera le lendemain.
Avec 1600 disquaires indépendants inscrits, deux millions de citoyens participants de par le monde, et une troisième édition du Disquaire Day pour la France, l'année 2013 est placée sous l'égide du groupe Blur qui offrira un inédit pour l'occasion. En avant première, quelques artistes et productions made in France qui participeront à l'édition 2013 : Benjamin Biolay, Eiffel, IAM, Jean Louis Murat, Lescop...

À 10h, également, débute la journée marathon de l'auditorium Debussy au Palais des Festivals où Nokia, Accenture, American Express (proposant une offre de places de concerts en avant-première à ses membres) et la Ministre de l'économie numérique, Fleure Pellerin, débattront de l'avenir du secteur musical et de ses transversales numériques ; le futur de la musique sera connecté... ou ne le sera pas !

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Avec un business plan de plus en plus voué aux entreprises du Net, le Midem accueille nombre de jeunes sociétés innovantes. Le Midemlab est leur pépinière. T’écoutes Quoi ? a l'ambition de proposer une autre vision des rencontres, celles qui sont basées sur nos goûts et affinités musicaux respectifs. Fonctionnant comme un site de rencontre mais aussi de partage culturel qui n'afficherait que des chansons (et un visuel) pour décrire ses inscrits, T’écoutes Quoi ? repère le lieu géographique où l'on se situe et nous met en relation selon ses styles musicaux du moment et sa localisation. Avec deux-mille membres au compteur, T’écoutes Quoi ? affiche une volonté de mettre en place un modèle économique alternatif et différent des sites de rencontre habituels, ce qui est assez rare pour être souligné.
Sur le stand Snowite, les discussions portent sur les plates-formes de téléchargement et streaming en marque blanche. Typique du nouveau marché qui s'ouvre à nous depuis dix ans, Snowite offre à ses clients la prestation technique et des contenus leur permettant de mettre en place des opérations ponctuelles ou de services à plus long terme. Travaillant en étroite collaboration avec les majors, ils disposent actuellement de plusieurs millions de titres parmi les plus demandés. Ils assurent la médiation entre les maisons de disques et éditeurs de sites Internet musicaux à travers tout type de plate-forme : Web, mobile, tablette, réseau social, serveur vocal et IPTV. Des modèles de services qui, il y a peu encore, étaient qualifiés d'agréments et qui, au fil des ans, deviennent cardinaux, dominants et décisifs pour l'avenir du secteur.

Le disque étant, pour quelques années encore, espérons-le, la raison d'être de ce salon, on trouve également au hasard des couloirs, des sociétés plus traditionnelles et éclectiques qui méritent le détour.
Avec vinylrecorder, une entreprise allemande propose une drôle de machine semblant tout droit sortie du film Metropolis ! Branchée à un lecteur CD ou à un ampli, elle permet de graver ses propres disques vinyles à la demande, ces micro-sillons qui excitent encore des millions d'audiophiles exigeants et de DJ nostalgiques. La gravure est si parfaite qu'une cellule reliée à une platine lit, en direct, le travail réalisé ! En 33, 45 ou même 78 tours, les DJ pros ou en herbe pourront, dorénavant, coucher tous leurs CD sur un bon vieux vinyle (consommables fournis) qui craque, pour un prix très abordable. Bien sûr, il n'est pas de disques, pas d'artistes ou de créations sans droits d'auteur. La SACEM (plus vieille société d'auteurs au monde), SCPP ou SPEDIDAM, organismes liés aux rémunérations des ayants droits, se partagent les stands, parmi les plus imposants. Après tout, il n'y a jamais eu autant de musiciens, de groupes et d'auditeurs potentiels avec l'avènement du numérique. Et donc, une manne financière de nouvelle génération qu'il s'agit de maîtriser et de contrôler avant qu'elle ne dérive sur les eaux tumultueuses et parfois troubles du réseau mondial.
Et ce ne sont pas les labels, également représentés, entre autres sous la bannière de la SPPF (Société Civile des Producteurs de Phonogrammes en France) ou des pays comme le Canada, l'Espagne, la Thaïlande ou la Corée qui ont construit de véritables open space avec bar et hôtesses à disposition pour vendre leurs artistes nationaux qui diront le contraire. Sans la Musique, la vie serait une erreur disait Nietzsche...

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Une citation que notre interviewée du soir applique tous les jours au cours de sa mission. Comme dans tout festival, il existe une personne en charge de la programmation musicale. Delphine Grospiron a le délicat mais si plaisant travail d'organiser la feuille de route du festival chez Reed Midem. Après des passages chez Nous Productions et Jazz à La Villette, Delphine, encore très jeune mais déjà aguerrie aux marchés de l'industrie musicale, concocte les soirées concerts du Midem depuis 2012.
Dans la loge qu'occuperont Archive quelques heures plus tard, elle nous raconte, les yeux brillants, comment elle en est arrivée là. Initiée sur deux autres festivals parisiens, Jazz à la Villette et Days Off , elle reçoit, en 2011, un coup de fil du nouveau directeur lui demandant de le rejoindre pour l'aider à la programmation des artistes au Midem. Aucune hésitation ! L'enjeu en vaut la chandelle. À cheval sur la programmation et la production chez Nous Productions et en charge des groupes internationaux comme des soirées Custom au Point Ephémère et au Nouveau Casino, sa mission d'alors consistait à faire découvrir trois nouveaux groupes par mois, c'est là que commence sa formation à la programmation.
Avec ses collaborateurs de Reed Midem, elle remet le festival à plat depuis deux ans et lance le Midem Off avec ses concerts découvertes dans les bars et cafés de Cannes. Beaucoup de travail mais aussi de satisfecit. Depuis quarante-sept ans maintenant que le Midem existe, il y a toujours eu des concerts. Et de grands artistes se sont succédé à Cannes. Mais il fallait replacer le live au centre de l'événement : « Nous avons rendu au live la place qu'il devait avoir dans ce salon et rapproché le marché des artistes. Avec la structure Magic Mirrors que les Parisiens connaissent pour Chorus, par exemple, nous sommes dans un lieu de plus petite jauge, mais aussi plus intimiste et donc plus proche des artistes ».
Si les artistes programmés sont tous en promotion et souvent sous le coup d'une sortie d'album ou d'une actualité récente, leurs cachets n'en sont pas dévalués pas pour autant ! L'inflation de ces derniers étant inversement proportionnelle à la vente de disques (et pour cause), Delphine craint, qu'à terme, se pose le problème du financement des artistes live, ce domaine prenant de plus en plus de place dans cette économie. Il y a un risque que les autres pays Européens comme la Pologne ou la Belgique, qui arrivent à mettre sur la table des cachets très importants pour attirer les groupes jouent en la défaveur de plus petits festivals comme celui du Midem. Même si ce Festival n'a pas pour vocation de concurrencer Rock en Seine ou les Vieille Charrues, il sera sans doute nécessaire de réfléchir à un autre modèle économique pour les années à venir, tant les sources de revenus sont ventilées de nos jours.
« Nous restons un événement professionnel et, à ce titre, un groupe comme C2C qui n'a plus rien à prouver en live vient surtout ici pour s'ouvrir au business international à un moment de sa carrière où ils peut s'exporter. Il en va de même pour la K Pop et Drunken Tiger qui surfent sur l'élan de Psy et qui, même s'ils sont des stars incontournables dans leur pays, ont besoin de se faire connaître aux Etats-Unis, en Angleterre ou auprès des quatre-vint pays représentés au Midem. »
Très fière d'avoir pu faire venir un groupe comme Madness – de grands messieurs ! – la programmatrice du Midem est comblée par l'accueil réservé aux jeunes Anglais de Yes Sir Boss, acclamés dans le Off comme sur la scène du Magic Mirrors le premier jour du Festival. Pour 2014, Delphine Grospiron nous confie un petit scoop en quittant la loge pour une nouvelle soirée de travail et de plaisir : Le Brésil sera le pays à l'honneur.

Le soir venu, place aux derniers concerts du festival. Mari et femme dans la vie et groupe de rock à la scène, Endah N Rhesa, originaires d'Indonésie qui, avec la Malaisie, organisait son propre mini-festival au Palais, la veille, seront les deux continents très chouchoutés pour ce Midem 2013. Vainqueur du Play Midem Live, le duo se compose d'une guitare acoustique, d'une basse et de chants provenant de la voix sèche et presque masculine d'Endah. En 2009 le couple sort son premier album, Nowhere To Go. Le groupe écrit des textes racontant des histoires sur la vie, l'amour et l'amitié. L'édition indonésienne du magazine Rolling Stone ira jusqu'à leur décerner le prix « Rookie of The Year 2010 ». C'est dans des sonorités apaisantes et parfois exotiques que démarre cette dernière soirée du Festival Midem où quatre groupes vont se succéder jusqu'à très tard dans la nuit.

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Avec une musique aux contre-mesures parfois tellement difficiles à déchiffrer qu'on imagine, à tort, un manque de répétitions ou de travail du groupe et des textes torturés jusqu'à la politisation, Balthazar s'est imposé comme le phénomène Belge de 2012. La complicité entre Maarten (guitare et chant) et Jinte (guitare et chant) remonte à loin. Adolescents, ils faisaient la manche, en compétition l'un avec l'autre. Ensemble, ils ont étudié la production musicale et découvert la beauté et la puissance des arrangements de cordes et de cuivres qui propulsent leurs ritournelles sur les ondes de Radio Nova, Ouï FM ou Le Mouv depuis plusieurs mois maintenant. Indés, ils le sont jusqu'au bout des ongles, au même titre que leurs grands frères belges, dEUS, dont ils ont assuré nombre de premières parties. À écouter la maturité de titres stridents comme The Oldest Of Sisters et The Man Who Owns The Place, on a du mal à se faire à l'idée qu'aucun d'eux n'a encore trente ans. L'angoisse joyeuse dégagée par ce groupe à la production et aux sonorités épileptiques émeut les âmes fatiguées des festivaliers encore en piste pour une dernière journée de rendez-vous et de conférences le lendemain matin.

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« J'avais les meilleures raisons de ne pas me lancer dans la musique ». C'est sur ce constat que le Midem accueille celle qui fait la une des magazines féminins et, dans une moindre mesure, celles de la presse musicale depuis son renversement d'opinion. Double, fille de, Lou Doillon débarque dans l'industrie musicale avec un lourd handicap et pas mal de privilèges. Après avoir embrassé tous les métiers qu'elle ne désirait pas exercer (actrice, mannequin...) la voici chanteuse française en anglais d'une pop légère et sombre, comme l'ont toujours appréciée les membres de sa famille.
Il faudra un authentique piano à queue monté sur la scène, des musiciens laissés dans l'ombre et beaucoup d'inconditionnels généralement venus sur invitations données dans la région pour se convaincre que l'on assiste là au troisième concert de cette soirée, entre Balthazar et Archive... Tirer sur une ambulance n'est sûrement pas digne, mais avec un Philippe Zdar (ndlr : moitié de Cassius) et un Etienne Daho aux manettes, on pouvait s'attendre à une entrée plus remarquable de la part de l'autre enfant rebelle de Jane Birkin. Avec une prestance que même le Prozac ne parviendrait à enflammer, le fond de commerce de Lou Doillon échappe aux qualificatifs et à une bonne partie de l'assistance, pourtant plus nombreuse que les soirs précédents, qui voit bien, et pour cause, l'intérêt financier d'un tel lancement populaire, mais cherche, en vain, la voix, l'originalité et le but du projet...

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Impatients. Le mot est faible, après les murmures chantés qui viennent de précéder ; le public du Magic Mirrors admire les roadies redoubler d'efforts et de subtilités pour installer, sur une scène si exigu, tout un orchestre, ou presque ! Sept en configuration de base et jusqu'à neuf avec Maria Q et la nouvelle venue sur l'album With You Until You're Dead, Holly Martin, Archive vaut son pesant de cacahuètes en termes de présence humaine et d'installation matérielle ! Et c'est avec un plaisir non dissimulé que l'assistance va découvrir que ces deux chanteuses d'Archive, sûrement pour la première fois en France, ont fait le déplacement jusqu'à Cannes.
Agglutinés contre les barrières qui les séparent de la scène depuis de longues heures afin de ne rien rater de ce collectif anglais dont le look et la prestance renvoient aux très classieux Bad Seeds de Nick Cave, les aficionados sont à quelques centimètres de la front line qui voit les claviers des deux piliers de la création, Darius Keeler et Danny Grifith encadrer Steve (guitare), Pollard (guitare et chant), David (guitare, percussions et chant), Jonathan (basse) et Smiley (batterie). Archive, souvent qualifiés, à tort, de groupe de rock alternatif, officie en altitude. Évoluant à une hauteur où les UV se font plus dangereux et où l'on ne rencontre plus que la musique stellaire, celle initiée par des formations telles que Pink Floyd ou, plus récemment, repensée, remâchée et recrachée avec une bonne dose de trip-hop par Massive Attack dans sa meilleure période, Archive attirent ou rebutent mais, en aucun cas ne laissent indifférent.
Progressifs et progressistes, Archive s'imposent en jouant quasi constamment avec un coup d'avance sur l'échiquier du rock planant. Avec une setlist – à l'instar des Madness, deux jours auparavant – surprenante car évitant – hormis un You Make Me Feel antédiluvien et de circonstance puisque porté par la voix imposante de Maria Q – les titres les plus attendus (Again, Finding It So Hard...) Archive font la part belle à leur dernier disque en date. Le titre Violently divulgue la voix et la charmante plastique de la nouvelle promue du collectif, Holly Martin, Fuck You ravive des souvenirs et la hargne de l'album Noise sous la houlette de l'attrayant David Penn, et le magnifique et engagé Danger Visit, issu du très louable Controlling Crowds, ferme la marche et le set en mettant en avant le meilleur de ce que ce groupe propose : une introduction synthétique aux sonorités quasi religieuses portée par la voix du céleste Pollard Berrier – autre membre arrivé en cours d'aventure de la mystique Berlin – un refrain répétitif ordonnant, martialement, « Feel, Trust, Obey » et une seconde partie de titre s'envolant soudainement dans les watts, le tempo et l'orchestration pour finir avec trois guitares, deux claviers, une batterie, les chœurs et le lead vocal dans une apothéose sans fin où les lumières stroboscopiques répondent en rythme au poing rageur de Darius. Un Darius marquant la mesure à ses comparses en même temps que Steve et Pollard exécutent un jeu de jambes à la limite de la transe du musicien tombé en catharsis et qui ne peut se résoudre à jouer la dernière mesure du titre devant un public qui, depuis longtemps, à quitté la terre pour des contrées reculées où l'espace et le temps se distordent autorisant le passé à être présent et le présent à devenir futur.
Flirtant avec un lancement de la Nasa, quand la fusée Archive s'ébranle, c'est pour partir loin, très loin... Mais, comme tout engin propulsé, il est difficile à rattraper. Les rappels et sifflets du public n'y parviendront pas. Une fois achevée, la combustion ne peut être rallumée et cette fin laisse un goût amer aux inconditionnels, venus en nombre. En cela, les Madness sortent encore une fois vainqueurs du prix le générosité artistique sur ces trois jours de concerts.

Ébahi, presque choqué par la prestation d'Archive, Paul Zilk, grand patron de Reed Midem venu spécialement des Etats-Unis, se tient, muet, aux cotés de Delphine Grospiron dans l'attente, lui aussi, d'un éventuel rappel qui ne viendra pas. « J'ai toujours été surpris par l'énorme succès qu'avaient Archive dans ce pays par rapport à l'Angleterre ! Pour moi, ils sont pourtant au même niveau que Radiohead ».
À 53 ans, Paul Zilk, qui connaît encore la musique, est conquis par le festival que sa société a proposé cette année et son satisfecit illumine le regard de sa collaboratrice de vingt-cinq ans sa cadette, partageant, avec son patron et l'assistance de ces trois soirs, une seule volonté : Que, comme le déclamait Charles Baudelaire, la musique continue encore longtemps à creuser le ciel !