Au deuxième jour, à peu près tout le monde a découvert que les cartons porte-bières dans lesquels on vous sert vos six gobelets en plastique faisaient d'excellents frisbees rectangulaires. Ils volent haut en tournant sur eux-mêmes et peuvent vous frôler le crâne à une vitesse non négligeable. De
Babylon Circus (le chanteur hilare : « Y'a un concours de frisbee là où quoi? ») à Thunderheist (le batteur furibard : « putain, arrêtez de balancer ces trucs sur scène, c'est dangereux »), on s'amuse à Dour.
On commence la journée tranquillement avec
Sedan Vault, dans la veine indie plutôt couillue; le chanteur se débrouille bien, avec un tout petit quelque chose de Bloc Party en lui. Ensuite,
Red Chord, de la scène hardcore de Boston, balance du gros lourd. En début d'après-midi, c'est un peu tôt pour ce genre de hurlements métalleux, non?
Milk, de l'électro-rock belge, pour digérer tout ça : c'est rigolo, ces danseuses masquées à oreilles de chat. Le leader charismatique est une leadeuse, qui sait bien se mettre en scène, mais manque un peu de voix pour élever les choses. Entre la robe verte à paillette et le serre-tête à cornes, plus les roses enroulées au micro, ça sonne un peu foutraque, forcément.
Comme Sound Of Violence est un magazine qui s'intéresse aux Anglais, votre serviteur fait des efforts pour s'intéresser à la pop de
Sky Larkin. Il faut reconnaître que la chanteuse se débrouille bien, mais ce n'est pas Beth Ditto non plus, et puis le reste n'est qu'indie convenu, plat et inintéressant. Elle accroche ses lunettes noires au manche de sa guitare pour faire rock, et là, elle casse une corde. Disons que c'est mignon.
Des américanos-polonais ensuite :
What's up, plutôt une bonne découverte, avec un son indus et des rythmes puissants qui tiennent en haleine. Malgré quelques interruptions dues à des problèmes de balances, le groupe a le temps de servir quelques très beaux titres, aux arpèges simples mais dont l'enchaînement est convainquant.
Un peu de rock en français avec
Starving, bien entraînants; la chanteuse donne aux refrains une puissance sensuelle. Le groupe semble fait pour le live et s'en donne à coeur joie avec leur look très années 1980. Les paroles néanmoins sont agaçantes, rimes foireuses et messages profonds (le fascisme, c'est pas bien).
Ah, du temps de Noir Désir, au moins, le rock francophone était poétique... Tiens, en parlant de Noir Désir, voilà
Serge Teyssot-Gay (guitariste du groupe donc) avec
Zone Libre Vs Casey. Le projet, qui mélange rap et rock, pâtit de l'absence de Hamé, compère de Casey au sein de La Rumeur; il est remplacé par B. James, dont la diction trop agressive et la voix mal posée fatiguent. Mais on se délecte de retrouver le son spécifique de Teyssot-Gay, cette manière à lui de faire pleurer les aigus, et l'on se rappelle brusquement tout ce que Noir Désir doit au rap.
Autre ambiance chez les filles d'
Au Revoir Simone, un trio débarqué de Brooklyn comme son nom ne l'indique pas. Leur électro-pop répétitive et calme est reposante à défaut d'être enthousiasmante. Chacune devant un clavier, elles chantent avec leur filet de voix et leurs robes colorées. Mais coup de théâtre: pour un titre, l'une d'elle sort une guitare, ça va rocker ! Sauf qu'au bout de quelques minutes, elle se rappelle qu'elle n'a pas retendu ses cordes après le voyage en avion (« désolée, on est un groupe très clavier, c'est notre première guitare ! »). On les préfère finalement dans l'ambiant un peu éthérée.
Deerhoof, préférés à
Tokyo Ska Paradise Orchestra qui jouent au même moment sur une autre scène en plein air (mais dont la prestation en costumes bleu azur fût paraît-il plus qu'honorable) font un concert impeccable, comme à leur habitude. Leurs morceaux très pop se prêtent bien au mélange d'anglais et de japonais dont sont faits leurs textes; toujours brefs mais parfaitement enchaînés, les chansons font bouger le chapiteau.
Does It Offend You, Yeah?, le groupe anglais au nom le moins commode du moment, fait un bon live plein de bons sentiments. Les bons sentiments, c'est énervant. Allons plutôt voir du côté de
Thunderheist, au son très marqué black de Brooklyn, du hip-hop un peu rock idéal pour danser; pas de regrets pour DIOYY.
Babylon Circus et leur zouk-musette joyeux et bon enfant mettent une grosse ambiance. « Avis de tempête, je vois le monde à l'envers », disent les paroles. Il y a un avis de tempête sur Dour aussi, le vent se lève et l'orage gronde.
C'est l'ambiance idéale pour
Killing Joke, dont le son post-punk se marie bien avec l'orage qui s'apprête à nous tomber dessus. Mais la grande scène semble justement un peu grande pour eux, le public n'est guère au rendez-vous, et c'est bien dommage car Jaz Coleman et ses amis méritent d'être écoutés. On retrouve leurs tubes en même temps que leurs obsessions (une chanson est ainsi dédicacée à Kurt Cobain). Coleman, en gourou allumé, délivre ses aphorismes avant chaque titre (« The economy is gonna get worse, 'cause money doesn't exist ») et devient parfois si incantatoire qu'il semble conduire une messe. L'interview qui suivra leur show lui donne l'occasion de faire le point sur Killing Joke et ses théories diverses.
On termine la journée en beauté avec
Animal Collective. Les effets visuels, loin d'être gratuits comme c'est trop souvent le cas, sont extrêmement recherchés et bien pensés, et donnent à leur concert une force d'expérience esthétique. Leur musique enveloppante et prenante reste comme l'un des meilleurs moments du festival.