Ils sont encore là, prêts à foutre le souk et tout le monde est ccord-d'a ! KNEECAP à l'Elysée Montmartre à Paris le 10 novembre, partie trois sur quatre d'une série de concerts qui nous ramène quelques mois en arrière.
Rewind selecta, nous voici fin août et tous les pouvoirs en place veulent faire annuler le concert des perturbateurs irlandais à Rock en Seine. Mais le festival tient bon, un demi-million de subventions envolées qui représentent 0,001% de la fortune de Mathieu Pigasse, le propriétaire de Rock en Seine qui ne goûte guère aux manœuvres politiques autoritaires de la ville, de la région, et d'un certain ex-ministre de l'Intérieur, et qui n'oublie pas que KNEECAP sont potes avec Fontaines D.C., et que Fontaines D.C. c'est de l'argent. Un coup de pub inespéré en France pour le trio de rappeurs, qui surfait déjà Outre-Manche sur une vague de ralliement contestataire depuis son procès, gagné mais reparti en appel, faisant suite à un drapeau du Hezbollah brandi pendant un concert. Erreur de jeunesse, petits cons, communication planifiée voire pire, chacun jugera, les excuses étaient-elles sincères, chacun jugera, le fait est que le groupe ressort de Rock en Seine en annonçant quatre concerts à Paris : deux en septembre au Trianon puis deux en novembre à l'Elysée Montmartre, complets en quelques jours à peine.

Nous y voilà donc, à ce concert fondamentalement politique qui nous rappelle que la musique est et a toujours été politique, qui représente de par sa seule existence une opposition aux différents gouvernements qui ont cherché à les interdire, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Hongrie, le Canada ou la France en tête. Dans la fosse, des drapeaux et des maillots irlandais, palestiniens, des keffiehs, des maillots de football à l'effigie de Fontaines D.C., et évidemment des cagoules tricolores. Vert, blanc, et orange, les couleurs de l'Etat libre d'Irlande puis de la République d'Irlande teintes sur la cagoule de DJ Próvaí.
3CAG se lance dans la sono, la foule hurle comme si Radie Peat était Taylor Swift, et sur l'écran géant derrière les platines Boadicée coupe des têtes et se lave dans le sang de ses ennemis. On repassera pour l'imagerie celtes versus romains digne de l'extrême-droite et de nos ancêtres les gaulois, mais après si KNEECAP c'était subtil ça se saurait, la preuve en musique avec
Fenian Cunts.
« Cons de fenians » en version presque polie, une insulte associée au terme fenian qui désignait un groupe de guerriers celtes mythologiques et qui désigne aujourd'hui les nationalistes irlandais en général, avec toujours un petit goût de violence sur les dents. L'imagerie est claire, KNEECAP se placent face au colon britannique, ça crie Free Palestine, Mo Chara et Móglaí Bap demandent s'il y a des français dans la salle, et on fait bien un tiers irlandais, deux tiers français, et trois tiers fans de Fontaines D.C..
Better Way To Live accueille le visage de Grian dans l'écran, les paroles du refrain défilent devant les platines, toute la salle chante le deuxième plus gros tube de l'histoire du groupe, et le trio sait se montrer reconnaissant. Un mot aux fans, aux promoteurs, aux salles qui les ont soutenus contre les attaques, il est temps de monter les potards, ce qui n'était qu'un échauffement va se transformer en folie furieuse rap-techno : la fosse s'ouvre pour
Sick In The Head et ne se refermera jamais, fais gaffe à ton dos, protège tes abdos, si tu parles cash de leurs vices ils t'feront pas d'cadeaux !
La rave party tourne à la course-poursuite,
Your Sniffer Dogs Are Shite est précédée de messages de prévention pour le pogo, suivie de chants « Paris, Paris, Antifa ! » lancés en autonomie par la foule, le groupe trouve que le monde pourrait en apprendre beaucoup des manifs françaises et de notre grosse gueule de râleurs, rappelle qu'ils sont en appel de procès mais qu'ils comptent bien battre une deuxième fois le gouvernement britannique, tout le monde crie « Free, Free Palestine ! » en levant le poing, mais encore une fois pas de politique dans ma musique s'il vous plait. Petite blague du groupe, leur nouvelle chanson ultra-électro s'appelle
No Comment et s'orne d'un graffiti de Banksy fait sur le mur de la cour royale de justice de Londres,
Sayonara et
I'm Flush remettent une pièce dans la boîte de nuit, du premier rang au dernier rang ça tape dans les mains et ça crie « siamo tutti antifascisti », ce concert ne ressemble déjà plus à rien et c'est exactement ce qu'on était venus chercher. Enfin, c'était sans compter sur le groupe qui fait chanter « un kilomètre à pied » à la foule, et puis au bout de neuf kilomètres tout le monde craque et gueule « fuck Macron ! »,
Guilty Conscience rajoute du bordel au bordel et quelques kilomètres à pied plus tard retombe sur
Get Your Brits Out.

Sortez vos brits, sous-titré en boîte et de mon pays, petite insulte au gouvernement « colonialiste », petit speech sur l'importance du rap en irlandais, merci à vous de nous soutenir parce que personne ne se fait d'argent sur Spotify ou Youtube, et on repart pour la dernière salve de tubes rap-techno signés par la bande des rotules brisées.
C.E.A.R.T.A qui veut dire droits en irlandais,
H.O.O.D pour délinquant en argot anglais, et pour finir,
The Recap qui voit DJ Próvaí surfer sur le pogo au milieu de ses compatriotes cagoulés, l'apothéose d'un concert venu rappeler qu'avant d'être une hype et une controverse, KNEECAP est aussi un putain de groupe de musique !
On a voulu les interdire, ils sont revenus jouer quatre concerts à guichets fermés : Mo Chara, Móglaí Bap et DJ Próvaí ne sont jamais aussi bons que lorsqu'il s'agit de faire chier le monde, et trois jours avant les dix ans des attentats du Bataclan, rien de tout ça n'était anodin. Que le système qui a mené à cette situation par des centaines d'années d'interventionnisme colonial cherche à censurer ce qui allait devenir un combat trois jours plus tard devant les caméras était un comble de l'hypocrisie, la liberté musicale et culturelle seulement si elle sert les discours nationalistes et xénophobes, mais rien de nouveau sous le soleil finalement. Car il y a vingt-sept ans, deux mois avant la France black-blanc-beur et les coups de tête de Zizou en finale, Kool Shen et Joey Starr chantaient déjà ces lignes qui ont constellé cette chronique et qui résonnent chaque année un peu plus fort dans nos têtes : « Et si on censure, s'acharne, à casser le Suprême, c'est qu'on fait pas partie de la solution mais peut-être plutôt du problème. ».