Prima Queen

Des paires. Toujours par deux ils vont, ni plus, ni moins. Tels Sacha et Pikachu, Samy et Scooby, Thelma et Louise, Charlie et Lulu, Jagger et Richards, Lennon et McCartney, Prima Queen c'est avant tout l'histoire de deux reines, et d'une rencontre. C'est à Londres, autour de l'année 2016, qu'une certaine Kristin McFadden quitte son Chicago natal pour passer un semestre anglais à étudier le songwriting. Un semestre pendant lequel Louise Macphail, pour sa part originaire de Bristol, traîne aussi dans la capitale, avec dans l'idée de former un groupe de musique, un groupe de musique entièrement féminin. Une vidéo de Kristin et une incruste à un cours de songwriting plus tard, Louise propose à sa Thelma de monter un groupe devant l'intégralité de la classe, et puisque l'on est là pour en parler, vous vous doutez qu'elle a accepté.

Le coup de foudre. Et la séparation. Six mois plus tard, Kristin rentre chez elle à Chicago, ça pleure pendant des jours en regardant la pluie battre contre les fenêtres de la Windy City, ça engloutit des litres de glace à la vanille, et ça compose. Les deux meilleures amies tiennent le contact, et s'échangent des chansons pendant une année complète. Petit saut rapide, nous voici maintenant en 2019, Kristin et Louise ont enrôlé Kitty Drummond à la basse et Heledd Owen à la batterie, et sortent Milky Teeth, le premier single officiel de l'histoire de Prima Queen. Et maintenant back to the present, où il aura fallu attendre encore quatre ans, quelques singles de plus, quelques tournées en soutien de The Big Moon, Dream Wife, ou plus récemment Wet Leg, pour enfin voir arriver le tout premier EP de la carrière des deux compositrices.

Quatre chansons, treize minutes, et un duo à l'identité parfaitement affirmée. Prima Queen, musicalement, c'est une journée d'été passée endormi contre un arbre au bord d'un calme plan d'eau. C'est un ballon jaune qui s'envole dans un ciel sans nuage pour épouser la forme du soleil par-dessus une fête foraine, de laquelle montent les cris insouciants de jeunes enfants. Le résultat est aérien, une douceur solaire, chaude, teintée d'une légère mélancolie qui pique l'âme à travers les paroles chantées en chœur par Kristin et Louise. Le génie des deux jeunes femmes pour la pop brillante et les refrains mélodieux s'étale sans difficulté de Back Row à Dylan, les cuivres et les cordes dessinent des ponts aux couleurs arc-en-ciel au milieu des harmonies vocales, symboles de cette chaleur triste qui fait la substance de Prima Queen. Les rayons du soleil décomposés par la pluie battante, la musique chaude cocoonant des paroles faites de relations brisées et de larmes versées pour des personnages désormais sortis du grand livre de leur vie.

L'image était trop belle, cette journée ensoleillée n'était là que pour vous frapper de souvenirs de câlins sous la couette à présent disparus, et ces enfants qui jouent dans une fête foraine ne tarderont pas à passer d'un foyer à un autre parce que papa est alcoolique. La réalité est froide et cruelle, alors on préférera se replonger dans le lit chaud et moelleux offert par les bondissements de basse et les langoureux échanges vocaux de Kristin et Louise sur la douce Hydroplane. Les treize minutes sont désormais écoulées, et l'on se sent bien. On se sent mieux qu'avant, comme si on sortait d'une journée spa ou d'un massage thaïlandais, et pourtant, l'on reste un tout petit peu sur notre faim. A trop s'emmitoufler dans ses couvertures, l'EP Not The Baby manque le dernier échelon des émotions, il perd la part d'honnêteté crue qui rendait le single Butter Knife si tragique, si capable de nous entourer de ses bras tout en plantant la lame du chagrin de part et d'autre de notre cœur.

Ainsi, oui, ce premier EP de Prima Queen est esthétiquement et chaleureusement parfait, mais il y manque tout de même ce surplus de dépouillement, cette passerelle vers la personne enfouie tout au fond de l'artiste qui différencie les très bons disques des excellents, comme si une certaine forme de pudeur ne souhaitait pas encore céder à la musicalité, et que Butter Knife n'était qu'un évènement isolé. Mais n'oublions pas que ce n'est que le premier effort, et Prima Queen ayant déjà touché du doigt l'excellence, puis bâti un EP des plus solides, il ne fait pas de doute que Louise Macphail et Kristin McFadden ont en elles suffisamment de talent pour nous proposer dans les années à venir des albums qui se rangeront aux côtés des plus grands dans nos playlists de rupture et de dimanches sous la couette. En tout cas, c'est tout le mal qu'on leur souhaite.