Qu'est-ce que le jazz ? Non, je plaisante, ça vous le savez déjà, alors bienvenue dans ce nouvel épisode du festival Jazz à la Villette, exit l'afrobeat du Ezra Collective, ce soir on s'aventure dans la soul langoureuse et le funk old school, alors donnez-moi un tonnerre d'applaudissements pour le petit prince de la soul UK, toujours fauché, parfois rappé, mais jamais séché, the petit bonhomme from London, Samm Henshaw !

Une entrée qui se fera dans les faits plus en douceur, alors que s'avance, sur les notes de piano introduisant
Thoughts And Prayers, Iniabasi Samuel Henshaw, jeune chanteur soul venant de Londres, et l'une des têtes de pont du renouveau du genre outre-Manche. Accompagné d'un backing band dont on reconnaît quelques têtes déjà croisées en 2019, lors d'un concert découverte aux Solidays devant une quinzaine de personnes, la faute à Angèle sur la scène principale, et au cours duquel certaines chansons furent reprises deux fois par manque de répertoire, Samm vient ce soir nous présenter son premier album sorti l'année dernière,
Untidy Soul. Le début du concert fait étalage de la diversité qui caractérise la musique de Samm Henshaw, une prose légèrement rappée débouchant sur des envolées gospel dans
Thoughts and Prayers, How Does It Feel? en pareil mais plus bouncy, basse trampoline et piano ragtime pour taper le beat,
It Won't Change donne carrément dans le funky et les premiers déhanchés se font sentir dans une fosse venue d'abord et avant tout pour Lee Fields, mais qui ne tarde pas à découvrir que la première partie qui lui fait face n'a de première partie que son horaire de passage.
Chicken Wings conclut la montée hip-hopesque du set, de la soul dopée au gospel et aux beats de la rue, alors que l'heure et la chaleur nous indiquent qu'il est temps de trouver quelqu'un pour danser un slow ou deux. De
Take Time à
Loved By You, l'heure est à l'amour langoureux, les chœurs féminins enregistrés nous reviennent de chaque côté de la scène pour une expérience 3D immersive optimale, le son de la Halle étant comme à l'accoutumée absolument parfait. Passage au piano pour Samm en conclusion de
Loved By You, et un public néophyte qui se prend au jeu des ouh ouh ouh que le soulman ne peut s'empêcher de placer toutes les deux chansons. Un public déjà conquis qui va maintenant pouvoir découvrir la face la plus laid back du chanteur le plus nonchalant de la décennie :
Still Broke et
Broke s'enchaînent à contre-sens, et nous voilà partis pour une minute de ooohhh ooohhh a capella, le mec est tellement détaché que c'est à nous de chanter à la place du disque, pas étonnant qu'il ait jamais une thune. Pas d'argent mais de la joie, vivant d'amour et d'eau fraîche,
Joy vient conclure un concert enjôleur, maîtrisé, au répertoire nettement plus garni et extensif qu'il y a quatre ans, peignant dans la musique l'étendue du chemin parcouru par Samm Henshaw pendant tout ce temps. Attendez, comment ça c'est la fin ? C'est une blague ? Et
Church bande d'escrocs !? Nan mais une autre, eh oh !
Et oui, c'était évidemment une blague, le public l'a demandée et l'aura eue,
Church sera jouée ce soir une fois mais pas deux, le moment parfait pour taper dans les mains, sauter dans les airs, et par un malencontreux hasard mettre un coup de hanche à son voisin. Voisin qui n'était visiblement pas venu pour ça, et ce sera le seul bémol du soir : Samm Henshaw n'est pas la tête d'affiche, une vérité coupant l'apothéose finale dans son élan, la faute aux snobinards pas prêts à remuer quand le moment l'impose, autant dire que l'on attend un retour de Samm à Paris avec plus d'impatience que le prochain album de beabadoobee, et pour moi ça veut dire beaucoup.

Mais puisque le public a payé sa place pour
Lee Fields et non Samm (j'ai vérifié, et apparemment même les 25-30 ans présents en nombre étaient bien là pour lui), il est temps de vous introduire à celui que l'on surnomme à l'occasion le Little James Brown. Et c'est son backing band qui s'en chargera après quelques minutes de funk instrumental boosté à la trompette et au saxophone, une introduction que l'on ne regrette pas quand arrivent les premiers cris James Brownesques de Lee Fields dans son somptueux costume de scène rouge à paillettes. De la soul à l'ancienne, du funk à l'ancienne, du blues à l'ancienne, tout y passe dans le sillage d'un Lee Fields étonnamment fringant pour ses soixante-douze ans, qui plaisante allègrement avec le public entre chaque chanson, comme on le faisait dans les années 70.
Un concert qui fleure bon la nostalgie (« on y va avant qu'il puisse plus tourner », me glisse un spectateur pendant l'entracte), mais que les efforts surhumains développés par Lee Fields et son backing band rendront des plus agréables, pour qui est un tant soit peu sensible à la soul-funk des seventies.
On se souviendra cependant plus de cette soirée comme de la confirmation que Samm Henshaw, sa casquette à l'envers et son futal trop large, n'usurpent décidément pas le titre de petit prince de la soul UK, unanimement décerné par votre chroniqueur préféré. Un prince au bel air, dont on espère encore nombre d'albums et de concerts, en tête d'affiche s'il vous plaît !